Capital-risque : ces investisseurs qui financent l'essor de la Silicon Valley

Les patrons des fonds d'investissement les plus clairvoyants deviennent de véritables gourous, dont les analyses sont suivies avec la plus grande attention.
La Silicon Valley avec, au premier plan, le nouveau siège d'Apple en forme d'anneau, en cours d'achèvement sur cette photo du 13 janvier 2017
La Silicon Valley avec, au premier plan, le nouveau siège d'Apple en forme d'anneau, en cours d'achèvement sur cette photo du 13 janvier 2017 (Crédits : Reuters)

La Silicon Valley est célèbre pour ses entreprises digitales multimilliardaires parties à la conquête du monde (Google, Facebook, Apple, Uber), ses flamboyants entrepreneurs et CEO (de Marc Benioff à Elon Musk, en passant par Mark Zuckerberg) et son foisonnant écosystème de startups, sans doute le plus riche et dynamique au monde. Mais derrière toute cette fébrilité créatrice se cache le pouvoir financier, celui des fonds d'investissement en capital-risque, les fameux « VC » [venture capital, ndlr], qui décident ou non de donner sa chance à un projet en libérant la planche à billets. Apple et Microsoft ont décollé grâce à eux, tout comme Starbucks, Airbnb, Facebook, Dropbox et Twitter. En plus d'avoir les poches profondes, les investisseurs peuvent introduire leurs poulains parmi un réseau d'experts, et leur prodiguer des conseils stratégiques dignes de Sun Tzu et de Machiavel, susceptibles de leur permettre d'atteindre les sommets.

Savoir attirer l'attention d'un VC peut vite générer un effet boule de neige. Soucieux de ne pas rater la prochaine perle rare, ceux-ci scrutent attentivement le portefeuille d'investissement de leurs rivaux. Ainsi, débloquer des fonds auprès de l'un d'entre eux, surtout s'il s'agit de l'un des plus prestigieux, peut permettre de décrocher le jackpot auprès des autres. C'est également un signal fort envoyé à la presse, et la garantie de recruter plus facilement des employés sur un marché du travail ultra-compétitif.

Toutes les startups qui débloquent des fonds auprès des VC ne font pas fortune, loin de là. La plupart font même faillite au bout de quelques années. Mais, lorsqu'un projet décolle, les investisseurs décrochent le gros lot.

Les VC forment ainsi la quintessence du rêve américain, avec la possibilité donnée à chacun de s'enrichir rapidement, mais aussi de l'idéologie californienne, avec la volonté de transformer le monde par la technologie. Ces fonds d'investissement constituent les véritables maîtres de la Silicon Valley, et, au sein de cet écosystème, quelques personnalités majeures sont tout aussi révérées que les entrepreneurs les plus accomplis.

Peter Thiel et la « Paypal mafia »

Thiel a revendu l'essentiel de ce qui lui reste dans facebook

En la matière, l'un des réseaux les plus influents est constitué par la « PayPal mafia », un groupe d'entrepreneurs et d'investisseurs qui ont tous fait partie des fondateurs de PayPal, lancée en 1998 et revendue à eBay en 2002 pour 1,5 milliard de dollars. Ils comptent depuis parmi les investisseurs les plus prolifiques de la Silicon Valley. Parmi eux, on compte Reid Hoffman, cofondateur de LinkedIn, Elon Musk, que l'on ne présente plus, et son compère Peter Thiel. Moins connu que le flamboyant créateur de Tesla et SpaceX, Peter Thiel est aussi un entrepreneur à succès, qui a fondé la société de surveillance Palantir, et l'un des investisseurs les plus respectés au sein de la Silicon Valley. Éveiller l'intérêt de Peter Thiel revient, pour une jeune pousse, à décrocher le Saint Graal.

