Chine : la politique de Biden continue-t-elle la guerre économique de Trump par d’autres moyens ?

Le président des États-Unis entend limiter la possibilité pour les acteurs américains d’investir dans certaines technologies critiques en Chine. Mais derrière ce choix justifié par des enjeux de sécurité nationale, certains voient une guerre économique déguisée. Un sujet qui s’annonce brûlant dans le cadre de la campagne présidentielle.
Washington semble craindre de plus en plus que Pékin s'approprie la technologie américaine de pointe pour espionner les États-Unis.
Washington semble craindre de plus en plus que Pékin s'approprie la technologie américaine de pointe pour espionner les États-Unis. (Crédits : Reuters)

En juillet 2021, Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, affirmait lors d'un événement organisé par le gouvernement américain et consacré à l'intelligence artificielle (IA) que l'administration Biden « cherchait à évaluer l'impact des investissements américains à l'étranger susceptibles d'améliorer les capacités technologiques de nos concurrents d'une manière dangereuse pour la sécurité nationale américaine ».

Les résultats de cette doctrine ont été dûment mis en application en août, lorsque Joe Biden a annoncé par décret présidentiel de futures restrictions aux investissements américains dans les entreprises chinoises développant des technologies considérées comme sensibles. Les citoyens américains et résidents permanents qui font des affaires dans l'Empire du Milieu seront en outre tenus d'informer les autorités dans l'éventualité où ils coopéreraient avec des entreprises chinoises développant de telles technologies.

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Un cadre relativement restreint, mais amené à s'étendre

Concernant la définition du terme « sensible », la loi se cantonne pour l'heure aux semi-conducteurs les plus évolués, à l'informatique quantique et à certains modèles d'IA pouvant être utilisés par l'armée, les services de renseignements et le cyber-espionnage. Mais ce cadre pourra être étendu plus tard : selon le procédé juridique en vigueur aux États-Unis, le Département du Trésor sera en effet chargé d'appliquer ce décret pour en faire une loi, processus au cours duquel les modalités d'application, mais aussi le champ des technologies impliquées pourra être débattu.

« Si le nombre de technologies concernées est pour l'heure assez restreint, il ne s'agit que de la première étape d'un long cheminement : les mesures annoncées ne prendront pas effet immédiatement, mais d'ici six mois environ, et le cadre d'application pourra d'ici là être élargi », explique Scott Kennedy, expert de la Chine au Center for Strategic and International Studies, un laboratoire d'idées non partisan.

En outre, le décret ne cite pas seulement la Chine, mais potentiellement tout pays constituant une menace. Si pour l'heure seule la Chine est citée (avec Hong Kong et Macau), les mesures pourraient donc à l'avenir être appliquées à d'autres pays.

Craintes sécuritaires légitimes ou guerre économique déguisée ?

Washington semble craindre de plus en plus que Pékin s'approprie la technologie américaine de pointe pour espionner les États-Unis et concevoir des applications militaires susceptibles d'être utilisées contre eux en cas de conflit, alors que les tensions entre les deux puissances sont au plus haut, notamment autour de Taïwan. En octobre 2022, l'administration Biden a restreint l'exportation de semi-conducteurs hauts de gamme, ainsi que des équipements pour les produire, vers l'Empire du Milieu. Les autorités américaines ont également commencé à passer les investissements chinois dans les jeunes pousses américaines au peigne fin, en quête de signes d'espionnage.

Certains accusent toutefois Washington d'utiliser la sécurité nationale comme prétexte pour mener une guerre commerciale contre la Chine et affaiblir ainsi son principal rival économique. Une stratégie commencée sous la présidence Trump, avec une multiplication des taxes à l'importation sur les produits chinois, taxes que son successeur, qui a lancé un vaste programme de réindustrialisation, a largement laissées intactes.

« La Chine dénonce l'usage par les États-Unis de la sécurité nationale pour politiser les échanges commerciaux ainsi que la recherche scientifique et technologique, et s'en servir comme arme économique », a déclaré un porte-parole de l'ambassade chinoise à Washington après que Joe Biden a annoncé sa volonté de limiter certains investissements vers la Chine.

Un constat que partagent Yukon Huang et Geneviève Slosberg, du Carnegie Endowment for International Peace, un laboratoire d'idées non partisan : « les craintes en matière de sécurité servent désormais de justification pour réduire les échanges de l'Amérique avec la Chine et réduire le potentiel de croissance chinois », écrivent-ils.

Les technologies de pointe pouvant avoir plusieurs usages. Il n'est cependant pas toujours évident de distinguer ce qui relève de craintes sécuritaires légitimes de la guerre économique. « Il est pour moi très clair que le but de Joe Biden n'est pas d'affaiblir la croissance et le développement chinois, mais bien de défendre la sécurité nationale. Cette politique peut avoir des conséquences sur l'économie chinoise, mais ce n'est pas le but premier », affirme pour sa part Scott Kennedy.

Les investissements américains en Chine sont déjà en berne

Ces nouvelles restrictions surviennent alors que les investissements américains en Chine ont déjà considérablement baissé. D'une moyenne de 14 milliards de dollars par an entre 2005 et 2018, ils sont tombés à 8 milliards en 2022, selon le Rhodium group, un institut de recherche américain. Une conséquence des restrictions mises en place par le gouvernement américain, mais aussi de l'abandon tardif de sa politique zéro-Covid par Pékin, de son lent redémarrage depuis, et enfin de l'autoritarisme croissant de Xi Jinping qui rend le climat des affaires incertain.

