La transformation numérique des TPE/PME, un angle mort des Gafam à exploiter pour la France

Seuls 14% des dirigeants de TPE/PME estiment qu'ils sont arrivés à un stade de numérisation maîtrisé, mais deux tiers veulent augmenter leurs investissements dans leur transformation culturelle. D'après le cabinet de conseil Farbernovel, il y a donc une opportunité économique pour la France, d'autant plus que les géants du numérique américains, à commencer par les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) peinent toujours à toucher les plus petites entreprises.
Sylvain Rolland
Si seulement 14% des TPE/PME s'estiment correctement numérisés, deux tiers souhaitent augmenter leurs investissements dans leur transformation numérique.

La révolution numérique a tellement changé nos usages privés et professionnels qu'on a tendance à oublier que des pans entiers de l'économie sont encore mal, ou peu digitalisés. C'est le cas des TPE, PME et ETI françaises, qui restent encore, d'après plusieurs études dont l'Insee, largement sous-numérisées. Elles pèsent pourtant 99% des entreprises de France (93,6% pour les TPE, 6,1% pour les PME et 0,2% pour les ETI) et 72,4% des emplois créés en 2021 d'après l'Insee et le gouvernement.

Pourtant, le potentiel économique apparaît gigantesque : d'après le cabinet de conseil Fabernovel, récemment racheté par EY, 78% des dirigeants de TPE et de PME pensent que le numérique est un bénéfice réel, mais seulement 14% s'estiment arrivés à un stade de digitalisation « maîtrisé ». Cette proportion est même inférieure à la perception pré-Covid, qui s'établissait à dix points de plus, soit 25%. « Avant le Covid, beaucoup de petites entreprises pensaient que se digitaliser, c'était acheter des ordinateurs, faire passer la comptabilité sur un logiciel et avoir un site web à 2000 euros » explique Cyril Vart, partner chez Fabernovel.

Le Covid-19 et ses confinements, qui ont brusquement arrêté l'activité de nombreuses entreprises forcées de recourir au chômage partiel et aux prêts garantis par l'Etat pour survivre, ont fait office de révélateur. Tous les secteurs de l'économie et toutes les typologies d'entreprises ont acheté des équipements numériques, comme des logiciels de visioconférence ou de gestion RH. Ainsi, aujourd'hui, si seulement 14% des TPE/PME s'estiment correctement numérisés, deux tiers souhaitent augmenter leurs investissements dans leur transformation numérique.

Des freins difficilement surmontables perdurent

Problème : les défis de la transformation numérique restent très nombreux. D'après une étude de l'Insee d'avril 2022, 63% des dirigeants perçoivent encore la digitalisation comme une contrainte. Et malgré l'actualité foisonnante des cyberattaques d'envergure et leur impact parfois mortel sur leur cible, 51% des dirigeants ne se sentent toujours pas suffisamment concernés pour prendre des mesures. Ainsi, si Fabernovel relève que deux tiers des entrepreneurs de TPE et PME souhaitent investir dans leur transformation numérique, cette part chute parmi les TPE seules d'après l'Insee : seuls 4% dirigeants déclarent des projets dans le numérique, qu'il s'agisse de digitalisation de leur activité ou de cybersécurité. « Ce pragmatisme est conforme à l'organisation de beaucoup de ces entreprises où la plupart des métiers sont portés sur l'activité immédiate », décrypte l'Insee.

Fabernovel ajoute d'autres freins majeurs : le financement de la transformation numérique, l'information des dirigeants et la formation des équipes, une mauvaise perception de l'impact positif du numérique sur l'activité, et la grande problématique du recrutement de profils experts du numérique.

« Les petites et moyennes entreprises n'ont pas les mêmes marges de manœuvre en termes d'investissements que les grandes, donc quelques milliers d'euros pour numériser son activité paraissent déjà conséquents. Surtout que la moitié des dirigeants ne savent pas mesurer l'impact du numérique sur leur chiffre d'affaires, pour eux c'est avant tout un poste de coûts, les discours sur la nécessité de la transformation paraissent déconnectés de leurs enjeux », soulève Cyril Vart.

A ces questions sur le financement et l'utilité même de la transformation s'ajoutent un problème de compétences. « La transformation numérique doit être incarnée par le patron pour les TPE, un directeur informatique ou un profil technique pour une PME, or les talents tech sont davantage attirés par les entreprises du secteur de la tech et les grands groupes que par l'industrie ou d'autres secteurs d'activités », relève Cyril Vart.

La collaboration entre les entreprises, le chaînon manquant

Ainsi, les grands bénéfices de la transformation numérique restent mal perçus. L'évolution des canaux de distribution permet ainsi de repenser l'expérience client et donc de fidéliser ou de recruter davantage ; le business model peut être modifié ou complété grâce à la dimension numérique ; l'exploitation de la donnée permet d'optimiser ses coûts en digitalisant les tâches à faible valeur ajoutée, tout en affinant sa stratégie et ses opérations en ciblant mieux les besoins et attentes des clients. Enfin, le numérique permet aussi de mieux piloter son image et sa communication.

Pour Fabernovel, la France dispose donc d'une vraie fenêtre de tir. Car les géants américains du numérique, notamment les fameux Gafam - Google, Apple, Facebook devenu Meta, Amazon, Microsoft - peinent à toucher de nombreuses entreprises, notamment les plus petites et dans les secteurs les plus éloignés du numérique.

Fabernovel cite ainsi pour l'exemple les secteurs de l'alimentaire et de l'hospitalité touristique. « On connaît déjà l'impact majeur que peut avoir l'optimisation de la supply chain pour tous les acteurs de la distribution. Quand on sait que 30% de la nourriture transportée est périmée avant d'arriver à destination, un pilotage par la donnée pourrait réduire significativement cette proportion », estime Cyril Vart.

Dans le secteur de l'hospitalité, c'est l'éparpillement des entreprises (hôtels, restaurants, sites touristiques) et leur manque de volonté pour collaborer ensemble qui pénalisent leur transformation numérique. « Le problème c'est l'accès à la donnée qualifiée. Si les acteurs d'une zone étaient tous sur une plateforme de réservation touristique commune, ils pourraient beaucoup mieux connaître le parcours des touristes, mesurer ce qui les intéresse, déduire des améliorations dans leur propre offre », note-t-il.

Pour aider les entreprises à se mettre les pieds à l'étrier, le cabinet de conseil suggère plusieurs pistes de coopération : « se partager » des profils experts du numérique entre plusieurs entreprises, ou encore se regrouper en pour financer un outil commun pour investir dans un CRM commun.

Sylvain Rolland

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