Après avoir empoché 55 millions de dollars lors de la revente de PayPal, Thiel a lancé son propre fonds spéculatif, Clarium Capital, à San Francisco, en 2002, puis, en 2005, un fonds d'investissement en capital-risque, le Founders Fund, dans la même ville. Ce dernier s'est depuis imposé comme l'un des plus rentables de la Silicon Valley, avec un retour de 4,60 dollars par dollar investi, contre une moyenne de 2,11 pour les autres fonds, selon le Wall Street Journal. Le Founders Fund a figuré parmi les premiers investisseurs de SpaceX, Lyft (le rival d'Uber), Airbnb et Stripe (spécialisée dans les paiements par Internet), ce qui a largement contribué à sa rentabilité. Mais Peter Thiel a aussi su entrevoir le potentiel de Facebook, alors que l'entreprise en était à ses balbutiements. En 2004, celui-ci investit 500000 dollars dans le réseau social que Mark Zuckerberg a lancé quelques mois plus tôt dans sa chambre à Harvard. Cette somme constitue le tout premier investissement externe reçu par Facebook. À coups de conseils avisés, Peter Thiel guide également le jeune entrepreneur sur la voie du succès, l'aidant notamment à planifier une levée de fonds juste avant que la crise financière de 2008 n'éclate. En mai 2012, Facebook entre en Bourse et atteint une valorisation de 100 milliards de dollars.

Parmi les argentiers de la Silicon Valley, Peter Thiel se distingue par son flair exceptionnel, mais aussi par sa personnalité hors-norme. Là où la majorité de ses pairs votent démocrate, Peter Thiel est un libertarien affirmé, qui a soutenu Donald Trump lors de l'élection de 2016 et participé au financement de sa campagne. De ses études à Stanford, où il a rencontré la plupart des cofondateurs de PayPal, Peter Thiel a tiré une grande méfiance vis-à-vis de l'université américaine, en laquelle il voit un outil à fabriquer du dogmatisme et du conformisme. Il a ainsi coécrit en 1999 un livre sur les ravages qu'a, selon lui, entraînés la culture du politiquement correct sur la liberté de penser et de débattre à l'université.

Il a mis ses idées en pratique en créant le programme Thiel Fellowship, qui offre des bourses de 100 000 dollars aux jeunes prêts à quitter l'université pour lancer un projet entrepreneurial. Il est aussi l'un des donateurs du Seasteading Institute, un projet cofondé par le petit-fils de l'économiste Milton Friedman, qui vise à créer une société autonome et libertarienne sur une île artificielle au large des côtes californiennes. Transhumaniste convaincu, il investit enfin une partie de sa fortune dans la recherche contre le vieillissement, et a créé un fonds d'investissement, le Breakout Labs, spécialisé dans les projets de biotechnologie les plus avant-gardistes.

Marc Andreessen et le technoévangélisme

C'est parmi les proches de Peter Thiel que l'on trouve un autre investisseur emblématique de la Silicon Valley : Marc Andreessen. Connu à la fois pour son hyperactivité sur Twitter (il twittait jusqu'à plus de 100 fois par jour avant de quitter le réseau social), son crâne de forme ovoïde et son talent pour débusquer les jeunes pousses prometteuses, il est le cofondateur, avec son ami Ben Horowitz, du fonds d'investissement en capital-risque Andreessen Horowitz, également surnommé a16z (pour les 16 lettres contenues entre le « a » de Andreessen et le « z » de Horowitz). Lancé en 2009, celui-ci est installé à Palo Alto, au coeur de la Silicon Valley, non loin de l'université de Stanford, mais aussi des locaux de Tesla et d'HP.

La firme s'est rendue célèbre dès la première année de sa création pour son investissement visionnaire dans Skype. En partenariat avec le fonds d'investissement Silver Lake Partner, elle rachète le service de vidéoconférence à eBay pour 2,75 milliards de dollars. Une somme jugée alors exorbitante, car peu nombreux sont ceux qui croient à l'avenir de Skype. Pourtant, tout juste deux ans plus tard, l'entreprise est revendue à Microsoft pour 8,5 milliards de dollars, soit une plus-value de presque 6 milliards ! Depuis, Andreessen Horowitz a investi dans la plupart des licornes que compte la Silicon Valley, de Lyft à GitHub en passant par Groupon, Facebook et Foursquare. Et Marc Andreessen a aiguillé de nombreux entrepreneurs en herbe avec ses conseils avisés. En 2006, Yahoo ! offre de racheter Facebook pour un milliard de dollars. Accel Partner, alors le plus gros investisseur du réseau social, presse Mark Zuckerberg d'accepter, mais Marc Andreessen, convaincu que Facebook vaudra bientôt beaucoup plus, parvient à convaincre le jeune entrepreneur de ne pas vendre. Facebook vaut aujourd'hui près de 500 milliards.

