Farming Simulator : comment un jeu vidéo a rendu l’agriculture cool

Pâtissant d’un déficit d’image, l’agriculture connaît un étonnant retour de hype grâce au succès inattendu de Farming Simulator, jeu vidéo écoulé à 115 millions d’exemplaires qui permet de gérer sa ferme au gré des envies et des saisons. Ou comment le virtuel est devenu le meilleur VRP des campagnes…(Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°8 "Du champ à l'assiette - Mieux produire pour mieux manger", actuellement en kiosque).
(Crédits : Farming Simulator)

Les chiffres font froid dans le dos : en 2016, empêtrés dans des situations professionnelles et intimes inextricables, 529 agriculteurs se sont suicidés, selon les chiffres de Santé Publique France. Aujourd'hui encore, d'après les données de la Mutualité sociale agricole, il y aurait en moyenne un suicide par jour dans la profession. Dans ce contexte dramatique, les campagnes ont le moral en berne et la relève est loin d'être assurée. Les projections des spécialistes à ce sujet se veulent ainsi pour le moins pessimistes : dans les dix prochaines années, un agriculteur sur deux sera en âge de partir à la retraite. Mais qui pour reprendre le flambeau dans ce contexte ? Et comment donner à la nouvelle génération envie de travailler la terre et ses fruits ? Pour répondre à ce défi, Julien Denormandie et les équipes du ministère de l'Agriculture misent sur une solution pour le moins inattendue : le recours au virtuel. Mi-novembre, les voilà qui lancent très officiellement « Farming Simulator : le Tournoi », une compétition d'e-sport basée sur le jeu vidéo « Farming Simulator ». Objectif annoncé : « donner envie à des jeunes de s'intéresser aux métiers de l'agriculture et de l'alimentation ». On entend d'ici les esprits chagrins et autres railleries empreintes de perplexité : se peut-il qu'un petit concours basé sur un jeu vidéo soit à même de résoudre tous les maux d'un secteur largement sinistré ? La réponse, contre toute attente, est positive. Car infiniment plus qu'un obscur moyen de propagande paysanne, le jeu vidéo en question est devenu au fil des ans un véritable phénomène de société. Mieux : un best-seller permettant de reconnecter la jeunesse aux problématiques de la terre. Une euphorie qui dépasse largement le cadre des traditionnels bastions de la ruralité. Depuis son premier lancement, en octobre 2012, on estime en effet que le développeur Giants Software a vendu 25 millions de copies physiques de Farming Simulator sans parler des 90 millions de téléchargements de l'application du même nom destinée aux smartphones !

Derrière l'écran, le retour à la terre

Soyons francs : le succès de Farming Simulator, personne ne le voyait venir. Car bien loin des codes qui permettent habituellement aux jeux vidéo de trouver leur public sur consoles, mobiles, Mac ou PC, la simulation agricole ne mise ici ni sur une surenchère de moyens, ni sur un scénario à couper le souffle. Volontairement austère à ses débuts (mais profitant désormais d'un graphisme léché et de modes de jeu finement pensés), sa recette est à l'opposé des franchises à succès telles que Call of Duty, GTA ou FIFA. « La promesse est dans le titre, analyse Erwan Higuinen critique aux Inrockuptibles. La simplicité apparaît avec le recul comme un gage à la fois de modestie et de sérieux. Farming Simulator : simulation d'agriculture. Ni plus, ni moins. Et complètement, radicalement. » C'est sur cette promesse de vérité que surfent aujourd'hui les éditeurs du jeu. Élevage de volailles, de vaches, de cochons mais également possibilité de faire pousser du blé, du maïs ou du tournesol, tout est possible ou presque dans ce jeu qui bénéficie, régulièrement d'add-ons (ajouts tardifs permettant de compléter le menu initial). Si bien qu'en permettant de gérer sa ferme de A à Z, du choix des cultures à exploiter au fait de transformer la production, on peut passer en quelques années virtuelles de la petite ferme familiale à l'ambitieuse PME agricole. L'immersion est, à vrai dire, prenante. Mais c'est surtout parce qu'elle surfe sur la tendance poussant les urbains à se ré-intéresser à la vie des campagnes après des décennies de cécité volontaire que Farming Simulator rencontre les attentes de l'époque. Et se vend ! En la matière, les études sont formelles : au-delà du public cible rural qui plébiscite logiquement le jeu pour sa précision (et la possibilité avantageuse de tester virtuellement les outils qu'il souhaiterait utiliser dans ses exploitations), ce sont les novices, urbains et ultra-connectés, qui représentent l'essentiel des joueurs.

