
La crise rattrape la French Tech : alors que l'emploi s'était maintenu dans les startups françaises au premier trimestre, les pépites tricolores ont supprimé, pour la première fois, plus de 3.600 emplois en avril, d'après les derniers chiffres de Numeum, l'une des principales organisations professionnelles de la tech en France, dans son baromètre mensuel réalisé avec les données de la plateforme Motherbase.
« Cette détérioration se traduit dans l'ensemble des secteurs, dont la GreenTech mais aussi les services informatiques, les martech, fintech, healthtech et HRtech, qui observent la plus forte baisse sur un an », précise Numeum. Ainsi, le nombre de startups créatrices d'emplois recule fortement en avril (-69 % par rapport au mois précédent). Dans le même temps, celles qui licencient progressent (+50%). Et comme une mauvaise nouvelle n'arrive jamais seule, cette tendance s'étend à l'ensemble du territoire métropolitain et particulièrement en région Île-de-France, qui représente plus de 60 % des emplois supprimés, soit près de 2.200 pertes d'emplois sur 3.600.
Pour l'instant, le solde 2023 reste positif grâce au premier trimestre. A l'échelle nationale, les startups de la French Tech enregistrent ainsi la création nette de près de 5 000 emplois depuis le début d'année, malgré la perte d'avril.
Pour les prochains mois, Numeum ne se mouille pas et incite à la « prudence » en raison de « perspectives floues » sur le front de l'emploi. Mais la tendance n'incite pas à l'optimisme, et il y a fort à parier que mai et juin s'inscriront dans la tendance d'avril, d'après nos entretiens avec des experts, startups et investisseurs.
Pression des investisseurs
L'emploi dans les startups de la French Tech est vraisemblablement en train de subir la même trajectoire que les levées de fonds : une chute avec quelques mois d'écart sur le reste du monde, en raison des amortisseurs de crise propres à la France. Ainsi, alors que les levées de fonds s'effondraient aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou encore en Allemagne dès le premier semestre 2022, la France a fait illusion toute l'année avant de voir l'investissement dans ses startups s'effondrer brutalement au premier trimestre 2023.
« Le même phénomène risque de se produire pour l'emploi : on a vu les géants de la tech et de nombreuses startups survalorisées réduire la voilure en 2022 et début 2023 en conséquence de la chute des valorisations, et il y a fort à parier que le même phénomène arrivera en France quand on entrera nous aussi dans le dur », nous indiquait Franck Sebag, associé chez EY et expert du capital-risque, en début d'année.
Effectivement, d'après nos informations, les investisseurs mettent la pression sur leurs startups, et notamment sur les licornes -les pépites non cotées valorisées au moins un milliard de dollars-, pour réduire leurs coûts. Même si le phénomène des survalorisations est moins important en France qu'aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, beaucoup de startups françaises ont levé des fonds en 2021 et 2022 à des niveaux de valorisation trop élevés, qu'elles ne retrouveront pas si elles ont besoin de relever de l'argent cette année ou en 2024. « En réalité, avec la crise, pas mal de licornes françaises n'en sont plus ou ont vu leur valorisation fondre. Elles doivent repousser leur prochaine levée de fonds au maximum en espérant un retournement du marché, sinon elles vont être dévaluées. Il faut donc préserver le cash au maximum et on encourage toutes nos participations à réduire les coûts partout où c'est possible », nous confie un investisseur d'un des plus grands fonds français.
En janvier, la licorne Back Market, spécialiste des produits électroniques reconditionnés, a supprimé 13% de ses effectifs, soit 93 emplois. En mars, la licorne PayFit, qui propose un logiciel de gestion des ressources humaines et d'automatisation de la paie, s'est séparée de 200 collaborateurs, soit 20% des effectifs.
Suppressions déguisées de postes
De nombreuses autres pépites de la French Tech refusent, pour des raisons d'image, d'annoncer des licenciements économiques, mais suppriment bien des postes à tout-va de manière déguisée. Départs non remplacés, périodes d'essais et CDD non renouvelés, sont désormais monnaie courante dans la plupart des startups phares de la French Tech, y compris chez la plus importante d'entre elles, Doctolib, porte-étendard national. ManoMano, Ankorstore, Ynsect, Sunday ou encore Jellysmack, entre autres, ont également supprimé des postes de cette manière, d'après nos informations.
Alors qu'ils étaient les rois du monde, les entrepreneurs sont désormais sous pression et certains le vivent mal. « Le temps des recrutements en pagaille et des investissements agressifs pour croître plus vite, c'est fini car les investisseurs sont obsédés par la rentabilité », nous confie un dirigeant d'une des startups phares de la French Tech. Cet entrepreneur, très connecté à son écosystème, craint de passer d'un excès à un autre.
« C'est violent car la rentabilité rapide, ce n'est pas le modèle des startups. Après l'euphorie, beaucoup d'investisseurs ont aujourd'hui une frilosité extrême, c'est comme s'ils étaient paralysés à l'idée de prendre des risques, alors que c'est censé être leur métier. Il faut leur montrer des projections de croissance et de rentabilité à court terme, mais une startup n'est pas une PME. Pendant ce temps, la compétition mondiale continue et il faudrait veiller à ne pas couper les vannes trop vite et trop fort sous peine de nous pénaliser », tonne-t-il.
Aucune amélioration sur le front des levées de fonds ne se profile à l'horizon, et les startups subissent également une pression sur les prix liée à l'inflation et à la crise énergétique, qui les empêche de répercuter sur leurs tarifs la hausse des salaires et des coûts de fonctionnement.
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