Concurrence : la CMA, le régulateur britannique qui va faire trembler le monde de la tech en 2024

En passant l'investissement de Microsoft dans OpenAI au peigne fin, le gendarme de la concurrence britannique montre de nouveau qu'il entend constituer un acteur majeur dans la régulation de la tech.
Sam Altman, dirigeant d'OpenAI, et Satya Nadella, à la tête de Microsoft.
Sam Altman, dirigeant d'OpenAI, et Satya Nadella, à la tête de Microsoft. (Crédits : Creative Commons)

L'année 2023 s'achève sur une nouvelle offensive de la Competition and Markets Authority, le gendarme de la concurrence britannique. Très active cette année, il y a toutes les chances pour que cette agence fasse de nouveau couler beaucoup d'encre en 2024.

Longtemps relativement épargné par les autorités antimonopoles par rapport aux autres Gafam, Microsoft est de plus en plus rattrapé par la réalité. Dernièrement, le géant du numérique s'est retrouvé dans le collimateur de l'autorité britannique de la concurrence.

La Competition and Markets Authority s'inquiète en effet des liens du géant de Redmond avec OpenAI, l'entreprise d'intelligence artificielle (IA) dirigée par Sam Altman qui se trouve derrière le logiciel de création d'images Dall-E et le chatbot ChatGPT. Ce mois-ci, elle a ouvert une consultation publique à cet égard, susceptible de déboucher sur l'ouverture d'une enquête dès le mois de janvier.

Vers l'ouverture d'une enquête antimonopole contre Microsoft ?

« La consultation publique constitue un préalable à l'ouverture d'une enquête, laquelle pourra potentiellement être ouverte une fois que la CMA aura reçu les informations dont elle a besoin des différentes parties prenantes », déclare Sorcha O'Carroll, chargée des fusions-acquisitions à la CMA. La décision d'ouvrir ou non une enquête dépendra du contrôle effectif qu'exerce Microsoft sur OpenAI.

« L'originalité du système britannique tient au fait que les entreprises réalisant une fusion ne sont pas contraintes de demander l'autorisation de la CMA. En revanche, si un certain nombre de critères sont remplis (par exemple, si le chiffre d'affaires des deux sociétés dépasse un certain montant), la CMA peut décider d'ouvrir une enquête a posteriori. C'est donc un système à double tranchant pour les entreprises », explique Alex Haffner, associé chez Fladgate, un cabinet d'avocats londonien.

Témoignant sous couvert d'anonymat, un membre de la CMA affirme ainsi que de récents développements ont conduit l'organisme à considérer qu'il y a une chance pour que l'investissement de Microsoft dans OpenAI soit considéré comme une fusion par la loi britannique, ce qui justifierait l'ouverture d'une enquête évaluant l'effet d'une telle fusion sur le paysage concurrentiel autour de l'IA.

Microsoft a-t-il pris le contrôle d'OpenAI ?

OpenAI a été fondée en 2015 par plusieurs entrepreneurs et investisseurs de la Silicon Valley, dont Elon Musk, Peter Thiel et Sam Altman (l'actuel dirigeant). Elle est à l'origine une organisation à but non lucratif visant à développer l'IA pour le bénéfice du plus grand nombre. À partir de 2019, elle abandonne son but non lucratif et Microsoft commence à investir dans la société. Les montants que le géant de Redmond a promis de verser à OpenAI totalisent aujourd'hui 13 milliards de dollars, et lui permettent de contrôler près de la moitié de son capital.

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En échange, il doit récupérer la moitié des profits générés par OpenAI jusqu'au remboursement de son investissement. Microsoft a aussi obtenu plusieurs concessions, dont l'exclusivité des modèles d'OpenAI pour Azure, le fournisseur cloud de Microsoft, ainsi le seul à pouvoir proposer ces modèles à ses clients.

En novembre dernier, Sam Altman a été éjecté de la tête d'OpenAI suite à une fronde du conseil d'administration de l'entreprise. Mais le jeune entrepreneur a été réinstauré à son poste quelques jours plus tard, suite à une mobilisation des salariés d'OpenAI refusant son départ, mais aussi grâce à des manœuvres en coulisse de Satya Nadella, le dirigeant de Microsoft, disposant d'une arme de poids sous la forme des milliards investis par son entreprise pour faire plier le conseil. Satya Nadella a ensuite déclaré que Microsoft avait nécessairement son mot à dire dans les décisions de l'entreprise.

