Terroir : Et le citron devint breton

Dans le nord du Finistère, le maraîcher Gilles Le Bihan expérimente la culture d’agrumes sous serre. Une production atypique, en pleine expansion.
Gilles Le Bihan dans ses serres situées à Roscoff (Finistère).
Gilles Le Bihan dans ses serres situées à Roscoff (Finistère). (Crédits : Gaëlle Colin / OUEST FRANCE)

Dehors, les bourrasques et le crachin se déchaînent, en ce jour d'octobre, faisant cliqueter l'armature métallique de la serre nichée dans la campagne de Roscoff. À l'intérieur, à l'abri des parois vitrées, s'épanouit sur 2 000 mètres carrés une dense forêt de jeunes citronniers. Un tableau étonnant dans ce coin du Finistère nord. « Ici, c'est le monde de l'artichaut, du chou-fleur et des oignons », décrit le maître des lieux, Gilles Le Bihan, comme amusé par sa propre audace. Voilà quatre ans que ce maraîcher, qui cultive principalement des tomates, des aubergines et des poivrons, a installé dans cette ancienne serre à légumes 800 plants rapportés de Sicile.

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Il y a là des citrons Meyer, « intéressants gustativement » ; des combavas, petits verts à la peau toute fripée, « parfaits pour les mojitos » ; des limquats jaunes, ovales et pointus, « très rigolos » - pas comme les kumquats et les calamondins, « pas faciles à valoriser ni à récolter ». Les yuzus, eux, « commencent à jaunir », attendus courant novembre. Tout comme les bergamotiers qui, pour la première année, devraient « bien donner, peut-être 50 à 100 kilos », escompte Gilles Le Bihan en montrant les fruits dodus cachés dans le feuillage. Mais les stars de la serre, sa production phare, ce sont les citrons caviar, verts ou rouges, petits et oblongs, à la chair formée de perles.

« On ne fait pas de quantités énormes, c'est plus pour la gastronomie », commente le maraîcher de 54 ans, qui écoule sa production, en conversion bio, auprès des restaurateurs du coin, notamment des étoilés, ainsi que dans des épiceries fines et chez un petit négociant.

Cet amateur d'expérimentation agricole avait « envie d'essayer autre chose ». Pour le plaisir, mais aussi pour se diversifier. « Je cherchais des produits atypiques, avec de la valeur ajoutée, explique-t-il. Sur les tomates, les aubergines et les poivrons, on subit la concurrence de l'Espagne et du Maroc. » Il s'agissait aussi de « trouver une culture qui a moins besoin de main-d'œuvre, parce qu'on en trouve très difficilement ». La production offre aussi l'avantage d'être peu chronophage et moins gourmande en eau que les tomates, même s'il faut passer allumer le goutte-à-goutte une fois par semaine, deux en cas de grosses chaleurs.

Des hivers sans gelées

En revanche, « rien à voir avec le changement climatique ». De toute façon, « ces cultures n'ont pas forcément besoin d'une météo méditerranéenne, mais tempérée », souligne Gilles Le Bihan. Le microclimat roscovite, avec son bon ensoleillement et ses hivers encore plus doux que dans le reste de la Bretagne, convient bien aux agrumes, qui ne supportent pas le gel. Et la serre, non chauffée, les protège du vent, l'autre repoussoir.

En Bretagne, les agrumiculteurs ne sont encore qu'une toute petite poignée. « Il faut des gens un peu frappés pour se lancer, puis il y en a d'autres qui copient », sourit Gilles Le Bihan, qui estime que sur ce créneau haut de gamme des agrumes atypiques les places sont limitées.

Loin de l'équilibre

Mais ils sont de plus en plus nombreux à se lancer, surfant sur l'engouement suscité par les livres et les émissions culinaires. « Depuis une dizaine d'années, la tendance croît sur ce marché de niche, surtout dans le Sud-Est et autour de Perpignan », analyse Gilles Bénaouf, conseiller agricole indépendant installé à Montpellier, spécialiste des agrumes. Pas question, bien sûr, de rivaliser avec les volumes et le savoir-faire séculaire du Maroc, de l'Espagne ou même de la Corse. « Tous ces petits producteurs sont en test, avertit Gilles Bénaouf. Ce sont des plantes difficiles à cultiver, entre les ravageurs, le besoin en fertilisants et en eau, la sensibilité aux aléas climatiques... »

À Roscoff, Gilles Le Bihan en a fait l'expérience. « La première année, les cochenilles sont venues nous embêter, raconte-t-il. Ça a été une catastrophe, on était à la limite de tout arrêter. » Depuis, entre les huiles essentielles, la lutte biologique et les poules qui font du ménage dans la serre, il est parvenu à maîtriser un peu les dégâts. Mais il l'avoue volontiers : il est « encore loin de l'équilibre », qu'il espère atteindre « dans quatre, cinq ans », quand ses arbres produiront davantage. Pas de quoi le dissuader d'expérimenter : il teste maintenant le gingembre, les fruits de la Passion et le poivrier. ■

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