IA, smartphones, antitrust... Faut-il sauver le soldat Apple ?

Compétition croissante sur le marché du smartphone, pressions antimonopole, turbulences géopolitiques et course à l’IA générative annoncent une année difficile pour la marque à la pomme, qui ne manque toutefois pas de ressources pour y faire face.
Malgré les difficultés qui s'annoncent, Apple conserve de nombreuses cartes en main. Mais l'année 2024 s'annonce particulièrement complexe.
Malgré les difficultés qui s'annoncent, Apple conserve de nombreuses cartes en main. Mais l'année 2024 s'annonce particulièrement complexe. (Crédits : EDUARDO MUNOZ)

En apparence, Apple demeure solide. Le cours de son action est proche de son plus haut historique, et a été épargné par la chute qu'ont connue les autres Gafam en 2022 alors que s'estompaient les années fastes du Covid. Au dernier trimestre 2023, le groupe à la pomme a renoué avec la croissance après quatre trimestres de baisse consécutive, enregistrant une hausse de son chiffre d'affaires de 2,1%, et de 13% pour son résultat net. Les ventes d'iPhone, qui demeurent le cœur des affaires de l'entreprise, ont quant à elles bondi de 6%.

Pour autant, les nuages continuent de s'amonceler pour le groupe qui, de manière symbolique, a perdu début janvier son statut d'entreprise la mieux valorisée au monde, doublé par Microsoft, dont la valorisation s'envole suite à son pari payant sur l'IA générative, manifesté par son investissement massif dans OpenAI. La place de numéro 2 reste certes très enviable, mais Apple devra composer avec nombre de dangers lors de l'année qui s'ouvre.

Apple épinglé par les régulateurs les deux côtés de l'Atlantique

La première menace qui pèse sur Apple est de nature juridique, alors que les autorités antimonopole américaines et européennes passent ses pratiques au peigne fin. Un temps relativement épargné grâce à son focus sur la défense de la vie privée et au fait que son modèle d'affaires repose sur la vente de produits plutôt que sur le logiciel, le groupe est désormais ciblé pour ses pratiques jugées anticoncurrentielles. En octobre dernier, il a dû retirer de la vente la dernière version de son Apple Watch après que l'International Trade Commission, une agence fédérale américaine notamment chargée de trancher les litiges sur les brevets, a jugé que sa fonctionnalité de mesure du niveau d'oxygène dans le sang empiétait sur les brevets du fabricant américain d'appareils médicaux Masimo. La montre est depuis redevenue disponible sans cette fonctionnalité.

Aux États-Unis, toujours, le Département de la Justice, qui a pris un virage antimonopole sous Joe Biden, s'inquiète également du fait que l'Apple Watch marche mieux avec l'iPhone qu'avec d'autres smartphones et que le système de messagerie d'Apple ne soit pas disponible sur les appareils rivaux.

Plus préoccupant pour Apple, l'entrée en vigueur le 6 mars prochain des dispositions du Digital Markets Act qui s'appliquent à six géants du numérique, dont Apple. Elles obligeront le groupe à la pomme à renoncer à l'exclusivité de l'App Store pour installer des applications sur iPhone, ce qui pourrait permettre aux développeurs d'échapper aux commissions de 15% ou 30% prélevées par le groupe sur chaque achat ou abonnement. Un potentiel manque à gagner conséquent pour la société. Pour contrecarrer cette mesure, Apple a annoncé fin janvier de nouvelles mesures visant à dissuader les développeurs de contourner l'App Store, qui ont toutefois toutes les chances de braquer le régulateur européen et ont déjà valu au groupe des menaces voilées de Thierry Breton.

Menaces sur l'iPhone

La deuxième menace qui plane sur Apple concerne ce qui demeure sa poule aux œufs d'or malgré la diversification du groupe vers le logiciel et la réalité virtuelle : l'iPhone. Si les ventes du dernier trimestre 2023 ont été bonnes, la domination d'Apple sur le marché du smartphone semble de moins en moins solide. Apple a vendu 250 millions d'iPhone l'an dernier, un chiffre proche de celui de 2015 : si les ventes ont explosé durant les huit premières années, elles sont donc restées stables depuis. Apple a longtemps conservé ses bénéfices intacts malgré cette stagnation en augmentant ses prix, mais cette stratégie semble s'essouffler : le résultat net d'Apple n'a crû que de 2% en 2023, contre 10% en moyenne sur les dix années précédentes.

La situation pourrait également se dégrader en Chine, où en apparence tous les voyants sont pourtant au vert : l'Empire du Milieu a dépassé les États-Unis l'été dernier pour devenir le premier marché au monde pour la vente d'iPhone, et l'appareil phare du groupe à la pomme y est devenu en 2023 le smartphone le plus vendu, avec plus de 20% de parts de marché. Mais là encore, cette domination est moins solide qu'il y paraît : après avoir accusé le coup face aux sanctions lancées par l'administration Trump, le géant du smartphone Huawei regagne des parts de marché et a sorti l'été dernier à la surprise générale un smartphone équipé d'une puce 5G made in China. Au dernier trimestre 2023, les ventes d'Apple ont baissé de 9% en Chine, là où celles de Huawei ont crû de 71%.

