C'était l'une des mesures du nouveau pacte ferroviaire, combattu par les cheminots pendant la longue grève du printemps 2018 et adopté en juin de la même année. Mais elle est passée inaperçue. Depuis le 3 décembre 2019, les Régions, autorités organisatrices, peuvent en théorie attribuer l'exploitation de leurs transports express régionaux (TER) à d'autres opérateurs que la SNCF. Deux conseils régionaux, Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) et le Grand Est, ont saisi l'opportunité. Ils publieront en mars de cette année les appels d'offres. Les exploitants alternatifs - pas forcément « privés » au sens figuré si la SNCF est candidate via l'une de ses filiales - arriveront début 2022.
De gauche à droite, et dans des contextes de relations plus ou moins tendues entre les collectivités territoriales et la SNCF, les motivations de cette « privatisation » divergent. En région Paca, l'exécutif présidé par Renaud Muselier (LR), a voté le 14 décembre dernier une procédure de délégation de service public pour la desserte Marseille-Nice et pour les lignes de l'étoile ferroviaire de Nice. En conflit avec la SNCF, à laquelle elle réclame des indemnités pour la mauvaise qualité du service, le conseil régional aborde l'ouverture à la concurrence comme une punition infligée à l'opérateur historique. Selon un rapport publié en octobre par la Cour des comptes, c'est en Paca que SNCF Mobilités présente la plus faible productivité annuelle, avec 5.102 kilomètres par agent contre 8.357 en Pays de la Loire.
Au siège du conseil régional du Grand Est, Jean Rottner présente la concurrence comme une opportunité d'aménagement et de redynamisation des territoires, avec des investissements lourds à la charge de l'opérateur et « jusqu'à 30 % d'économies » sur le fonctionnement. Les lignes confiées à ces opérateurs alternatifs se situeront en secteur rural et en périphérie de Strasbourg. David Valence, vice-président (Radical) du Grand Est chargé des transports, écarte la comparaison avec la privatisation ratée des transports ferroviaires en 1994 au Royaume-Uni, où elle avait engendré surcoûts et dysfonctionnements. « En tant qu'autorités organisatrices, les conseils régionaux continueront de définir l'offre et les tarifs. Si des entreprises comme Transdev ou la RATP sont candidates, il ne pourra pas y avoir de dumping social », promet-il.
En Paca et dans le Grand Est, les résultats des appels d'offres seront connus en fin d'année. Les autres Régions sont moins pressées. On réfléchit dans les Hauts-de-France, on serre les freins en Bretagne et en Occitanie. Les collectivités régionales pourront continuer de traiter avec la SNCF : les appels d'offres deviendront obligatoires seulement en 2033.
Par Olivier Mirguet, Grand Est
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OUVERTURE À LA CONCURRENCE : À CHAQUE RÉGION, SON APPROCHE
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Le Sud dit oui pour l'économie et le climat
La Région présidée par Renaud Muselier a été la première à voter en plénière fin 2019 l'ouverture à la concurrence. Un choix motivé par des raisons de meilleur service public rendu - on se souvient du bras de fer avec la SNCF -, mais aussi dans un souci de réduire les émissions de Co2 du tout voiture. Le futur contrat prévoit un renforcement de l'offre de service notamment sur le lot 1, appelé Inter-métropoles, qui relie Nice à Marseille, en passant par Toulon. Le lot 2 concerne trois lignes, dont celle reliant Grasse à Menton et Nice à Breil-sur-Roya, dans l'arrière-pays niçois. La valeur estimée pour chaque lot se monte respectivement à 580 millions d'euros et 1,2 milliard d'euros. La Région a opté pour un contrat de concession de dix ans.
Chaque jour, 100.000 voyageurs empruntent l'une des 500 circulations qui maillent la Région, laquelle consacre 285 millions d'euros par an au fonctionnement des TER. L'ouverture à la concurrence des lignes les plus stratégiques doit avoir un effet de levier sur l'attractivité. Renaud Muselier est soucieux d'un aménagement équilibré qui n'ignore pas les territoires ruraux et qui capte une clientèle qui s'érode. Cela permet aussi d'avoir « une COP d'avance », le train aidant à réduire l'empreinte carbone. Les appels d'offres seront lancés d'ici à mars prochain. Quant aux salariés, un plan d'accompagnement spécifique a été décidé, liant SNCF Mobilités et les nouveaux opérateurs. Huit opérateurs, dont deux français, sont déjà sur les rails...
Laurence Bottero, Région Sud
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Île-de-France : Pécresse veut encore réfléchir
Dès 2023, les lignes du Transilien seront ouvertes à la concurrence, avant les bus (2025), les trams (2029) et les métros (2039). Sans attendre trois ans, la présidente de l'autorité organisatrice des transports Île-de-France Mobilités (IDFM, ex-Stif), Valérie Pécresse, dit vouloir y « réfléchir beaucoup plus ». Le 20 décembre dernier, en pleine grève de la RATP et de la SNCF, elle a défendu l'emploi du mot « clients ».
