Jeux vidéo : pourquoi le modèle du « free-to-play » a encore de beaux jours devant lui

League of Legends, Candy Crush Saga, Fortnite, Genshin Impact... et désormais « Les Sims 4 », le célèbre jeu développé par Electronic Arts, qui est devenu gratuit ce 18 octobre, huit ans après sa sortie initiale. Et pour cause. Véritable stratégie commerciale, le modèle du « free-to-play » (F2P) prend de l'ampleur et constitue une aubaine pour les studios de jeux vidéo comme pour les consommateurs. Toutefois, cette méthode n'est pas sans risque. Explications.
Bien que ces jeux soient synonymes de gratuité pour les joueurs, ils ne sont pourtant pas sans revenus.
Bien que ces jeux soient synonymes de gratuité pour les joueurs, ils ne sont pourtant pas sans revenus. (Crédits : Bloomberg)

Avec 2,7 milliards de joueurs, le marché du jeu vidéo pèse environ 300 milliards de dollars de recettes au niveau mondial, selon une étude publiée en avril 2021 par le cabinet Accenture. Un record notamment dû aux différents modèles économiques qui se développent : premium, freemium, « free-to-play » ou encore « play-to-earn ». D'ici à fin 2023, ce secteur devrait même atteindre les trois milliards de joueurs.

« En 2021, alors même que nous aurions pu attendre une forme de retour à la normale, l'industrie française du jeu vidéo signe une nouvelle performance record, avec un chiffre d'affaires de 5,6 milliards d'euros, en progression de +1,6% (par rapport à 2020, ndlr) », précisait Julie Chalmette, présidente du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL), dans une étude parue en mars 2022.

Ainsi, la progression de cette industrie est fulgurante et le modèle « free-to-play » (F2P), que l'on pourrait traduire par « libre de jouer », en est l'une des principales composantes. Il permet aux joueurs d'acquérir gratuitement ou à un prix infime (moins d'un euro) un jeu vidéo. S'il peut être utilisé sans dépenser un centime, de nombreuses microtransactions sont proposées afin d'améliorer l'expérience des utilisateurs. Une méthode qui rapporte gros, et qui risque encore de s'accélérer avec l'arrivée des NFT (jetons non fongibles qui permettent de fixer le prix de la rareté d'un bien numérique) et le Metaverse qui vise à offrir de nouveaux univers de jeu.

Le « free-to-play » : 95% des revenus de l'industrie d'ici 2025

Déjà, en 2020, le marché du « free-to-play » représentait 98,4 milliards de dollars, soit une augmentation de 9% par rapport à 2019, selon l'étude « 2020 Year in review » de SuperData Research. Au total, ce modèle représentait 78% des revenus de l'industrie du jeu vidéo, et ce chiffre devrait atteindre 95% d'ici 2025.

En outre, bien qu'une grande partie des ressources de ce secteur proviennent des jeux sur mobiles (73,8 milliards de dollars en 2020), ce modèle économique tend à se développer sur d'autres supports. En effet, le F2P investit désormais ordinateurs, tablettes ou encore téléviseurs... En 2020, le modèle F2P sur PC représentait déjà 22,7 milliards de dollars, et l'étude prévoyait une augmentation de ce revenu pour l'année 2021 (23,1 milliards de dollars). Par conséquent, les scénarios pour jouer se multiplient et les cibles autrefois écartées des jeux vidéo, telles que les femmes, découvrent ce loisir (46% des joueurs étaient des joueuses en 2020).

En effet, tandis que les jeux traditionnels concentrent notamment les joueurs les plus assidus, surnommés « hardcore gamers », les jeux suivant le modèle F2P attirent un public inédit : les joueurs occasionnels, dit « casual gamers ». Ces derniers, novices dans l'univers des jeux vidéo, représentent la majorité de la population. « 73% des Français jouent aux jeux vidéo au moins occasionnellement », selon le SELL, représentant ainsi 38,29 millions de joueurs. Ici réside tout l'intérêt des franchises d'attirer ces utilisateurs.

De nouveaux modes de monétisation

Si les jeux vidéo coûtent aujourd'hui entre 40 et 60 euros à l'achat, le modèle du « free-to-play » rapporte bien plus à l'entreprise sur le long terme qu'une simple vente. Et de nouveaux modes de monétisations sont apparus dans l'univers du jeu vidéo, à l'instar de la publicité. Bénéficiant d'une large audience, ces jeux F2P peuvent intéresser les annonceurs. En effet, ces jeux offrent à l'afficheur une grande visibilité et à la franchise une rémunération à chaque visionnage. De plus, ces titres gratuits récoltent des données (notamment de localisation) sur leurs utilisateurs et peuvent proposer aux marques des publicités personnalisées, bien plus rémunératrices. Une pratique dénoncée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) dès 2019...

