Financement des start-up : les industriels incités à monter en première ligne

Le gouvernement mettra en place cette année un amortissement fiscal destiné à encourager l'investissement des grandes entreprises dans les start-up. L'objectif : favoriser le développement de « l'open innovation ».
Christine Lejoux
Fleur Pellerin, ministre déléguée aux PME, à l'Innovation et à l'Économie numérique, présente le Plan de soutien à l'innovation, le 5 novembre dernier. / Reuters

Innover seules dans le secret de leurs labos ou centres de recherche, les grandes entreprises pouvaient encore se le permettre il y a quelques années. Aujourd'hui, l'innovation dite fermée, ultraconfidentielle et protégée, sans la moindre ouverture sur l'extérieur, est devenue risquée pour les grands groupes, face à la multiplication de start-up plus inventives et agiles les unes que les autres.

Cette concurrence amène les multinationales françaises à s'intéresser aujourd'hui de près à « l'open innovation » (innovation ouverte), un concept développé en 2003 par Henry Chesbrough - professeur à l'université de Berkeley (Californie) - pour définir les innovations résultant de collaborations entre grandes entreprises, laboratoires publics de recherche et start-up. Des collaborations qui permettent d'accélérer les processus d'innovation et d'en partager les coûts.

Les avantages de l'innovation ouverte

Le gouvernement français les a bien compris, lui qui cherche à dynamiser l'innovation afin de relancer la croissance économique et la compétitivité dans l'Hexagone.

« Pour promouvoir l'innovation ouverte, les échanges et partenariats fructueux entre entreprises, le gouvernement veut encourager l'investissement des grandes entreprises dans les PME innovantes », avait expliqué Fleur Pellerin, la ministre en charge des PME, de l'Innovation et de l'Économie numérique, le 5 novembre, lors de la présentation du Plan de soutien à l'innovation.

Concrètement, la ministre a annoncé la mise en place, à partir de 2014, d'un amortissement fiscal (lire encadré) bénéficiant aux sociétés qui investissent - directement ou par l'intermédiaire de fonds, et de façon minoritaire - dans des PME innovantes. Une manière d'encourager le « corporate venture » (capital-risque d'entreprise, voir encadré), qui ne représente encore que 5 % du financement des start-up et des PME innovantes en France, contre 16 % aux États-Unis, selon l'Association française des investisseurs pour la croissance (Afic). Il faut dire que le corporate venture existe depuis les années 1970 outre-Atlantique, où les géants du high-tech comme Cisco et Intel ont très vite compris l'intérêt de développer un écosystème entrepreneurial autour d'eux afin d'innover le plus rapidement possible.

Depuis cinq ans, une volonté des entreprises françaises

En France, le capital-risque d'entreprise s'est fortement développé à la fin des années 1990, un enthousiasme vite douché par l'éclatement de la bulle Internet. Mais le voilà qui redécolle depuis quelques années. Avec notamment la création, en 2009, par Schneider Electric, Alstom et Rhodia (groupe Solvay), d'Aster Capital Partners, d'un fonds de capital-risque spécialisé dans les cleantech, c'est-à-dire les techniques et les services industriels utilisant les ressources naturelles. Deux ans plus tard, ce sont la SNCF, Total et Orange qui ont porté sur les fonts baptismaux Ecomobilité Ventures, destiné à investir dans des solutions de mobilité innovantes.

Dans l'intervalle, en 2010, Suez Environnement avait donné naissance à Blue Orange, un fonds dédié aux technologies de l'eau et des déchets. Mais dans quelle mesure le capital-risque d'entreprise peut-il véritablement favoriser l'innovation ouverte ? Ces fonds d'industriels ne sont-ils pas mus essentiellement par un intérêt financier, à l'image des sociétés de capital-investissement classiques, qui ont pour objectif de revendre leurs participations dans des start-up avec une plus-value maximale ?

De fait, en 2011, la cession à Prosodie (groupe Capgemini) de sa participation dans l'agence de marketing mobile Backelite avait permis à SFR Développement - le fonds de capital-risque de l'opérateur de téléphonie - de multiplier sa mise par... dix.

« Ce qui intéresse les entreprises qui investissent dans des start-up, ce n'est pas le retour financier, mais l'accès à l'innovation », a martelé Denis Lucquin, directeur associé de la société de capital-risque Sofinnova Partners, au cours d'une table-ronde sur le capital-risque d'entreprise organisée à la fin de novembre par l'association PME Finance.

Et d'insister : « À chaque fois que des industriels ont souscrit à nos levées de fonds, c'était d'abord par intérêt stratégique, des groupes américains comme IBM peinant par exemple à cerner les innovations en Europe. »

Ainsi, lorsque le groupe de chimie Solvay et la société agro-industrielle Sofiprotéol avaient participé, en 2011, au lancement du fonds d'amorçage de Sofinnova -dédié à la chimie verte -, c'était dans une logique d'open innovation.