« Le mot "usagers" est bien commode quand le service n'est ni fait ni remboursé », s'est-elle agacée.
Les opérateurs ont déjà adopté ce discours. « La concurrence va apporter de l'innovation et logiquement de nouveaux services, ce qui peut attirer davantage de clients », déclarait en novembre le délégué général de l'Union des transports publics et ferroviaires, Claude Faucher. « Dès lors, nous pouvons entrer dans un cercle vertueux, avec de nouvelles recettes et davantage de services qui amènent plus de clients. »
César Armand, Île-de-France
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Pragmatisme en Auvergne-Rhône-Alpes
Sous convention avec SNCF Mobilités jusqu'à 2022, la région Auvergne-Rhône-Alpes ne se précipite pas pour casser cet accord, négocié dans la douleur en 2017.
« En matière d'ouverture à la concurrence, nous ne voulons pas faire de l'idéologie, mais être pragmatiques pour la gestion de notre réseau », commente Martine Guibert, la vice-présidente de la Région, déléguée aux transports.
Néanmoins, dès 2017, le conseil régional a identifié quatre lignes qui pourraient faire l'objet d'une ouverture à la concurrence : Saint-Gervais-les-Bains/ Chamonix-Mont-Blanc/ Vallorcine, en Haute-Savoie, et Lyon-Saint-Paul/ Tassin, Sain-Bel et Lozanne, trois lignes qui desservent l'ouest lyonnais, stratégique pour ce territoire. Depuis cet été, une étude a été lancée sur la ligne haute savoyarde en vue d'une éventuelle mise en concurrence.
Stéphanie Borg, Auvergne-Rhône-Alpes
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Pour les Pays de la Loire, ce sera en 2024
La région des Pays de la Loire entend être parmi les premières à ouvrir son réseau de TER à la concurrence. « Avec une nuance de taille, nous ne proposerons pas deux lignes mais cinq à dix, soit 20 % à 50 % du réseau régional », précise Roch Brancour, vice-président de la Région, chargé des transports.
« Pour nous, c'est une véritable opportunité pour faire baisser les coûts et développer l'offre ferroviaire régionale », dit-il.
Afin de mener à bien ce projet prévu en 2024, la Région a lancé en 2019 un appel à manifestation d'intérêt (AMI). « Pour tester l'appétence des opérateurs à l'exploitation des trains », indique Roch Brancour. Quatre opérateurs (SNCF Mobilités, Arriva, filiale de la Deutsche Bahn, Transdev et RATP Dev) et trois sociétés (Alstom, Alpha Trains et Centrus) y ont répondu. « Ce qui nous a permis de recueillir de nombreuses données pour définir un premier lot et bâtir notre appel d'offres. » La Région a recruté un groupe d'experts capables de l'instruire et d'analyser les offres remises fin 2021. Le premier lot est une première étape. Un autre sera lancé dès la deuxième année. « C'est une démarche complexe. Il est essentiel de bien se préparer pour éviter l'échec britannique et plutôt s'inspirer de la réussite allemande. » Objectif : que tout le réseau régional soit ouvert à la concurrence en 2030.
Frédéric Thual, Pays de la Loire
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Les Hauts-de-France visent le « triple A »
En annonçant début 2018 l'ouverture partielle à la concurrence du TER régional, Xavier Bertrand veut obtenir le « triple A » déjà réclamé par les associations de voyageurs : Assis, À l'heure et Avertis. Une façon pour le président de la Région d'obtenir un meilleur service, à hauteur de la dépense publique consentie, car le mariage entre la Région et la SNCF n'est pas un long fleuve tranquille.
Dernière polémique en date, la suppression « sans concertation » de la plupart des TER-GV (services régionaux à grande vitesse) en heure de pointe annoncée fin novembre. « Les TGV InOui ont circulé aux mêmes heures », a dénoncé Xavier Bertrand dans sa lettre à Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF.
Un mois plus tôt, l'entrée en vigueur mi-décembre de la nouvelle grille horaire (jamais revue encore depuis 2012) avait provoqué notamment la démission du maire de Templeuve-en-Pévèle, qui a vu 17 trains supprimés par jour dans sa commune... alors même que 12 millions d'euros ont été investis pour moderniser le pôle gare.
Pour autant, la privatisation changera-t-elle la donne ? Lors des débats fin 2018 qui avaient précédé la signature de la convention TER 2019-2024 (budget de 500 millions d'euros sur les cinq ans pour 200.000 voyageurs par jour), Franck Dhersin, vice-président chargé des transports et des infrastructures de transports à la Région, a admis « n'être pas complètement convaincu ». Mais l'enjeu est bien de tester la privatisation à hauteur de 10 à 15 % pendant six ans, « ce qui représente une très courte période ».