Celui-ci pourrait encore s'aggraver après ces nouvelles annonces, susceptibles de conduire la Chine à riposter. « Suite aux restrictions annoncées autour des semi-conducteurs en octobre 2022, la Chine, qui n'avait jusqu'ici pas vraiment répondu aux sanctions économiques, a commencé à mettre en œuvre des représailles, limitant l'accès des entreprises étrangères aux données chinoises, renforçant leur loi sur le contre-espionnage et limitant l'exportation de certains minerais », rappelle Scott Kennedy.

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Reste à savoir si cette stratégie de découplage s'avérera efficace, ce dont doute le docteur Abigail Coplin, professeure adjointe au Vassar College. « Ces régulations partent du principe que les États-Unis sont en avance sur la Chine. Or, dans des domaines comme l'IA et l'informatique quantique, la Chine est à égalité, voire devant. Entraver les investissements américains vers l'Empire du Milieu risque donc de limiter les profits et la capacité d'apprendre de la concurrence pour les entreprises américaines, sans nécessairement handicaper les progrès chinois.

En outre, construire des murs autour de certaines industries ne les rend pas forcément plus sécurisées : le fait que les deux écosystèmes technologiques soient familiers l'un avec l'autre rend les relations sino-américaines plus sûres et stables. En se privant d'investir en Chine, on se prive également de savoir ce qui s'y passe, un problème à la fois en matière de compétitivité et de sécurité. »

Un enjeu majeur pour la présidentielle

Cette nouvelle vague de restrictions a en tout cas peu de chances de convaincre les candidats républicains à l'élection présidentielle qui, dans le cadre de la campagne, accusent Joe Biden d'être trop conciliant vis-à-vis de la Chine et promettent tous de durcir le ton face à Pékin. Donald Trump, qui fait la course en tête, a promis d'arrêter l'importation de tous produits essentiels venus de Chine, de limiter davantage la capacité des entreprises américaines à investir dans l'Empire du Milieu et même de « totalement éliminer la dépendance des États-Unis à la Chine. »

Son principal rival, le gouverneur de la Floride, Ron de Santis, n'est pas en reste, puisqu'après avoir interdit TikTok sur les appareils des fonctionnaires et dans les écoles de Floride, il a promis de rendre l'application illégale aux États-Unis après son arrivée à la Maison-Blanche. Il compte également répliquer à l'échelon fédéral une loi qu'il a mise en place dans son propre État, et qui interdit aux Chinois n'ayant pas la nationalité américaine ni le statut de résidents permanents d'acheter des terres à proximité des bases militaires et des infrastructures critiques.

Vivek Ramaswamy, autre candidat à l'investiture qui fait beaucoup parler de lui, propose quant à lui d'interdire purement et simplement aux entreprises américaines de faire des affaires en Chine. La plupart des candidats républicains ayant qualifié la Chine de danger numéro 1 pour les États-Unis, il est plus que probable que cette question revienne à maintes reprises dans les débats au cours de la campagne. « Le débat actuel est quelque peu surréaliste. L'idée d'intégrer la Chine dans le système économique international a été complètement abandonnée, et l'on se retrouve avec une ligne dure chez les démocrates contre une ligne ultra-dure chez les républicains », déplore Scott Kennedy.

Commentaires 6
à écrit le 26/08/2023 à 17:00
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Ce n'est pas une guerre économique c'est un rééquilibrage, j'ai appris en économie que les états unis avaient fait exprès de largement se déséquilibrer économiquement afin d'investir en masse dans l'esclave chinois et qu'il était évident qu'à un mome...

à écrit le 26/08/2023 à 11:08
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Pour mieux connaître la Chine, lisez les trois récits de Jean Tuan : "Un siècle chinois" (chez CLC Éditions) évoque le parcours de son père chinois arrivé en France en 1929, leur voyage en Chine en 1967 lors de la Révolution culturelle et les incroya...

à écrit le 25/08/2023 à 18:11
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Biden chez les soviets? Pour mémoire, une économie planifiée est un système qui ne fonctionne pas selon les lois du marché, mais selon un plan élaboré par l'administration centrale d'un Etat. Pendant la guerre froide, on pensait surtout au modèle éla...

à écrit le 25/08/2023 à 16:13
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A titre de réflexion le budget de la défense des USA n'est-il pas de l'ordre de 880 milliards.. quand à la mondialisation elle vient de donner raison aux Bricks (pétrole et matières premières) et bien entendu la Chine qui préfère à la guerre faire d...

à écrit le 25/08/2023 à 12:52
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Bonjour, quel surprise, les media découvrez enfin la guerre économique qui se jouent dans notre monde... La mondialisation voulus par les USA a enrichi le communistes chinois au points de faire basculer le monde... Maintenant que la place de Lie...

le 25/08/2023 à 14:04
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@ Rogger Tout ceci est vrai, mais le contraire est vrai aussi. Déduction, nous ne savons rien, nous sommes manipulés...bien sur il ne faut pas le dire😜

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