« Un concept récent, au sujet duquel les entreprises ont beaucoup évolué, réalisant la force des partenariats qu'elle peut engendrer, en offrant un accès privilégié aux innovations pour les uns [les grandes entreprises, ndlr] et en favorisant l'accès à la commercialisation pour les autres [les start-up] », observe Denis Lucquin.

« Le corporate venture a pour objectif l'open innovation, la construction d'une réussite commune entre grandes entreprises et start-up, afin de conquérir de nouveaux clients, de défricher de nouveaux marchés, de réduire les coûts [de recherche et de développement] », a renchéri Jean-François Caillard, vice-président chargé de l'innovation chez Suez Environnement, également invité à la table-ronde de PME Finance.

Plus précisément, les investissements de Blue Orange - le fonds de capital-risque du groupe de services aux collectivités, doté de 50 millions d'euros -ont pour vocation de « renforcer des innovations offrant de la valeur ajoutée aux business units de Suez Environnement. »

Un intérêt plus industriel que financier

Parmi les cinq participations détenues par Blue Orange figure par exemple la start-up orléanaise Sigrenea, qui a développé une technique de télémesure en temps réel du taux de remplissage des conteneurs de déchets, au moyen de capteurs placés dans ces derniers. Une innovation qui permet à Sita France, la business unit de Suez Environnement spécialisée dans la gestion des déchets, d'optimiser les passages de ses services de collecte. De son côté, Sigrenea bénéficie désormais d'un marché pour son invention, Sita France étant devenu son client.

Justement, ce partenariat n'aurait-il pas pu être simplement technologique et commercial, sans que Suez Environnement et Sigrenea nouent un lien capitalistique ?

« Le corporate venture vient en complément de collaborations stratégiques avec des start-up. Si nous investissons dans ces dernières, c'est parce que l'innovation nécessite du cash et présente un niveau de risque qui n'est pas forcément en adéquation avec celui que veulent prendre les fonds de capital-risque classiques », rétorque Jean-François Caillard.

De plus, avoir une grande entreprise comme actionnaire confère une certaine légitimité aux start-up :

« Le fait d'être adossé à STMicroelectronics nous aide à gagner la confiance de grands groupes d'électronique, notamment au Japon », reconnaît Éric Marcellin-Dibon, fondateur de la jeune pousse grenobloise MicroOled, qui conçoit des écrans miniatures pour les téléphones mobiles et les lecteurs MP3.

Le capital-risque d'entreprise serait donc financier par nécessité et non par intérêt ? Comme Denis Lucquin et Jean-François Caillard, Erik de La Rivière, associé au sein de la société de capital-risque Iris Capital, en est convaincu :

« L'intérêt d'Orange et de Publicis [qui se sont associés avec Iris Capital en 2012 pour créer trois fonds d'investissement dans l'économie numérique, dotés de plus de 300 millions d'euros au total] est industriel. Les deux groupes ne sont pas là pour mettre de l'argent et attendre du rendement. Leur motivation, c'est la veille technologique. »

Comme en décembre 2012, lorsque Orange, via Iris Capital, avait investi dans Lookout, une société spécialisée dans la protection des téléphones mobiles. En effet, même les très grandes entreprises ne peuvent pas tout faire, leurs équipes de R&D n'étant pas extensibles à l'infini. Être opérateur de téléphonie mobile est une chose, concevoir des solutions protégeant la confidentialité des données des utilisateurs de smartphones en est une autre. De plus, la taille de géants comme Orange peut constituer un frein à leur réactivité, alors même que les innovations se succèdent à un rythme de plus en plus rapide.

Du donnant-donnant, et sans ingérence de gestion

« Ce ne sont plus les gros qui mangent les petits, mais les rapides qui absorbent les lents », résume l'Afic, pour qui « le corporate venture permet [aux grandes entreprises] de s'ouvrir aux innovations, d'accélérer [leur] transformation ».

Et de disposer, au travers de leurs fonds de capital-risque, de « détecteurs » de start-up intéressantes à racheter, au risque de faire fuir leurs dirigeants et de briser net leur capacité d'innovation ?

« Nous ne sommes pas une tête chercheuse de fusions et d'acquisitions pour Orange et Publicis. D'ailleurs, lorsque nous avons accueilli ces deux groupes dans notre capital, nous avons décidé de ne plus jamais investir dans des opérateurs de télécommunications et des agences de publicité », se défend Erik de la Rivière, chez Iris Capital.

Cécile Ha Minh Tu, directrice des relations institutionnelles chez Airbus, est moins catégorique :

« À la base, Aerofund [le fonds d'investissement lancé en 2004 par Airbus et Safran, entre autres] n'avait pas été créé pour développer l'innovation, mais pour accélérer la concentration des petites PME sous-traitantes de l'aéronautique, qui avaient du mal à suivre nos cadences de livraisons », a-t-elle rappelé lors de la table ronde de PME Finance, à la fin de novembre.