« La CMA fait indirectement allusion aux événements de novembre dans ses déclarations. Ces derniers ont mis en lumière le pouvoir d'influence dont bénéficie Microsoft, qui a en outre obtenu de nouveaux droits suite à cet épisode, droits dont on ne connaît pas très bien la nature et que le processus de consultation publique va permettre de déterminer. En fonction de ceux-ci, la CMA jugera si nous sommes bien en présence d'une acquisition déguisée en investissement, et s'il y a danger potentiel pour la concurrence », explique Alex Haffner

Pour Russ Shaw, fondateur de London Tech Advocates, un réseau londonien d'acteurs des nouvelles technologies, la CMA, à l'instar des régulateurs européens et américains, entend ne pas réitérer l'erreur commise vis-à-vis des réseaux sociaux et préfère réguler en amont un secteur de l'IA en plein essor avant que certains mastodontes ne deviennent ultra-dominants. « Ils veulent s'assurer du fait que Microsoft n'est pas en passe de devenir le seul fournisseur de technologies innovantes autour de l'IA générative et que toutes les entreprises ont accès à celles-ci sur un marché ouvert », explique-t-il.

Un régulateur de plus en plus redouté

LA CMA a retrouvé la pleine capacité de ses fonctions depuis le Brexit et, contrairement à ce que la tradition du laissez-faire britannique pourrait laisser penser, s'impose comme l'une des agences les plus fermes face aux Gafam, dans un paysage pourtant déjà peu amène vis-à-vis de ces derniers, entre une Commission européenne également véhémente et, aux États-Unis, une Federal Trade Commission dirigée par Lina Khan, partisane d'une ligne dure contre les Gafam.

« Lorsqu'elle constate un danger pour la concurrence, la Commission laisse en général la porte ouverte à la fusion, en permettant aux entreprises impliquées de donner des garanties qui permettront d'assurer que la compétition sera respectée malgré le rachat. La CMA, de son côté, ne donne généralement pas cette possibilité, à moins qu'il s'agisse par exemple d'un département particulier de l'entreprise rachetée qui pose problème et qu'il soit possible de se séparer de celui-ci, ce qui n'est pas toujours le cas. Cela donne des verdicts plus binaires : c'est oui ou c'est non », explique Verity Egerton-Doyle, codirectrice de la technologie au sein du cabinet d'avocat Linklaters.

Et c'est de plus en plus souvent le non qui l'emporte. Depuis sa création en 2013 jusqu'en 2017, la CMA bloquait 30% des dossiers qu'elle étudiait. Depuis 2018, cette part est montée à 57%.

La CMA peut également frapper plus fort que ses homologues d'outre-Atlantique. « Pour bloquer une fusion, la FTC ou le département de la Justice américain doivent intenter un procès. Au Royaume-Uni, c'est l'inverse : la décision de la CMA suffit à bloquer la fusion, et c'est aux parties concernées de faire appel de la décision », note Verity Egerton-Doyle.

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Lors de l'année qui s'achève, l'autorité britannique s'est déjà opposée au rachat de Blizzard pour 69 milliards de dollars par Microsoft avant de donner son feu vert suite aux concessions du géant de Redmond. Elle a également ouvert une enquête sur les pratiques anticoncurrentielles des ténors du cloud. Il y a donc fort à parier pour qu'en 2024, Microsoft mais aussi d'autres géants technologiques aient maille à partir avec le régulateur britannique.

Mais pour Russ Shaw, si elle sait se montrer ferme, la CMA est toutefois une autorité pragmatique, dont les décisions bénéficient à un écosystème technologique britannique d'ailleurs en plein essor.

« Comme l'a illustré l'acquisition de Blizzard par Microsoft, dans laquelle la CMA a su infléchir sa position après que Microsoft a fait les concessions adéquates, il s'agit d'une agence très pragmatique, guidée par sa mission (stimuler la compétition) plutôt que par l'idéologie. Le marché des nouvelles technologies, et en particulier de l'IA, a besoin de régulations adaptées, et les régulateurs britanniques comme la CMA mais aussi la Financial Conduct Authority se montrent pour l'heure à la hauteur de la tâche », se félicite-t-il.

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Commentaires 2
à écrit le 28/12/2023 à 7:46
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les brits finissent toujours peu ou prou par faire ce qque dit le cousin yank.......apres, personne n'est dupe, chacun veut se faire mousser, mais je doute qu'in fine il s'agisse de se couper de tout ca.......

à écrit le 27/12/2023 à 18:53
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Il va être indispensable de faire le ménage et de dégager le maximum d'usines à gaz sinon les deep learning s'en serviront mieux que ceux qui y sont ce qui pour nous autres peut aussi devenir particulièrement savoureux à contempler. Enfin il se passe...

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