Régulation des Gafa, 5G, Huawei : regard croisé entre l'Europe et les Etats-Unis

OPINION. Ancien directeur général du think tank Idate, spécialisé dans le numérique et les télécoms, Yves Gassot revient sur les principales actualités du numérique des deux côtés de l'Atlantique.
Yves Gassot, ancien directeur général de l'Idate, un think tank spécialisé dans le numérique et les télécoms.
Yves Gassot, ancien directeur général de l'Idate, un think tank spécialisé dans le numérique et les télécoms. (Crédits : DR)

Entre les débats sur la régulation des Gafa, la course à la 5G ou encore les mesures visant à interdire ou à limiter le géant chinois Huawei, l'actualité du numérique est chargée. Ancien chef de file de l'Idate, un think tank spécialisé dans le numérique et les télécoms, Yves Gassot fait le point sur ces grands dossiers, et compare les positions du du pays de l'Oncle Sam à celles du Vieux Continent.

La régulation des Gafa

Outre l'amende de 5 milliards appliquée par la FTC à Google dans le sillage de l'affaire Cambridge Analytica, l'antitrust et la FTC se sont partagé les enquêtes préliminaires pour identifier d'éventuelles abus de position dominante des quatre grandes plateformes. La tendance parait ferme.

Politiquement, elle reste confuse. On est souvent à fronts renversés. Les républicains, plutôt timorés en matière de régulation et qui ont acquis une réelle compétence dans la manipulation par les réseaux sociaux, sont globalement éloignés des milieux de la Silicon Valley. Les démocrates traditionnellement proches de ces derniers, sont aussi ceux parmi lesquels on trouve aujourd'hui les parlementaires les plus offensifs pour réguler les Gafa, singulièrement dans cette période de primaire.

Dans ce contexte, l'image de la politique européenne outre-Atlantique n'est pas aussi caricaturale que celle que l'on imagine en Europe. Certes, l'administration Trump ne se prive pas de voir dans tous les projets européens touchant les Gafa une atteinte à la puissance américaine et un argument pour des ripostes commerciales.

Mais le RGPD, dont s'est déjà inspiré la Californie, n'est plus l'objet de railleries mises au compte de la supposée naïveté européenne. Même les patrons des Gafa reconnaissent que l'auto-régulation ne peut pas remplacer l'établissement d'un cadre législatif, en particulier dans le domaine de la préservation des données personnelles.

La 5G

Les États-Unis qui avaient fait la course en tête pour la 4G ont fait de la 5G un impératif pour affirmer leur leadership, notamment vis-à-vis des ambitions chinoises dans le numérique. Curieusement la Maison-Blanche s'est même intéressée à un moment à une approche centralisée avec une infrastructure 5G unique partagée entre les opérateurs. Aujourd'hui les quatre opérateurs affichent l'ouverture de services 5G dans quelques dizaines de villes.

Ces ouvertures même commerciales sont toutefois très contraintes. Les couvertures dans les villes retenues sont très partielles. Les terminaux 5G sont peu nombreux. Dans ces conditions les consommateurs notent surtout l'amélioration des débits de la 4G qu'ils mettent parfois sur le compte de la 5G. L'avance américaine qui demeure cependant indéniable au regard de l'Europe est à pondérer du fait des difficultés des opérateurs US à disposer de fréquences intermédiaires (autour de 3.5GHz). Les très hautes fréquences utilisées par Verizon et AT&T limitent singulièrement la portée et la capacité du signal à traverser les murs. D'où des débats complexes avec les autorités pour accéder à ces fréquences intermédiaires en les partageant avec les utilisateurs tels que les opérateurs de satellites.

L'Europe a moins ce problème, mais souffre des contraintes d'investissement de ses opérateurs sur des marchés nationaux beaucoup plus petits et très concurrentiels.

La fusion T-Mobile/Sprint

L'opération de 26 milliards de dollars engagée depuis plus d'un an devrait pouvoir se faire même si les procureurs de plusieurs Etats peuvent encore faire barrage au feu vert des autorités fédérales (FCC et ministère de la justice).

Mais les conditions mises par ces dernières sont significatives et complexes. Pour que le numéro trois du marché mobile puisse fusionner avec le numéro quatre et faire jeu égal avec Verizon et AT&T, les autorités semblent exiger qu'apparaissent simultanément un nouveau 4èm opérateur crédible.

Pour cela, Sprint devrait céder sa clientèle prépayée avec ses filiales spécialisées Boost et Virgin Mobile tandis ainsi qu'une partie de ses fréquences. Le nouvel ensemble devrait en outre signer un accord d'ouverture de son réseau T-Mobile avec des tarifs abordables. Le candidat est Dish, principal concurrent de DirecTV (AT&T) dans la pay-TV par satellite. Ce marché est aujourd'hui en décroissance et Dish s'est lourdement endetté, notamment en achetant des fréquences qu'il pourrait finir par perdre s'il ne construit pas de réseau.