L'investisseur joue également un rôle clef dans les débuts d'Airbnb. En 2011, alors que la jeune pousse vient d'effectuer une seconde levée de fonds, elle doit faire face à un scandale qui menace son image, lorsque des utilisateurs ravagent un logement loué sur la plateforme à San Francisco. Brian Chesky, le fondateur et CEO, rédige une lettre à sa communauté, dans laquelle il s'engage à garantir 5 000 dollars de remboursement en cas de dommages, et envoie le brouillon à Marc Andreesen. Celui-ci le convainc d'ajouter un zéro à la somme. Pari réussi : la confiance revient et la plateforme décolle.

Quand il n'est pas occupé à débusquer la prochaine licorne, Marc Andreesen joue les évangélistes des nouvelles technologies, intervenant régulièrement dans les médias pour prêcher la bonne parole. Il réalise régulièrement des podcasts et est un habitué de la chaîne CNN. En 2011, il rédige une tribune dans le Wall Street Journal intitulée « Why software is eating the world » (« Pourquoi le logiciel dévore le monde »), dans laquelle il explique comment les nouvelles technologies bousculent les secteurs traditionnels, de la librairie (Amazon) au cinéma (Netflix) en passant par les services financiers (Square, PayPal). L'expression est depuis devenue culte. Pur produit de la Silicon Valley, Marc Andreessen est un techno-optimiste assumé, convaincu que les nouvelles technologies ont le pouvoir de rendre le monde meilleur et d'améliorer le quotidien de l'humanité, particulièrement dans les pays en développement.

Masayoshi Son, le multimilliardaire passionné de robotique

Masayoshi Son, Softbank

Mais ni Marc Andreessen ni Peter Thiel ne peuvent rivaliser avec les formidables capacités financières de Masayoshi Son, le fondateur et CEO du groupe japonais Softbank, dont le fonds d'investissement en capital-risque, Vision Fund, possède des bureaux à Tokyo, à Londres et, bien sûr, dans la Silicon Valley, où il investit à tour de bras. Doté d'une formidable trésorerie de 100 milliards de dollars, il cible particulièrement les secteurs de l'intelligence artificielle et de la robotique. Masayoshi Son est, en effet, un partisan convaincu de la théorie de la Singularité, qui postule que l'intelligence artificielle sera bientôt capable de dépasser les capacités du cerveau humain. Le fonds a ainsi investi dans Fetch Robotics, qui produit des robots transpalettes pour automatiser les entrepôts ; dans Nuro, qui fabrique des robots de livraison ; ou encore dans Zume, qui livre des pizzas faites par des machines. Softbank, c'est également le célèbre robot Pepper, qui appartient à la marque japonaise depuis le rachat du français Aldebaran Robotics.

Le groupe est aussi un important soutien financier d'Uber, et Vision Fund mène actuellement une ronde d'investissement qui vise à apporter un milliard de dollars à sa division consacrée à la recherche sur les voitures autonomes.

Mais le portefeuille d'investissement du fonds aux impressionnantes capacités financières s'étend au-delà de la robotique. En janvier dernier, deux milliards de dollars supplémentaires ont été versés dans WeWork, portant l'investissement total de Vision Fund dans l'entreprise de coworking à plus de 10 milliards. Depuis que celui-ci a commencé à mettre de l'argent dans WeWork, cette dernière a accéléré sa stratégie de croissance, doublé son nombre de localisations, acquis six entreprises, et s'est exportée au Brésil et en Inde. Vision Fund est financé en grande partie par des fonds saoudiens (qui lui ont versé 45 milliards de dollars en octobre dernier), ce qui lui a valu quelques difficultés d'image dans la presse lors de l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, mais n'a nullement stoppé sa stratégie d'investissements tous azimuts au coeur de la Silicon Valley. ¦

Softbank, c'est aussi le robot Pepper, qui appartient à la marque japonaise depuis le rachat du français Aldebaran Robotics.

[Crédits photos : Reuters]

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