« Il y a encore un siècle, la majorité de la population vivait dans une ferme ou possédait dans son entourage un proche qui vivait de la terre. Avec l'exode rural et l'évolution des techniques, ce lien s'est considérablement distendu. Quelque part, Farming Simulator plaît car il recrée une connexion avec un mode de vie paysan qui a doucement mais sûrement cédé du terrain », explique le journaliste du Guardian, Rick Jones.

Un best-seller dans le monde entier

Devenu best-seller au fil de ses déclinaisons, l'opus brille donc par son optique et sa précision. À tel point qu'il est désormais couramment utilisé dans les lycées agricoles pour montrer l'utilisation des principales machines du métier. Mais comment y joue-t-on, concrètement ? Comme dans la vie réelle ! « Tout a commencé devant un champ de blé prêt à être récolté, raconte un gamer, sur un forum. Il m'a fallu trouver une moissonneuse-batteuse, atteler sa barre de coupe, l'activer puis déployer la moissonneuse. À chacun de ces gestes précis correspond une touche du clavier. On peut aussi changer la vue de la machine, allumer les phares... Bref, mon clavier s'est transformé en tableau de commande de moissonneuse. » Le souci du détail est poussé loin : « Ensuite, on peut moissonner. Le champ est très droit, pas de souci pour se diriger. C'est plus compliqué de faire demi-tour proprement. Là encore, il faut être minutieux : désactiver la moissonneuse, tourner, retourner, redéployer la moissonneuse... Et quand celle-ci est pleine, il faut trouver une remorque, positionner les deux machines côte à côte, déplier la buse... Puis livrer la récolte dans un silo. » Dans Farming Simulator, tout compte : les saisons, la topographie, les machines utilisées et surtout les caractéristiques des légumes que l'on fait pousser. À ce titre, la livrée 2022 s'annonce riche en innovations : raisins, olives et sorgho seront désormais cultivables, le tout dans une optique résolument « responsable et durable ». Le but sera de maîtriser de nouvelles techniques pour produire plus longtemps, sans réduire la qualité, et sans utiliser d'herbicides et autres pesticides. On plébiscitera dès lors les engrais minéraux et organiques, à l'instar des techniques désormais en vogue dans un nombre croissant d'exploitations. Le souci du réalisme est poussé loin, jusque dans l'apparition des machines agricoles de véritables constructeurs. Plus de 170 marques sont ainsi présentes dans le jeu parmi lesquelles les mastodontes John Deere, New Holland et Rolland, bientôt rejoints par Lamborghini et Massey Ferguson. Signe que le jeu est devenu un enjeu de communication dans lequel il faut se montrer : celles-ci se battent pour que leurs produits soient disponibles, de la même manière qu'Adidas, Puma et Nike bataillent pour s'afficher dans les simulations de football. Plus de doute : qu'il soit virtuel ou tout à fait concret, le bonheur est vraiment dans le pré !

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Article issu de T La Revue n°8 - "Du champ à l'assiette - Mieux produire pour bien manger ?" Actuellement en kiosque

Un numéro consacré à l'agriculture et l'alimentation, disponible chez les marchands de presse et sur kiosque.latribune.fr/t-la-revue

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Commentaires 2
à écrit le 27/02/2022 à 8:58
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Avec les quantités définies d'engrais et pesticides à déverser par hectare ? Les subventions publiques françaises et européennes à percevoir ? Avec la production de GES par hectare ? Hier j'en voyais un déverser des pesticides sur de jeunes plants de...

à écrit le 27/02/2022 à 8:54
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Avec les quantités définies d'engrais et pesticides à déverser par hectare ? Les subventions publiques françaises et européennes à percevoir ? Avec la production de GES par hectare ? Hier j'en voyais un déverser des pesticides sur de jeunes plants de...

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