
Mistral gagnant ou tempête dans un verre d'eau ? Seul l'avenir le dira, mais la startup française Mistral AI, créée il y a à peine un mois à Paris, part sur des chapeaux de roues dans la course mondiale à l'intelligence artificielle générative, dominée par ChatGPT. La pépite parisienne a annoncé mardi 13 juin au soir une levée de fonds de 105 millions d'euros pour lui permettre de créer des modèles d'intelligence artificielle générative en open source pour les entreprises. Le montant du tour de table est un record pour une startup d'IA française, et également un record tout court pour une startup française si jeune, qui n'a encore rien prouvé.
Coup de poker
Cet investissement massif est porté par le fonds américain Lightspeed Venture, aux côtés des grands patrons français Xavier Niel et Rodolphe Saadé, Bpifrance, les fonds français JCDecaux Holding et Motier Ventures -le fonds des Galeries Lafayette-, la Famiglia et Headline en Allemagne, Exor Ventures en Italie, Sofina en Belgique ou encore First Minute Capital et LocalGlobe au Royaume-Uni, ainsi que l'ex-PDG de Google, Eric Schmidt. L'opération valorise l'entreprise à 260 millions d'euros... alors qu'elle n'a encore concrètement rien fait.
Si Mistral AI a réussi à attirer un tel portfolio d'investisseurs dans un contexte de crise des levées de fonds, c'est parce que la pépite a été fondée par trois chercheurs français de l'IA passés par les géants américains. Son PDG, Arthur Mensch, 30 ans, expert des modèles de langage, vient de passer près de trois ans au sein de DeepMind, le laboratoire d'IA de Google. Les deux autres cofondateurs viennent de Meta (Facebook) : Guillaume Lample est l'un des créateurs du modèle de langage LLaMA dévoilé par Meta en février, et Timothée Lacroix était lui aussi chercheur chez Meta.
Reste désormais le plus dur : délivrer. La promesse de Mistral AI est de développer et d'entraîner des grands modèles de langages en open source à destination des entreprises, pour leur permettre d'utiliser l'intelligence artificielle générative (c'est-à-dire capables de générer du texte ou des images sur la base de commandes) dans leur infrastructure, tout en gardant le contrôle de leurs données et de leur propriété intellectuelle. Un ChatGPT français, en quelque sorte.
Une startup déjà politique et stratégique
L'enjeu est crucial pour la France, qui est très en retard dans la course à l'intelligence artificielle générative, actuellement dominée par les géants américains Microsoft (qui finance OpenAI le créateur de ChatGPT), Google (avec Bard), ou encore Meta (avec Llama). Sur les onze licornes mondiales -startups non cotées valorisées au moins 1 milliard de dollars- spécialisées dans l'IA générative, aucune n'est française, ni même européenne. Or, l'arrivée à maturité de l'IA est perçue comme un « game changer » technologique pour les entreprises, et l'une des clés de la performance des entreprises et de la compétitivité de demain.
Affichant de grandes ambitions en la matière mais peu de résultats concrets jusqu'à présent, la France tient donc avec Mistral AI sa meilleure chance théorique de briller dans le domaine. C'est pourquoi rien n'a été laissé au hasard : l'annonce du tour de table intervient la veille du lancement du salon VivaTech, et la startup sera aux côtés d'Emmanuel Macron sur scène ce mercredi lorsque le président annoncera de nouvelles mesures pour développer l'IA en France.
« C'est un enjeu majeur car l'IA générative a vocation de se disséminer dans le tissu économique et social. Il est impensable que la France soit dépendante de solutions qui seraient entre les mains de puissants intérêts extra-européens dans ce domaine », a réagi Jean-Noël Barrot, le ministre délégué à la Transition numérique et aux Télécommunications, auprès de La Tribune.
L'équipe fondatrice pourra également s'appuyer sur les expertises de Jean-Charles Samuelian et Charles Gorintin, cofondateurs du néo-assureur Alan, et de Cédric O, ancien secrétaire d'Etat au Numérique. Pour réussir dans l'IA générative, la qualité de l'équipe et d'importants moyens financiers sont considérés comme les meilleurs atouts pour réussir. Mistral AI, qui a encore tout à prouver, part donc sous les meilleurs auspices, mais ces 105 millions d'euros restent néanmoins une somme très inférieure aux milliards de dollars que les géants américains dépensent dans leurs projets d'IA.
Sujets les + commentés