Clap de fin pour Quibi, le "Netflix des formats courts" : autopsie d'une bulle

Très loin de son objectif de 7,4 millions d'abonnés fin 2020, la plateforme Quibi, qui se définit comme le "Netflix des formats courts", met la clé sous la porte. Prix trop élevé, trop petit catalogue, positionnement bancal : malgré le soutien de nombreuses célébrités et 1,75 milliard de dollars levés avant même son lancement, l'utopie de Quibi s'est fracassée sur la réalité du marché. Autopsie d'une bulle.
Sylvain Rolland
(Crédits : Reuters)

[Article initialement publié le 21 octobre à 15h, mis à jour avec l'annonce de la fermeture du service le 22 octobre à 9h05].

En avril, lors du lancement en grande pompe de Quibi, le "Netflix des formats courts" soutenu par pléthore de stars et des moyens financiers délirants, La Tribune était dubitative : "y'a-t-il un public prêt à payer pour ce genre de contenus ?". Six mois plus tard, la réponse est claire : non. Malgré un lancement en plein confinement, qui s'est traduit par une explosion de l'usage du streaming vidéo, le grand-public n'a pas faim pour les "quicks bites" (petites bouchées) de Quibi, qui vient d'annoncer sa fermeture. La plateforme de vidéo à la demande sur abonnement (SVoD) a vainement tenté de se faire racheter, mais les cibles potentielles (Facebook, le studio NBCUniversal) ont décliné d'après le site The Information.

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Sur le papier, tout pour réussir : une innovation technologique, un nouvel usage, le soutien du tout-Hollywood et de la Silicon Valley

Depuis sa création en 2018, Quibi avait tout du pari fou. Pour se faire une place sur le marché bondé du streaming vidéo, la plateforme a misé sur trois atouts. Une innovation d'usage tout d'abord : le succès de YouTube et le fait que de plus en plus de personnes regardent leurs vidéos sur leur smartphone, ont donné l'idée d'une plateforme de streaming proposant uniquement des formats courts, jusqu'à une dizaine de minutes maximum, qu'on peut regarder dès qu'on a un moment, dans les transports par exemple.

Une innovation technologique, ensuite : Quibi a voulu proposer des contenus de haute qualité, spécialement conçus pour des usages mobiles. Ses programmes étaient réalisés à la fois dans un format vertical et horizontal, pour que l'utilisateur passe automatiquement de l'un à l'autre en fonction de l'inclinaison de l'écran. Unique dans le paysage du streaming vidéo.

Enfin, le troisième atout était le pedigree des dirigeants, gage de crédibilité : une star d'Hollywood, une de la Silicon Valley. La plateforme a été cofondée par Jeffrey Katzenberg, ancien patron de Disney dans les années 1990 et cofondateur des studios DreamWorks, et Meg Whitman, l'ex-patronne d'eBay et de Hewlett-Packard.

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La recette était tellement appétissante que Quibi s'est empiffré d'argent : la startup a levé 1,75 milliard de dollars, dont 750 juste avant son lancement, sur une simple promesse, celle de révolutionner le secteur du streaming vidéo pourtant naissant. Ce soutien lui a permis de séduire tout le gratin d'Hollywood. De Steven Spielberg à Jennifer Lopez, en passant par Guillermo del Toro, Queen Latifah, Naomi Watts, LeBron James, Tom Cruise, Idis Elba ou encore les frères Farrelly -une petite sélection qui comprend des dizaines de grands noms-, tout le monde voulait en être, persuadés que Quibi ne pouvait être qu'un énorme succès.

Au moment du lancement, la plateforme proposait une cinquantaine de programmes, avec l'espoir raisonnable -étant donné les noms derrière les projets- de faire le buzz pour décoller.

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Prix et positionnement inadaptés aux besoins des consommateurs

Mais l'ultime juge de paix, le public, ne s'est pas laissé embarquer par la hype. En septembre, Quibi avait séduit moins de 2 millions d'abonnés, d'après le Wall Street Journal. L'objectif initial de 7,4 millions d'ici à la fin de l'année 2020 était donc inatteignable. La pilule est amère : aucun des 175 films, émissions et documentaires disponibles à ce jour, découpés en 9.600 épisodes de 4 à 10 minutes, n'a fait le buzz. Malgré sa débauche de moyens, Quibi vivotait dans la quasi indifférence générale.

L'inadaptation entre l'offre et la demande peut expliquer cette douche froide. Comme La Tribune se le demandait au moment du lancement, le grand public était-il prêt, alors que le marché est déjà saturé, à payer un abonnement de 5 dollars par mois avec publicités (8 dollars sans), pour bénéficier d'un tout petit catalogue de formats courts ? Le prix paraît cher à la fois pour la cible -les jeunes, grands consommateurs de vidéos sur YouTube et les réseaux sociaux comme TikTok et Snapchat- et par rapport à la concurrence. Effectivement, Disney+ et l'offre la plus basse de Netflix ne sont pas beaucoup plus chers pour un catalogue pléthorique, qui se regarde aussi en mobilité.

La crise du Covid-19 a également fait perdre à Quibi l'un de ses arguments phares : la promesse de regarder des contenus courts de qualité "hollywoodienne" dans les transports. Le confinement, puis la démocratisation et peut-être la généralisation dans les années à venir du télétravail, ont ringardisé quelque peu le positionnement de Quibi, et ont certainement joué dans le refus des éventuels repreneurs. D'autant plus que l'innovation technologique de la vidéo qui s'adapte parfaitement à l'inclinaison de l'écran, bien que plaisante, ne semble pas résoudre un besoin crucial des consommateurs de formats courts.

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Pas assez d'atouts pour se faire racheter

En vente depuis quelques mois, le service n'a pas réussi à trouver preneur malgré la hype. En plus des faiblesses de son positionnement sur le marché et de son modèle économique, Quibi en cumulait une troisième : il n'était pas propriétaire de ses contenus.

Pour attirer les talents, la plateforme leur promettait de leur reverser l'intégralité de la propriété intellectuelle de leurs programmes au bout de sept ans. Autrement dit, Quibi n'a même pas pu monétiser ce qui fait la force de Netflix : ses contenus originaux, puisque aucun n'était amené à rester sur sa plateforme de manière pérenne. Autre facteur qui a pu effrayer les repreneurs : la startup était engluée dans un contentieux avec Eko Interactive, un concurrent qui l'accuse de viol de brevets sur la technologie de "double écran".

Il n'y a donc pas eu de rebondissement hollywoodien de dernière minute pour sauver Quibi, qui devient un cas d'école de la fausse bonne idée érigée en bulle, qui se crashe violemment au contact de la réalité du marché.

Sylvain Rolland

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Commentaires 2
à écrit le 23/10/2020 à 8:23
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Un beau fiasco médiatisé au départ par BF M...

à écrit le 22/10/2020 à 9:26
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Comme quoi ils sont pas si influents que cela à la silicon valley hein ! Par contre pas étonnant que ces guignols du Spectacle eux n'en aient aucune influence.

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