Deux préoccupations demeurent pour Deutsche Telekom qui contrôle T-Mobile :

  • 1/ il peut craindre que derrière Dish se profile comme futur actionnaire Amazon ou Google. A priori l'accord avec les autorités empêcherait Dish de céder avant trois ans son activité ;
  • 2/ il peut aussi se demander si le nouvel ensemble fusionné ne va pas être prisonnier d'engagements contractuels au bénéfice d'un quatrième opérateur plus agressif que Sprint, car disposant en particulier d'un réseau plus moderne, avec une 5G native (indépendante des réseaux 4G contrairement aux opérateurs existants) et à même de tirer parti des relations établies avec plus de 12 millions d'abonnés vidéo.

Certes, on peut à l'inverse imaginer que Dish aura bien du mal à jouer le rôle du quatrième opérateur disruptif et rencontrera les mêmes difficultés que Sprint à viabiliser un quatrième réseau mobile. Il doit en particulier pour éviter de lourdes pénalités couvrir en 5G 70% de la population d'ici 2023... On est là sur des raisonnements bien connus en Europe même si le parallèle avec les conditions qui permettraient la transition de quatre à trois opérateurs mobiles par marché européen n'est pas vraiment de mise compte tenu de la différence de taille de nos marchés nationaux avec celui des États-Unis.

Le nouvel AT&T

En 2016, AT&T annonçait l'acquisition de Time Warner (HBO, Turner broadcasting, CNN, Warner bros, ...) pour 85 milliards de dollars (plus les dettes), une opération confirmée en juin 2018 malgré les réticences de l'administration Trump.

L'intégration d'un tel ensemble, peu de temps après l'acquisition du numéro deux de la pay-TV (DirecTV) est risquée et la logique économique de l'opération reste à démontrer. AT&T doit valider les économies de management tout en reconnaissant les différences de métier et de culture, les avantages de l'auto-distribution et de l'auto-production vidéo sans s'enfermer dans une logique d'intégration verticale, et les capacités des activités de Time Warner à diversifier ses revenus à un moment où les opportunités de croissance des marchés télécom apparaissent modestes.

Et ce dans un contexte où il faut déployer la 5G, faire face à la chute des abonnés de DirecTV, y compris sur son bouquet en streaming, lancer la plateforme HBO Max + son arme anti-Netflix et rivaliser avec le lancement prochain de Disney +...

Dans un autre registre, l'impératif d'AT&T est d'optimiser le free cashflow pour faire baisser l'énorme dette (180 milliards de dollars au moment de la fusion) et un revenir à un multiple de 2.5 x EBITDA. Le marché européen est très différent mais nos opérateurs sont aussi partagés sur la prise de risque dans le domaine des contenus en oscillant entre un positionnement de distributeur (avec le risque d'être court-circuité par les plateformes de streaming) et des investissements dans la production et les droits.

Huawei

On peut considérer que c'est un peu paradoxal de voir l'administration Trump interdire les équipements Huawei dans un marché où seul quelques petites compagnies téléphoniques locales étaient clientes.

Mais c'est oublier qu'Huawei est un des symboles de la crédibilité de l'ambition chinoise d'occuper les tout premiers rangs dans le numérique. Au moins trois leviers permettent aux autorités américaines d'exercer une pression efficace. D'abord en demandant aux pays alliés avec lesquels ils partagent des données de sécurité d'abandonner l'équipementier chinois. Ensuite, en coupant l'accès de Huawei aux composants des fournisseurs américains.

Naturellement, cela a un impact négatif sur ces entreprises et renforcera les efforts chinois pour disposer de leur propre industrie des composants. Mais la Tech américaine n'est pas insensible aux pressions de Trump pour faire respecter la propriété intellectuelle.

Enfin, Huawei pourrait souffrir dans son ambition de devenir le numéro un des smartphones si Google devait durablement lui interdire l'accès à Android et ses services associés. Tout cela est encore assez flou dans ses modalités réelles d'application et est amené à varier au gré des épisodes des négociations commerciales entre la Chine et les États-Unis.

L'Europe est naturellement concernée à plusieurs titres. Nokia et Ericsson pourraient profiter des interdictions ou contraintes imposées à Huawei. Les opérateurs pourraient souffrir de la perte d'un fournisseur devenu important. Cette situation devrait logiquement pousser les opérateurs européens à développer leur indépendance vis-à-vis des fournisseurs en accélérant la virtualisation de leur réseau, un sujet sur lequel ils semblent avoir pris du retard par rapport à AT&T ou Verizon.

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Commentaire 1
à écrit le 06/08/2019 à 14:56
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La fixation sur les gafas en sachant ce qui se passe pour l'ensemble du développement de la mobilité semble un peu comme les groupes siemens et alcatel, dont j'ai pu voir se dernier de l'intérieur ne rien comprendre a ce que deviendrai le mobile. L'...

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