La ville inclusive est aussi celle du partage

[ CITIES FOR LIFE ] L’économie collaborative, ou économie du partage, a toute sa place dans la ville inclusive. À condition de réduire la fracture numérique qui touche certaines catégories de la population.
L'économie du partage passe souvent par l'utilisation du smartphone, excluant certaines catégories de la population.

« Un français sur cinq est en pénibilité sur ses usages numériques au quotidien » rappelle Jean Deydier, directeur d'Emmaüs Connect. Nos smart cities de plus en plus connectées vont-elles devenir un territoire d'intégration, ou, au contraire, d'exclusion pour les personnes âgées, à faibles revenus ou qui ne maîtrisent pas les arcanes des nouvelles technologies ?

« En 2016, nous avons assisté à un tournant, avec les inscriptions à Pôle Emploi et aux Caisses d'Allocations Familiales qui sont devenues totalement dématérialisées. Comment vont faire les gens avec un handicap lourd ou en grande précarité ? » s'interroge le directeur d'Emmaüs Connect, qui regrette que « la loi sur le numérique n'ait affecté que quelques centaines  de milliers d'euros pour former ces populations ». Pour Jean Deydier, l'accompagnement aux usages numériques est un sujet politique : l'Etat et les territoires doivent mutualiser leurs moyens pour former massivement.

Associations de quartier et bénévoles remplissent déjà une bonne partie de cette tâche, mais ne peuvent s'occuper de tous les laissés pour compte technologiques. Pour le dirigeant d'Emmaüs Connect, qui a déjà aidé 25.000 personnes à mieux maîtriser les usages numériques, « la smart city inclusive est un enjeu républicain ».

L'économie collaborative (appelée aussi économie du partage ou économie circulaire) s'appuie elle aussi sur les technologies digitales. « Le dénominateur commun de toutes les initiatives placées sous le chapeau de l'économie collaborative, ce sont des échanges entre particuliers rendus possibles par l'essor du numérique » explique Samuel Roumeau, directeur villes et territoires de Ouishare, collectif d'entrepreneurs collaboratifs. Et de citer l'exemple d'une coopérative du Pays basque en faillite qui a fait appel aux riverains via une plateforme de financement coopératif, a été sauvée et a créé 30 emplois.

 Des Lulus de quartier pour rendre service

Pour Antoinette Guhl, adjointe à la Maire de Paris chargée  de l'économie sociale et solidaire, « l''économie collaborative est composée de trois familles : l'une très coopérative, fondée sur le principe des communs, à l'exemple de Wikipédia, une deuxième plus capitaliste, et une troisième qui est en cohérence avec les politiques publiques ». L'adjointe au maire cite plusieurs réalisations de ce type à Paris, comme le Carillon, un réseau de particuliers et commerçants solidaires qui aide les sans abris ; la Louve, un supermarché coopératif à but non lucratif qui vient d'ouvrir dans le 18ème arrondissement, dans lequel chacun des 3.000 membres donne trois heures de son temps toutes les quatre semaines, ou encore la cité des Makers, acteurs de l'économie circulaire.

Autre initiative parisienne, privée cette fois, "Lulu dans ma rue". « Il s'agit d'une conciergerie de quartier qui permet de trouver des gens de son quartier capables de donner un coup de main contre une petite rémunération via une plateforme collaborative » décrit Charles-Edouard Vincent, le fondateur. Lulu dans ma rue a ouvert un premier kiosque dans le Marais et prévoit dans ouvrir cinq nouveaux en 2017. Charles-Edouard Vincent est le créateur d'Emmaüs Défi, qui donne du travail à des personnes sans domicile fixe heure par heure. La structure née en 2007 emploie 200 salariés, dont 150 SDF. Lulu dans ma rue, elle, a réalisé un chiffre d'affaires de 50.000 euros avec 80 Lulus.

La Maif, mutuelle créé par des enseignants en 1934, accompagne 10 millions de personnes confrontées à ces nouveaux usages. « Crowdfunding, auto partage, dormir chez l'habitant : nous passons d'une ère de la propriété à l'âge de l'accès » estime Thomas Ollivier, responsable économie collaborative et pratiques émergentes de la Maif, qui a monté le fonds d'investissement Maif Avenir doté de 125 millions d'euros investis dans 17 start-up, dont Ouishare, qui participait à la table ronde.

Une monnaie locale made in England

D'autres villes que Paris expérimentent ces nouvelles pratiques, comme Bristol, ville de 440.000 habitants (1 million pour l'agglomération) du sud-ouest de l'Angleterre. En 2015, la cité anglaise a été  élue capitale verte de l'Europe, un prix qui récompense les efforts de la ville en matière de développement durable. « Nous avons enlevé des places de parking pour laisser plus de place aux cyclistes » détaille Stephen Hilton, directeur de Bristol Future.

Mais la ville est surtout connue pour sa monnaie locale, la livre de Bristol (Bristol pound). « C'est la seul monnaie locale à l'échelle d'une ville au Royaume-Uni, en usage depuis cinq ans. Pas besoin d'avoir un compte en banque pour l'utiliser dans les commerces locaux » explique Stephen Hilton. La parité est d'une Bristol pound pour une livre anglaise, et son but est d'aider les commerçants indépendants de la ville. Cette monnaie complémentaire est gérée par une entreprise non lucrative, la Bristol Pound Community Interest Company, avec la banque locale Bristol Credit Union.

Mais si cette économie du partage se répand dans les villes, il faut encore convaincre les responsables politiques nationaux de s'y intéresser. « L'année électorale qui s'annonce sera formidable si les candidats s'emparent de ces sujets. Oublions les indicateurs classiques de PIB et de croissance, et intéressons nous plus au vivre ensemble. Je propose aux candidats à la présidentielle de relire Ravage de Barjavel (roman qui décrit une société post électricité et le chaos qui s'en suit NdA) et de revoir le documentaire de Demain de Mélanie Laurent et Cyril Dion » s'enflamme Thomas Ollivier. Au niveau municipal, la Mairie de Paris a créé les Trophées de l'économie sociale et solidaire. Un outil pour soutenir et encourager les projets qui améliorent la résilience de la cité.

Par Patrick Cappelli, 
correspondant de La Tribune à Cities for Life

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+ Lire aussi : Dossier complet sur le Forum Smart City du Grand Paris

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Commentaires 3
à écrit le 29/11/2016 à 0:25
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Certaines personnes sortirons nécessairement du numérique en vieillissant, sauf si aide extérieure. C'est une donnée d'âge, rien d'autre. Quelques personnes sont franchement allergiques au numérique, comme d'autres sont geeks. Il faut faire avec.

à écrit le 28/11/2016 à 20:54
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On devrait peut-être commencer par les fractures sociales? Sinon, un SDF connecté recevant comme cadeau de Noel un smartphone, ca va?

à écrit le 28/11/2016 à 9:36
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C'est ce qui fait que les populations urbaines sont plus épanouies, plus éveillées que les populations rurales, cet indispensable besoin de partage, de vivre les uns avec les autres. D'ailleurs les citadins votent moins et quand ils y vont c'est ...

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