Confronté à la grogne de ses clients, à la démotivation de ses salariés, et à une chute brutale de ses ventes de logiciels, SAP a remercié le président de son directoire, Leo Apotheker, après seulement neuf mois de mandat. Le conseil de surveillance du numéro un européen du logiciel a annoncé hier la nonreconduction, "d'un commun accord", du mandat du dirigeant, avec effet immédiat.

L'entreprise va réinstaurer la structure de direction bicéphale qu'elle affectionne. Deux recrues sélectionnées en interne, l'Américain Bill McDermott, actuel directeur général chargé des ventes, et le Danois Jim Hagemann Snabe, en charge du développement produit, se partageront le directoire. Les deux dirigeants seront maintenus sous le contrôle étroit d'Hasso Plattner, président du conseil de surveillance et cofondateur de SAP (le "P"» de SAP, c'est lui), qui « continuera à jouer un rôle important de conseil auprès des nouveaux dirigeants ».

Au sein de SAP, spécialiste des logiciels métiers (gestion des clients, suivi des opérations industrielles, RH...), l'épisode Apotheker laissera un souvenir franchement mitigé. Le dirigeant, Allemand francophile résidant à Paris, a pris la tête du groupe en 2008, officiant dans un premier temps en binôme avec son prédécesseur Henning Kagermann, avant la retraite de ce dernier, en mai 2009. Avec son profil commercial, Leo Apotheker apportait une crédibilité "business" à un éditeur certes talentueux, mais peut-être trop dominé par le rythme de développement de la recherche. Le dirigeant à la personnalité rugueuse, souvent décrit comme arrogant, a fait quelques impairs. "Je n'ai jamais rencontré quelqu'un, client ou investisseur, qui aime bien Leo Apotheker", souligne ainsi un analyste. "M. McDermott et M. Hagemann Snabe devraient adopter une attitude plus amicale à l'égard de la communauté financière", écrit pour sa part Exane BNP Paribas dans une note.

Humiliante retraite

SAP a enregistré une année 2009 assez médiocre. Le groupe encaisse un recul de 9 % de son chiffre d'affaires et de 10 % de son bénéfice net. Plus alarmant, les ventes de nouveaux logiciels ? indicateur d'activité future ? s'effondrent, de 28 %, soulignant les pertes de parts de marché de SAP au bénéfice de son grand concurrent Oracle. Au-delà de cette contre-performance, SAP s'est aliéné des clients en essayant de leur imposer, de manière unilatérale, une augmentation des frais de maintenance de leurs produits SAP.

Les clubs d'utilisateurs se sont rebiffés. Le ton est monté encore d'un cran lorsqu'ils ont appris que les clients allemands bénéficieront d'une dérogation. Devant le tollé suscité par cette démarche, SAP a dû opérer une humiliante retraite à la fin de l'année. Parallèlement, un sondage effectué en interne, en septembre dernier, donne la mesure de la désapprobation du management de Leo Apotheker et contribue à sceller son sort. Les employés, confrontés au premier plan de réduction d'effectifs de l'histoire, concernant 3.000 postes, montrent une forte démotivation, notamment au sein des équipes de R&D à Waldorf (Allemagne), au siège de l'entreprise.

Reste aujourd'hui à savoir si les remplaçants de Leo Apotheker sauront redonner de l'élan au groupe. Les marchés semblent en douter, qui ont sanctionné le titre à Francfort, lui faisant perdre 2,47 %, à 32,56 euros. On crédite Jim Hagemann Snabe, mathématicien de formation, d'être l'homme ad hoc pour bien conduire la recherche de SAP et surtout rassurer les utilisateurs. SAP a besoin de s'adapter au « cloud computing » et de trouver la bonne formule pour les PME-PMI, sur laquelle le lancement de son offre a beaucoup patiné. Bill McDermott, parfois décrit comme adepte d'un management assez militaire, a, quant à lui, contribué à augmenter les parts de marché de SAP sur le marché américain.