Gaëtane Deljurie, Hauts-de-France
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La Normandie entend « pousser la SNCF dans ses retranchements »
Hervé Morin envisageait d'ouvrir des lignes à la concurrence au début de son mandat, il y a renoncé. « J'ai confiance dans la capacité des cheminots à relever le défi », justifie le président de Région. En contrepartie, l'exécutif a élevé son niveau d'exigence vis-à-vis de la compagnie. La convention de délégation de dix ans lui fixe des objectifs très ambitieux en matière de qualité et de niveau de recettes. Sur le premier volet, elle est assortie d'un système de pénalités sophistiqué qui varie en fonction des événements : retards, guichets fermés, panne, distributeurs HS... Sur le second, la barre est placée haut. La vente des billets de TER et d'Intercités reprise par la Région devra couvrir plus de la moitié des dépenses contre un cinquième aujourd'hui. À défaut, le délégataire assumera une partie du manque à gagner.
« Ces mécanismes ont pour but de pousser la SNCF dans ces retranchements », résume Vincent Breteau, directeur général adjoint chargé des transports.
La Région se réserve toutefois le droit d'ouvrir 15 % de son réseau à la concurrence à mi-parcours, si les promesses ne sont pas tenues. « C'est cette possibilité qui conduit à un dialogue plus équilibré », concède Hervé Morin.
Nathalie Jourdan, Normandie
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La Bretagne s'engage dix ans avec la SNCF
La région Bretagne, qui définit et finance à hauteur d'environ 100 millions d'euros par an le service ferroviaire régional TER BreizhGo exploité par SNCF Mobilités, reste réservée sur l'ouverture à la concurrence. À l'exception de la CFTA, filiale de Transdev qui gère depuis 1967 la première ligne privée française, entre Carhaix et Paimpol, il faudra attendre au mieux 2030 pour voir des entreprises autres que la SNCF opérer sur le territoire. Soucieux de maintenir une desserte sur l'ensemble de la région, y compris dans les territoires éloignés, et une offre combinée TGV-TER efficace, le conseil régional a signé en juin dernier un protocole d'accord avec la filiale de la SNCF sur l'organisation et le financement du TER régional. D'une durée de dix ans, la nouvelle convention doit être signée fin janvier. Elle requiert de la SNCF un « service maximum », des tarifs encore mieux adaptés, ainsi qu'un engagement sur les recettes d'exploitation (+ 23 % sur dix ans) plus que sur des économies. Fort d'un maillage relativement dense, le réseau TER breton affiche 35.000 voyages quotidiens, 13 lignes de train et 1.200 kilomètres de rails. En quinze ans, la fréquentation des TER a été multipliée par deux et « la subvention par voyage diminuée de moitié » selon la Région.
Pascale Paoli-Lebailly, Bretagne
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Centre-Val de Loire : pas de privatisation, sauf si...
Dirigée par le socialiste François Bonneau, la région Centre manie le pragmatisme face à l'ouverture à la concurrence du rail régional. Pas question de concéder les TER au secteur marchand par simple idéologie libérale. Pour autant, c'est l'occasion de mettre la pression sur la SNCF, en lui fixant des objectifs d'amélioration du service : lutte contre la fraude, régularité des horaires, maintenance des trains...
La Région, qui attend des coûts plus réduits, jugera désormais l'opérateur public sur pièce. Elle est en position de force pour changer la donne à partir de 2023, date de fin de la convention TER la liant à la SNCF, qui a été à dessein prolongée de deux ans. Les services d'Orléans mettent ce laps de temps à profit pour réaliser un découpage de la zone en quatre sous-territoires, représentés par les étoiles ferroviaires de Tours, d'Orléans, de Chartres et du Berry. Objectif de cette politique de lots : faciliter un éventuel transfert d'opérateur. Deux consortiums français, Transdev et RATP Dev, un espagnol, Renfe, et un allemand, Deutsche Bahn, lorgnent déjà le marché hexagonal du rail.
Guillaume Fischer, Centre-Val de Loire
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L'Occitanie n'y est pas favorable
Il y a deux ans, la région Occitanie a signé une nouvelle convention avec la SNCF pour la gestion de ses TER sur la période 2018-2025. « D'ici fin 2020, nous aurons augmenté l'offre de plus de 37.000 places quotidiennes dans les trains régionaux. Et ce, en réduisant le coût au kilomètre de 5,5 %. Pour mémoire, le nombre de voyageurs annuel est passé de 13 à 22 millions en quinze ans », explique la présidente Carole Delga pour justifier son choix, qui voit dans l'ouverture « un faux débat ».
« Ce n'est pas le Graal ! Il suffit de constater la perte de vitesse du fret ferroviaire depuis sa libéralisation il y a quatorze ans. Sans parler de la situation du train des primeurs Perpignan-Rungis pour lequel nous avons, à force de pugnacité, échappé à une catastrophe écologique et économique. [...] Le vrai sujet, c'est l'état des infrastructures. Aucun opérateur, qu'il soit privé ou public, ne pourra faire rouler plus et mieux de trains sur des lignes en mauvais état. »
En juillet 2019, la Région a voté un plan de 66 millions d'euros pour restaurer une douzaine de lignes. Mais Carole Delga appelle l'État à « donner aux Régions les moyens d'intervenir plus fortement ».
Pierrick Merlet, Occitanie (Toulouse)
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