Mais, si la consolidation de la filière aéronautique « demeure l'urgence », la vocation d'Aerofund a évolué en parallèle vers « l'accompagnement des PME dans leur capacité à innover », compte tenu des défis que représentent pour Airbus l'environnement et l'arrivée de nouveaux entrants, comme les constructeurs chinois.

Sans aller jusqu'au rachat pur et simple de la start-up, n'existe-t-il pas un risque que le groupe « investisseur » n'use de sa position d'actionnaire pour se montrer intrusif dans la stratégie de la jeune pousse, au risque, là encore, de brider sa propension à innover ?

« Un investisseur industriel qui outrepasse son rôle, qui met les pieds dans la gestion [de la start-up], est un mauvais investisseur », tacle Marc Brandsma, directeur général de Schibsted Growth, le fonds de capital-risque du groupe norvégien de médias, qui a investi en novembre dans la plate-forme Internet de crédit entre particuliers Prêt d'Union.

« Nous ne sommes pas idiots, nous nous renseignons sur les entreprises. Celles qui veulent continuer à faire du capital-risque encore longtemps ont donc tout intérêt à adopter de bonnes pratiques », assure Charles Egly, cofondateur de Prêt d'Union. Le capital-risque d'entreprise, c'est bel et bien du donnant-donnant.

_______

>>> FOCUS

LE CAPITAL-RISQUE D'ENTREPRISE, MODE D'EMPLOI

En matière de corporate venture, trois modèles économiques existent. Le premier consiste, pour une entreprise, à investir dans un fonds de capital-risque classique, lequel prend des participations dans des start-up. C'est le cas de la société de « venture » Sofinnova Partners, qui a régulièrement accueilli dans ses levées de fonds des industriels désireux de se doter de fenêtres sur l'innovation. Le deuxième business modèle, c'est celui d'une entreprise créant son propre fonds de capital-risque.

À l'image, par exemple, des groupes pharmaceutiques qui, confrontés à la perte de nombre de brevets tombés dans le domaine public, ont été contraints, ces vingt dernières années, de dénicher rapidement des innovations leur assurant des relais de croissance. Le troisième modèle - et le plus en vogue - est celui du fonds « multi-entreprise ». Plusieurs groupes s'associent pour créer un fonds de capital-risque, dont ils gardent la gestion ou la confient à des professionnels. C'est ce qu'ont fait la SNCF, Total et Orange, avec Ecomobilité Ventures. Ou bien encore Schneider Electric, Alstom et Rhodia (groupe Solvay), avec Aster Capital Partners. Un modèle qui permet de bénéficier d'une capacité d'investissement et d'un « deal flow » de dossiers plus importants.

UN DISPOSITIF FISCAL INCITATIF ET BIENTÔT OPÉRATIONNEL

Le gouvernement, dans le cadre du Plan de soutien à l'innovation, a proposé une incitation fiscale à l'investissement des entreprises dans les start-up. Tout groupe redevable de l'impôt sur les sociétés en France pourra amortir fiscalement, sur cinq ans, ses investissements dans le capital de PME européennes labellisées innovantes par Bpifrance, que ces investissements soient réalisés en direct ou via la souscription de parts de fonds de capital-risque.

Mais ces investissements ne devront pas excéder 1 % du total du bilan du groupe « investisseur ». Lequel devra, en outre, limiter chacune de ses prises de participation à 20 % du capital de la PME innovante, et s'engager à les garder durant deux ans au moins. L'enjeu de ce dispositif fiscal, qui devrait entrer en vigueur le 1er juillet 2014 ?

Permettre d'augmenter de 30 % le financement des start-up par les entreprises, à quelque 600 M € par an, espère Bercy. L'objectif final étant d'amener ce fameux corporate venture à prendre le relais des fonds de capital-risque classiques, qui n'ont plus les ressources nécessaires pour financer les jeunes pousses innovantes.

UN FINANCEMENT ESSENTIEL POUR LES START-UP

Le corporate venture en France

  • 23 fonds (appartenant à 18 groupes français et 5 étrangers)(1).
  • 600 M d'euros par an (+ 30%) : niveau visé par Bercy.
  • 5% en France (16% aux États-Unis), c'est la part du corporate venture dans le financement des start-up et PME innovantes(1).

Le corporate venture dans le monde

  • 51 milliards d'euros investis au cours des dix dernières années, dans près de 10.000 start-up et PME innovantes(2).
  • 900 fonds en 2013(1).

(1) Source : Afic (Association française des investisseurs pour la croissance).(2) Source : Bercy.

Christine Lejoux

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Commentaires 2
à écrit le 22/01/2014 à 0:23
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Tout ça est d'une hypocrisie folle - 35 h par semaine, c'est impossible en start up - la loi interdit de faire travailler un salarié plus de 48 H par semaine: impensable dans une start up - la loi interdit de faire travailler un salarié le dimanch...

le 22/01/2014 à 12:54
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Et pourtant, il y a quantités de start-ups en France .... votre argumentaire ne tient pas debout et est partiellement faux. Par ailleurs, vous semblez faire l'apologie de l'exploitation au travail ... c'est très indécent.

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