Tirs au but : la France aurait-elle eu plus de chances de battre la Suisse en tirant en premier ?

OPINION. Une étude portant sur une centaine de séances de tirs au but disputées lors de tournois majeurs montre que le fait de tirer en premier importe moins que le fait de pouvoir choisir qui tire en premier. Par Dominik Schreyer, WHU – Otto Beisheim School of Management; Matthias Sutter, Max Planck Institute for Research on Collective Goods et Sascha L. Schmidt, WHU – Otto Beisheim School of Management (*)
(Crédits : Reuters)

Éliminée par la Suisse au stade des huitièmes de finale à Bucarest en Roumanie, la France se voyait sans doute continuer son parcours plus loin dans l'Euro-2020. D'autant qu'une qualification pour le tour suivant semblait acquise alors que les tricolores menaient 3 buts à 1. Rattrapés à quelques minutes de la fin, les Bleus ont dû jouer les prolongations. Personne n'ayant fait la différence à l'issue de ces trente minutes supplémentaires, il a fallu départager les deux équipes avec une séance de tirs au but.

Au cours d'une séance de tirs au but, chaque équipe tire alternativement. L'arbitre tire au sort le capitaine qui décidera laquelle sera la première à se présenter face au gardien adverse. Lundi soir, ce fut la Suisse. L'équipe qui a réussi le plus de ses cinq penalties est qualifiée. L'échec de Kylian Mbappé, cinquième tireur français face au gardien Suisse Yann Sommer a ainsi envoyé la sélection helvétique en quart de finale.

Notre étude publiée dans la revue Games and Economic behavior s'intéresse à la question suivante : l'équipe qui tire le premier penalty bénéficie-t-elle ainsi d'un avantage ? La théorie reste plausible et attrayante. Elle s'accorde avec la simplicité du format d'une séance de tirs au but, un concours simple dans lequel les deux équipes essaient tour à tour de marquer depuis un point fixe situé à 11 mètres de la ligne de but.

Nous montrons qu'il ne s'agit toutefois pas de l'élément le plus décisif.

Avantage au premier tireur ?

Le résultat de chaque tentative lors d'une séance de penalties demeure sans ambiguïté - c'est un but ou pas - et on sait clairement quelle équipe est en tête. Étant donné qu'environ 75 % des penalties finissent au fond des filets, l'ordre des tireurs peut donc avoir de l'importance car il influence sur les scores intermédiaires. Le fait d'être à la traîne peut mettre tellement de pression sur les joueurs qu'ils commencent à tergiverser.

Nombreux semblent ceux qui adoptent ce point de vue. Le sujet a inspiré de nombreuses recherches au fil des ans et des partisans des deux camps existent. Un papier publié dans la prestigieuse American Economic Review tend ainsi à montrer que le fait de tirer en premier augmente considérablement les chances de victoire d'une équipe, alors que des enquêtes ultérieures n'ont pas identifié pareil effet.

Dans d'autres sports, les conclusions concernant cette idée d'« avantage au premier tireur » (« first-mover advantage » en anglais) restent également mitigées. Au hockey, par exemple, a été défendue l'idée que le fait de tirer le premier dans une séance de tirs au but n'apporte pas d'avantage significatif. Au cricket, il semble que le fait de frapper le premier peut même avoir un effet négatif sur l'issue du match.

Dans notre récente étude, nous nous sommes demandé si ce n'est pas plutôt le droit de déterminer la séquence des coups dans une séance de tirs, celui de pouvoir choisir quelle équipe tire en premier, qui importe et non simplement le fait de pouvoir tirer en premier.

Pile ou face

Pour donner suite à notre questionnement, nous avons analysé 207 séances de tirs au but dans 14 tournois internationaux de football entre juillet 2003 et août 2017, dont la Coupe du monde de la FIFA (10 séances de tirs au but) et l'Euro organisé par l'UEFA (9) pour les sélections nationales, et, pour ce qui est des clubs, les deux coupes d'Europe : la Ligue des Champions (30) et l'Europa League (68).

Avant chaque séance de tirs au but, les deux capitaines d'équipe choisissent pile ou face et l'arbitre jette une pièce en l'air. Le capitaine gagnant peut alors choisir de tirer en premier ou en second. En théorie, le fait de passer en deuxième position pourrait être un choix stratégique si le gardien de but est considéré comme meilleur que celui de l'autre équipe et plus susceptible de faire un arrêt.

En accédant aux séquences vidéo officielles, nous avons pu déterminer quel capitaine avait gagné le tirage au sort et quelle décision il avait prise pour 96 séances.

De manière surprenante peut-être, il s'est avéré que le choix de passer en premier n'est pas une option résolument dominante. Seuls 56 % des capitaines ont décidé de tirer en premier, tandis que les 44 % restants ont envoyé leur gardien dans le but en premier dans l'espoir d'un arrêt précoce, croyant peut-être à un « second mover advantage », un « avantage du second venu ». Lors de l'Euro, organisé en France en 2016, la décision de tirer en second a même été prise dans les trois séances de tirs au but du tournoi.

L'équipe dont le capitaine a gagné le tirage au sort a remporté environ 60 % des tirs au but suivants. C'est nettement mieux que les 50 % de chances que l'on pourrait attendre si les décisions des capitaines ne faisaient aucune différence.

De plus, comme la plupart des recherches précédentes, nous n'avons constaté aucun avantage à être la première équipe à tirer un penalty, la fréquence de victoire des premières équipes à tirer un penalty n'étant que d'environ 51 % dans ces compétitions internationales de football.

L'ordre des penalties ne semble donc pas avoir d'importance quand le droit de déterminer la séquence, lui, en revêt une. Cela peut être dû au fait que les capitaines qui gagnent à pile ou face sont en mesure d'évaluer les forces relatives des gardiens et des tireurs des deux équipes, puis de décider de la séquence la plus favorable.

Lors de France-Suisse, c'est d'ailleurs le capitaine de la sélection helvète Granit Xhaka qui avait gagné le tirage au sort.

The Conversation _______

(*) Par Dominik Schreyer, Assistant Professor of Sports Economics, WHU - Otto Beisheim School of Management ; Matthias Sutter, Professor of Economics, Behaviour and Design, Max Planck Institute for Research on Collective Goods et Sascha L. Schmidt, Professor and Director, Center for Sports and Management, WHU - Otto Beisheim School of Management.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 01/07/2021 à 11:06
Signaler
On s'en fout c'est sur le terrain qu'il faut gagner ensuite ça fait toujours plus sport qu'un pile ou face mais 51% c'est pas aussi le nombre de chances que l'on a de tomber sur face plutôt que pile ? Tandis que nos médias de masse nous imposent une ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.