Un nouveau consensus pour faire de l’UE une puissance globale, durable et responsable

OPINION. La puissance a longtemps été le tabou européen par excellence. Elle est pourtant implicitement au cœur des discussions des Conseils européens depuis le début de l'invasion russe de l'Ukraine et plus encore depuis que la réélection de Donald Trump devient, si ce n'est pas certain, une possibilité sérieuse. Par Guillaume Klossa, président d’EuropaNova (*)
(Crédits : DR)

Avec la nécessité d'un soutien considérablement accru de l'Union européenne à l'Ukraine et du renforcement de celui-ci en cas d'élection du républicain, elle est de facto au cœur du dernier Conseil européen des 21-22 mars : si l'Union européenne n'assume pas son objectif de devenir une puissance géopolitique de premier plan avec ses composantes militaire et d'armement et n'affirme pas dès maintenant cette ambition clairement, elle ne sera pas en mesure de soutenir à moyen long terme l'effort de guerre ukrainien ni même de garantir le maintien de l'engagement américain en Europe et encore moins sa propre défense et sa sécurité.

Paradoxalement, l'engagement américain sera d'autant plus important que Washington prendra au sérieux la volonté de puissance de l'Union et sa capacité à s'affirmer sur les plans géopolitiques, technologiques et industriels. Plus que de vassaux, Washington a besoin d'alliés puissants dans un monde de plus en plus post-occidental.

Les raisons du tabou en matière de puissance sont multiples

Les Allemands, au regard de leur histoire récente, préféraient sous-traiter la sécurité et la protection de l'Europe à l'Amérique et craignaient jusqu'à présent que l'affirmation de l'Union européenne ne serve de prétexte aux États-Unis pour se désengager. Les Européens dans leur ensemble ont préféré investir dans leur bien-être, considérant que le parapluie américain les dispensait d'investir dans leur sécurité. La France a porté le concept d'Europe puissance, mal compris par ses partenaires européens qui ont soupçonné une volonté hégémonique de Paris au bénéfice de ses industries.

Les Britanniques ont longtemps veillé à ce que ces sujets ne puissent pas être abordés dans les enceintes communautaires, préférant que l'Union européenne se considère comme un simple acteur de l'ordre international...

Aujourd'hui, la donne a profondément changé

Avec le Brexit, le véto britannique a disparu. Jean-Claude Juncker s'est empressé de mettre à l'agenda le sujet de la puissance européenne en lançant une réflexion sur les industries de défense européenne et en appelant à la création d'une armée européenne dans la foulée du référendum britannique de juin 2016. La grande pandémie a permis aux Européens de prendre conscience de leur solitude géostratégique et de leurs dépendances face aux nouvelles puissances que sont les plateformes numériques systémiques principalement non européennes et de l'impact négatif de ces dernières sur le tissu économique, industriel et démocratique européen sans que leur contribution à la société ne compense pour l'instant du moins cet impact.

L'invasion de l'Ukraine par la Russie a marqué une étape décisive en accélérant la nécessité d'une prise en main par les Européens de leur sécurité et leur défense dans le cadre d'un partenariat renouvelé avec les États-Unis, quel que soit le résultat de l'élection américaine.

Ce triple choc a engendré une évolution des opinions publiques comme des leaders d'opinion de sorte que ce qui n'était pas envisageable il y a cinq ans devient non seulement pensable, mais souhaité aujourd'hui par une majorité de citoyens : les Européens sont désormais prêts à transformer l'Union européenne en une puissance globale, durable et responsable, dans le sens du nouveau consensus européen autour de la puissance établi par un groupe de 46 personnalités de premier plan représentatives de la diversité géographique et politique de l'Union dans le cadre du rapport « Europe 2040 : Demain se joue dès aujourd'hui » (**).

