
La route qui recharge des camions ou des autobus en roulant ne relève déjà plus de la science-fiction. En mars 2019, le gouvernement suédois inaugurait ce qui était présenté comme la première portion de bitume électrifiée au monde. Le modèle s'inspire des dispositifs qui permettent aux tramways ou aux trains de circuler.
Le principe est simple. Le poids lourd se recharge soit via une caténaire reliée à des pantographes, soit via un rail électrique enfoui dans la chaussée qui vient alimenter le véhicule par l'intermédiaire d'un patin situé sous le chassis.
La Suède n'est pas le seul pays à s'intéresser à cette technologie. Des expériences ont été lancées un peu partout dans la monde en Corée, aux Etats-Unis, en Inde... En Europe, le gouvernement d'Angela Merkel envisage d'électrifier 4.000 kilomètres de routes dans l'espoir d'éviter le déploiement d'un réseau de bornes de recharge surpuissantes pour alimenter les flottes de poids-lourds électriques (avec ou sans pile à combustible) qui pointent à l'horizon. .
Ce projet qui ouvre la voie
La France, par comparaison, accuse un temps de retard malgré sa position de carrefour qui la prédispose à ce type d'aménagement. Le projet le plus avancé à ce jour est celui du e-way corridor. Soutenu par l'Ademe, la délégation interministérielle à la vallée de Seine et les Régions Ile de France et Normandie, il est porté depuis trois ans par l'Observatoire de l'innovation dans l'énergie (OIE) avec un consortium qui regroupe notamment la Sanef, Accenture et Spie.
La feuille de route est ambitieuse. Il s'agit de réaliser à un horizon de quelques années un corridor électrique de 114 kilomètres sur l'A13 entre le péage de Mantes et le Pont de Tancarville. L'axe qui relie le Havre à Paris n'a pas été choisi au hasard, explique le préfet François Philizot, délégué interministériel : "La décarbonation du transport lourd est un impératif national qui présente une résonance particulière en vallée de Seine en raison de l'intensité des déplacements et de la densité urbaine qui la caractérisent ".
En route vers le futur de la route
Les trois premières années d'étude ont permis de démontrer la faisabilité technique et normative du projet dont le coût est estimé entre 200 et 600 millions d'euros en fonction du procédé qui sera choisi pour le transfert de l'énergie : par la voie des airs, au sol ou par induction. Cette dernière -la plus chère- semble la plus prometteuse en raison de sa robustesse et de sa compatibilité avec les véhicules légers. Imagine t-on une Zoe dont le toit serait équipés de pantographes ?
Quant au financement, « il pourrait être résolu grâce à une prolongation de la concession autoroutière de manière non douloureuse pour l'Etat et ses utilisateurs », avance Walter Pizzaferri, président de l'OIE.
Les constats étant posés, il est temps pour le consortium de passer aux travaux pratiques. Les prochains mois seront consacrés à la réalisation d'une maquette numérique qui simulera le fonctionnement du corridor en temps réel : gestion de l'énergie, régulation des accès, supervision du système... En parallèle, un prototype de camion électrique sera mis en circulation sur le tronçon afin d'évaluer la puissance nécessaire à sa propulsion. Les groupes Ferrero et Intermarché ont manifesté leur intérêt pour l'expérimentation.
"On lève un verrou majeur"
Reste à convaincre d'autres opérateurs du transport des avantages de cette solution. A cet exercice, un argument pourrait peser lourd.
" Sauf à décupler la puissance et le poids des batteries, les véhicules électriques n'égaleront pas l'autonomie des véhicules diesel. En leur fournissant de l'énergie lorsqu'ils roulent, on lève un verrou majeur pour le transport longue distance dont le modèle repose sur la souplesse de la motorisation thermique " défend Walter Pizzaferri.
PDG de Planète Verte Consulting et porte-parole du e-way corridor, Jean-Patrick Teyssaire enfonce le clou : "Un camion électrique de 45 tonnes requiert une batterie de 7 tonnes, c'est un véritable casse tête pour les constructeurs".
A l'Ademe Normandie, on préfère vanter les vertus du procédé face au risque de black out sur le réseau électrique. « Ce qu'EDF redoute, ce sont les énormes appels de puissance simultanés sur des bornes de recharge aux heures de pointe", rappelle Fabrice Legentil, délégué régional.
Quant au gouvernement, il devrait être sensible aux promesses écologiques de ce corridor autoroutier. A en croire le chiffrage de l'OIE, il permettrait d'éviter 1,5 million de tonnes d'émissions de CO2... Et beaucoup (beaucoup) plus s'il devait être inter-connecté avec les futures routes électriques allemandes, par exemple.
"La question d'un standard européen va rapidement se poser, il serait bon que la France ne reste pas à l'écart", conclut Walter Pizzaferri. Transmis au ministre des Transports.
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