Comment la loi SREN entend limiter les pratiques anticoncurrentielles sur le cloud

Dans la droite ligne du Data Act européen, la loi française votée cette semaine encadrera les frais de transfert et améliorera l’interopérabilité entre les différents cloud. Elle va aussi plus loin que la législation européenne en encadrant plus sévèrement les crédits cloud.
L'une des ambitions de la loi SREN est de faire en sorte qu'ils n'abusent pas de leur position dominante (Photo d'illustration).
L'une des ambitions de la loi SREN est de faire en sorte qu'ils n'abusent pas de leur position dominante (Photo d'illustration). (Crédits : Creative Commons)

Adoptée par l'Assemblée nationale mercredi, la loi visant à « sécuriser et réguler l'espace numérique » (SREN) couvre un grand nombre de sujets allant de la régulation des contenus sur les réseaux sociaux à l'accès aux sites pornographiques, en passant par l'hébergement des données de santé. Mais elle comprend aussi un aspect qui pourrait changer le visage du marché de l'informatique en nuage.

Il s'agit aujourd'hui d'un marché oligopolistique, nettement dominé par les géants américains : Amazon Web Services, Microsoft Azure et Google Cloud. À eux trois, ils détiennent 65% des parts de marché mondial sur le cloud. L'une des ambitions de la loi SREN, dans la droite ligne du Data Act européen (entré en vigueur le 11 janvier 2024 et applicable à partir de septembre 2025), est dans ce contexte de faire en sorte qu'ils n'abusent pas de leur position dominante pour dicter des règles abusives à leurs clients et empêcher l'émergence de concurrents.

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Un encadrement des frais de transfert

L'une des grandes mesures du texte consiste, à cet égard, à encadrer les frais de transfert, que facturent les géants de l'informatique en nuage lorsqu'un de leurs clients souhaite migrer ses données sur un cloud rival ou sur ses propres serveurs. Pour peu qu'il s'agisse d'une grande entreprise hébergeant une vaste quantité de données, ces frais peuvent chiffrer en centaine de milliers, voire en millions d'euros.

Les géants du cloud les justifient en affirmant que de telles opérations s'avèrent très complexes techniquement et donc très coûteuses. L'Autorité de la concurrence française a affirmé l'an dernier que le montant de ces frais étaient, en réalité, déconnectés des coûts réels supportés par les fournisseurs, et limitaient la concurrence en décourageant les clients des ténors du cloud d'aller voir ailleurs. Deux prestataires français de cloud, Scaleway et OVHCloud, ont également pointé du doigt ces pratiques. Un avis partagé par la Competition & Markets Administration, le gendarme de la concurrence britannique, qui a ouvert une enquête contre AWS et Azure pour cette raison, à l'instar de la Federal Trade Commission, son homologue américain.

« Aujourd'hui, pour changer de fournisseur cloud, une entreprise doit payer des frais représentant 125% de son coût d'abonnement annuel », commente une personne de l'entourage de Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du Numérique, pour La Tribune.

Désormais, « les frais de transfert devront être facturés dans le respect d'un montant maximal de tarification qui sera fixé par arrêté de la SENUM après proposition de l'ARCEP. En cas de non-respect de cette interdiction, le fournisseur de cloud s'expose à une amende pouvant aller jusqu'à 3% de son CA mondial, et jusqu'à 5% en cas de récidive. »

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Une mesure anticipée par les géants du cloud

Cette décision est alignée sur le Data Act, qui prévoit également d'encadrer ses frais de transfert à partir de début 2027, calendrier sur lequel table aussi la loi SREN. Au cours des derniers mois, les trois géants du cloud ont, du reste, commencé à anticiper ces nouvelles règles en supprimant les frais lorsque leurs clients transfèrent l'intégralité de leurs données, ce qui exclut une migration effectuée dans le cadre d'une stratégie cloud hybride ou multi cloud.

Pour être en accord avec la loi française et européenne, ils devront donc, à l'avenir, également limiter les frais dans le cas d'un transfert partiel. En sachant que les frais de transfert ne sont qu'un aspect limitant la concurrence sur le cloud, comme le rappelle... Google.

« Éliminer les frais de transfert en cas de changement de fournisseur va permettre aux clients de passer plus facilement d'un prestataire cloud à l'autre. Cependant, cela ne résoudra pas un problème fondamental qui empêche de nombreux clients de travailler avec leur fournisseur préféré en premier lieu : les pratiques de licence aussi injustes que restrictives. Certains fournisseurs traditionnels s'appuient sur leurs monopoles logiciels sur site pour créer des monopoles dans le cloud, en utilisant des pratiques restrictives en matière de licences qui verrouillent les clients et entravent la concurrence », expliquait Amit Zavery, vice-président et responsable des plates-formes chez Google Cloud, qui a été le premier à supprimer les frais de transfert sous certaines conditions.

Une pique adressée à Microsoft et à son offre Microsoft365 basée sur Azure, qui suscite également l'intérêt des régulateurs.

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Un plafonnement qui ne va pas faire que des heureux

Toujours dans l'optique d'éviter les entraves à la concurrence en facilitant le passage d'un cloud à l'autre, la loi SREN prévoit d'obliger les acteurs du cloud à garantir l'interopérabilité et la portabilité des données entre leurs différentes solutions.

Si les règles spécifiques encadrant cette obligation devront être établies par l'Arcep, l'étude d'impact réalisée en amont de la loi citait l'absence d'une interface de programmation permettant l'interopérabilité comme l'un des principaux obstacles à la migration d'un cloud vers l'autre, il est donc probable que celle-ci fasse partie des futures obligations. Là encore, la loi reprend l'une des dispositions prévues par le Data Act.

Elle va, en revanche, plus loin que celui-ci sur un autre point : l'encadrement des crédits cloud, ces avoirs commerciaux que les entreprises du secteur utilisent pour fidéliser leur clientèle. Avec la nouvelle loi, ceux-ci seront limités à un an maximum, ce qui est cohérent avec les recommandations de l'Autorité de la concurrence parues l'an passé. « Si une régulation des crédits cloud est retenue, l'Autorité recommande de faire une distinction entre les crédits cloud offerts sous forme de test ou d'essai gratuits limités à une durée de quelques mois et les crédits cloud proposés sous forme de programmes d'accompagnement des entreprises, qui ont une valeur et une durée substantiellement plus élevées », avait-elle alors déclaré.

« Les startups, en particulier celles dont le potentiel économique et technologique est particulièrement prometteur, sont la cible prioritaire des crédits cloud offerts par les fournisseurs dominants sur le marché du cloud au travers de programmes d'accompagnement.

Ces derniers s'étendant pour la plupart sur une durée d'un an, nous avons choisi cette limitation temporelle, qui permettra ainsi de ne pas placer nos entreprises dans une situation de dépendance technologique durable tout en leur permettant néanmoins d'atteindre une taille critique », note le porte-parole du cabinet de Marina Ferrari.

La mesure risque toutefois de ne pas faire que des heureux, selon Eric Le Quellenec, avocat chez Simmons & Simmons, spécialisé dans le droit du numérique. « S'il s'agit d'une noble intention qui vise à faciliter le passage d'un prestataire à l'autre, dans la pratique, la migration des données d'un cloud à l'autre étant une très lourde opération, elle est rarement accomplie par les entreprises. Nombre d'entre elles vont ainsi simplement se retrouver avec des frais dans le cloud plus élevé, le Cigref a d'ailleurs réagi à cet égard. »

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