Co-construire une puissance globale, durable et responsable

Ce nouveau consensus européen résulte des travaux du premier Conclave européen qui s'est tenu à Cascais au Portugal en les 24-26 novembre derniers. Il a été présenté ce mercredi à la présidence belge du Conseil de l'Union européenne. Les participants du Conclave insistent sur le fait qu'il ne s'agit pas de copier les superpuissances. Il s'agit de construire avec les citoyens de l'Union une puissance démocratique multinationale et plurilingue, qui exerce ses compétences non plus essentiellement dans les domaines du commerce et de la régulation, mais également dans tous les domaines stratégiques à commencer par la science et la technologie et tous les secteurs clés pour l'avenir y compris la santé et le spatial qui doivent bénéficier d'un marché unique enfin achevé s'appuyant sur un code européen des affaires et permettant à toute entreprise qui le souhaite de se projeter à l'échelle de l'Union dès sa naissance.

Une Europe qui renforce ses capacités de décision, d'exécution et de financement et change son état d'esprit pour se transformer, tirer parti de ses effets d'échelle et démontrer sa capacité d'accélération dans un monde qui ne l'attend plus. Cette Union européenne transformée doit être en mesure de garantir la sécurité, la cybersécurité et la défense des 27 États membres et de son environnement proche tout étant capable de produire les nouveaux biens communs essentiels attendus par les citoyens de l'Union en termes de démocratie, de régulation climatique et environnementale, d'agriculture, d'infrastructures énergétique et numérique, d'éducation et de culture... qu'aucun Etat membre n'est en mesure de produire seul. Cette puissance européenne devra faire preuve d'empathie et de responsabilité pour assumer un rôle clé d'apaisement des tensions internationales.

La transformation de l'Union en puissance globale, durable et responsable s'appuyant sur un véritable espace démocratique transnational et plurilingue qui est désormais possible grâce aux progrès du numérique et de l'IA est souhaitée par les citoyens et devrait être au cœur des débats électoraux européens. Il est également crucial qu'elle soit au cœur du nouvel agenda stratégique que doivent adopter d'ici juin les chefs d'Etat et de gouvernement des 27. Cet agenda qui déterminera pour la période 2024-2029, en tenant compte des résultats des élections européennes, les programmes de travail des trois institutions de l'Union que sont la Commission, le Parlement et le Conseil façonnera l'Europe des décennies à avenir et de 2040. Plus que jamais pour les Européens, demain se joue dès aujourd'hui.

 ______

(*) Guillaume Klossa, président d'EuropaNova, est président du Conclave et coordinateur du rapport « Europe 2040 : Demain se joue dès aujourd'hui - co-construire une puissance globale, durable et responsable ».

(**) Ce rapport a été écrit avec les membres du board du Conclave dont Étienne Davignon et Antonio Vitorino, anciens commissaires européens, les ambassadeurs de France, d'Italie et de Slovénie Philippe Etienne, Piero Benassi et Peter Grk, les professeurs Maria Joao Rodrigues, Daniela Schwarzer et Loukas Tsoukalis, le mathématicien et ancien dirigeant du Conseil européen de la Recherche Jean-Pierre Bourguignon, la directrice générale de Re-Imagine Europa Erika Von Holstein et Grégoire Roos, directeur de programme à la fondation BMW.

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Commentaires 3
à écrit le 04/04/2024 à 12:54
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"que l'affirmation de l'Union européenne ne serve de prétexte aux États-Unis pour se désengager" avec Trump 2, ça sera l'inverse : "débrouillez vous chez vous !". Les bombinettes US hébergées en UE, ils vont les reprendre ? Les contraintes de modèles...

à écrit le 04/04/2024 à 12:31
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Pensez vous créer une coalition "puissance" en rendant impuissante chacune des nations qui la composent ? ;-)

à écrit le 04/04/2024 à 10:20
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Comment une entité supranationale qui n'a aucun élu populaire à sa tête, que des gens désignés par les oligarchies en place, pourrai tdécider de faire la guerre ou pas au nom de citoyens n'ayant aucune possibilité de s'exprimer sur ce sujet ? Bienven...

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