Autre levier de rétribution du « free-to-play » : les micro-paiements. Ce système de monétisation, inédit dans le secteur du divertissement dit vidéoludique, repose sur la vente de biens virtuels. Les joueurs peuvent acheter tenues, armes et bien d'autres accessoires afin de se différencier des autres utilisateurs. « Ce qui fait fonctionner une économie free-to-play, c'est la rareté. Savoir que vous avez obtenu des récompenses, des expériences et des biens virtuels rares (difficiles à gagner ou chers à acquérir) est satisfaisant » explique Jon Radoff, entrepreneur et auteur américain, dans une publication pour le magazine Medium. Ainsi, en mettant les joueurs en compétition, les micro-transactions s'avèrent être une source de revenus astucieuse et rémunératrice pour les franchises.

Une difficile fidélisation des joueurs

Un bémol toutefois du F2P, seuls 5 à 10% des joueurs finissent par acheter des contenus additionnels, selon la Revue des médias. Ainsi, la vente de biens virtuels ne repose que sur quelques gros acheteurs, surnommés « whales » (« baleines » en français) dans le milieu. De nombreux joueurs se méfient de ce modèle économique, et certains évoquent même une « escroquerie ».

De plus, le système du « free-to-play », dont les cibles principales sont les joueurs occasionnels, ne permet pas réellement aux franchises de fidéliser les joueurs. « La plupart des casual gamers ne sont pas loyaux à une marque. Cela rend difficile la survie des studios de développement, puisque chaque consommateur gagné doit être de nouveau conquis pour un prochain jeu », déplorait Thomas Henshell, ancien concepteur de jeux sur mobile, dans une tribune publiée sur Gamasutra. Ainsi, avec l'explosion des offres gratuites ces dernières années, la gratuité n'est plus un argument suffisant pour les consommateurs.

Enfin, la publicité pour financer cette apparente gratuité peut dégrader l'expérience utilisateur et fragiliser l'image de marque d'un studio. « Avec la publicité, nous pouvons perdre des utilisateurs. Sans parler des bugs que son intégration peut causer », déclarait Benjamin Faure, ancien directeur Marketing et Projets au sein de SCIMOB (studio de développement de jeux sur mobile), auprès de la Revue des médias. Ainsi, l'innovation doit permettre aux développeurs de faire accepter les encarts publicitaires plus facilement. « Nous avons mis en place un système de publicités récompensées : lorsqu'un joueur visionne la vidéo d'un annonceur, il reçoit une récompense en échange » précisait-il.

__________

ZOOM : Le « play-to-earn », variante du F2P, en plein boom avec le développement des NFT

Si le modèle économique du « free-to-play » investit le marché des jeux vidéo depuis une dizaine d'années, le « play-to-earn » (P2E) a récemment fait son apparition. Tandis que tous les bénéfices du F2P sont reversés aux créateurs et distributeurs, le P2E permet aux joueurs de gagner de l'argent en échangeant ou en vendant des éléments du jeu. Ils peuvent notamment vendre des NFT, jetons permettant aux joueurs de posséder des objets uniques dans le jeu, qui se développent considérablement depuis plus d'un an, en parallèle du Metaverse.

Ces fameux « non fungible token » sont des fichiers numériques auxquels sont attachés des certificats d'authenticité numérique garantie par une blockchain (base de données sans organe central de contrôle), les rendant uniques et non interchangeables. Le fait qu'ils soient non fongibles permet ainsi à leur valeur marchande de fluctuer, raison pour laquelle certains NFT se revendent à prix d'or. Ainsi, leur apparition sur le marché des jeux vidéo réinvente les modèles économiques et les différents modes de jeu.

Lire aussiCrypto-actifs : comment créer et lancer un NFT ?

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 26/10/2022 à 20:14
Signaler
Free-to-play ou Pay-to-win?

à écrit le 25/10/2022 à 18:28
Signaler
Le FreeToPlay s'apparente à un casino, dont les machines à sous sont trafiquées. Ce "marché" de 300 Milliards de dollars va subir une correction. Car les combines des gens qui font ces jeux vidéos sont visibles, via des statistiques. Le système qui...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.