Le gouvernement chinois a en outre interdit aux fonctionnaires d'utiliser un iPhone comme téléphone professionnel. En janvier, le groupe à la pomme a offert une rare remise sur ses téléphones en Chine pour redynamiser les ventes.

Tensions géopolitiques

Apple n'est pas seulement dépendant du marché chinois pour ses débouchés : malgré une stratégie de diversification entamée depuis quelques années, et visant à déplacer une partie de la production d'iPhone en Inde et au Vietnam, environ 90% des téléphones de la marque sont encore produits dans l'Empire du Milieu, comme le sont l'écrasante majorité des Mac et iPad. Les tensions géopolitiques croissantes entre les États-Unis et la Chine font donc peser une lourde menace sur sa chaîne de valeur.

Une menace dont Apple est bien conscient, selon Horace Dediu, un analyste indépendant qui suit l'industrie du mobile et Apple. « Si 90% des iPhone sont encore produits en Chine, la proportion était de 100% il y a deux ans ! La transition est donc bel et bien en train de se produire. Apple ne peut pas aller trop vite car sa chaîne de valeur est très complexe et par crainte de braquer les autorités chinoises. D'un autre côté, le groupe fait travailler des millions de personnes en Chine : pour Pékin, s'en prendre à Apple aurait donc aussi un coût politique certain. C'est un puzzle complexe. »

Si Joe Biden a largement maintenu et même poursuivi la politique de guerre commerciale contre la Chine menée par son prédécesseur, limitant par exemple les exportations des semi-conducteurs les plus avancés vers la Chine, un retour de Trump à la Maison-Blanche pourrait encore aggraver les tensions, ce dernier ayant récemment annoncé qu'il instaurerait de nouveaux tarifs douaniers une fois de retour au pouvoir.

Apple est-il en retard sur l'IA générative ?

Enfin, de nombreux observateurs s'inquiètent également du retard qu'Apple pourrait être en train de prendre dans la course à l'intelligence artificielle générative. Si le groupe s'est montré pionnier dans l'IA conversationnelle avec Siri, il s'est récemment laissé éclipser par les offensives de Microsoft et Google, et leurs produits Copilot et Bard. Là où Samsung et Google lancent sur le marché des smartphones bardés de nouvelles fonctionnalités liées à l'IA générative, incluant traduction vocale en temps réel et editing photo et vidéo survitaminé, Apple n'offre pas encore de smartphone dotés de telles fonctionnalités.

Preuve que le groupe a de la ressource, de récentes annonces positives ont eu lieu dans ce domaine. À l'automne dernier, des chercheurs d'Apple et de l'Université de Colombia ont lancé un modèle d'IA générative Open source baptisé Ferret. Apple a dans la foulée publié un papier montrant que ce modèle pourrait tourner sur un smartphone, performance impressionnante quand on sait que les modèles d'IA générative sont très gourmands en puissance informatique.

On aurait également tort de sous-estimer l'Apple Vision Pro, récemment lancé par la marque, selon Horace Dediu. « C'est un pas supplémentaire dans la stratégie qu'a adoptée Apple depuis le début : rendre l'informatique plus intuitive, naturelle et ergonomique. Il va falloir quelques années pour qu'il se démocratise, mais je pense qu'on se souviendra de 2024 comme de l'année de naissance de l'informatique spatiale, de même que 2007 reste l'année de l'iPhone. »

Malgré les difficultés qui s'annoncent, Apple conserve donc de nombreuses cartes en main. Mais l'année 2024 s'annonce particulièrement complexe pour son dirigeant, Tim Cook.

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Commentaires 6
à écrit le 22/02/2024 à 11:16
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Ce qui est étonnant avec cette entrprise, c'est qu'elle ne se soit pas diversifiée avec une filiale "Elevage de Colombidés". Ostensiblement, ils ont des compétences.

le 22/02/2024 à 11:40
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"Le commerce est l'école de la tromperie" Nicolas Machiavel "Le Prince en 1532. C'est pas nouveau.

à écrit le 22/02/2024 à 8:33
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Quand on a une pression anti-monopole c'est que l'on touche ou bien on est pas loin de toucher un monopole voulant signifier que tout va bien plutôt. Bravo à eux, de véritables génies du commerce en vendant leurs téléphones comme on veut des bijoux. ...

le 22/02/2024 à 9:37
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Steve Jobs était de loin le meilleur vendeur du petit monde de la high tech...

le 22/02/2024 à 10:19
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Après il s'est distingué facilement car au milieu de geeks, lui ne l'était pas il a su parfaitement ménager la chèvre et le chou. Quand je le voyais faire ses conférences comme le prophète qu'ils nous vendaient je rigolais abondamment mais ça a parfa...

à écrit le 21/02/2024 à 15:43
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Dans la mesure où c'est un acteur ne donnant pas dans des domaines sensibles (militaire, santé, énergie...), je ne vois pas au nom de quoi il faudrait absolument sauver le soldat Apple...

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