Streaming : la stratégie inédite du trublion Kick pour renverser Twitch

Six mois à peine après son lancement, Kick, une nouvelle plateforme de streaming en ligne controversée, compte bien renverser le géant Twitch en appuyant sur ses points faibles. L'entreprise australienne mise sur une rémunération très avantageuse pour les créateurs et sur une modération quasi-inexistante, ce qui engendre de nombreux doutes sur la pérennité de son modèle. Explications.
Six mois après son lancement, Kick entend déjà renverser Twitch, le géant du streaming en ligne.
Six mois après son lancement, Kick entend déjà renverser Twitch, le géant du streaming en ligne. (Crédits : Kick)

Microsoft, Facebook, YouTube... Plusieurs géants technologiques ont tenté de concurrencer le géant du streaming en direct Twitch, sans succès. Dépassant le milliard de visites par mois et les 140 millions d'utilisateurs dans le monde, la plateforme détenue par Amazon détient une position de quasi-monopole sur ces contenus de retransmissions d'émissions en tous genres (e-sport, débats, actualités...) Un usage de la vidéo en direct, et à la carte, qui lui a permis de générer 2,8 milliards de dollars de chiffres d'affaires en 2022.

Mais Kick, une entreprise lancée en décembre 2022 par Ed Craven, un jeune milliardaire australien qui a fait fortune avec la société de casinos en ligne Stake, compte bien réussir là où les autres ont échoué. La plateforme réussit un départ canon, passant de 13 millions de visites au mois de janvier à 74 millions en mai avec un pic à 81 millions en avril, selon le site d'analyse de données Similarweb. Pour détrôner Twitch, Kick adopte une stratégie agressive, avec une rémunération très avantageuse pour les créateurs et une modération bien plus souple que son concurrent. Un pari en apparence risqué, dont la viabilité financière interroge.

La rémunération des créateurs, nerf de la guerre

Dès son lancement, Kick a proposé aux créateurs de contenu une répartition des revenus inédite : 95% des revenus générés par les abonnements à leur compte vont dans leur poche, la plateforme se contentant de ponctionner 5%. C'est une attaque brutale au modèle de Twitch, puisque historiquement, le leader du secteur propose une répartition en 70/30, qu'il a depuis l'an dernier réduit à 50/50, non sans créer une levée de boucliers parmi ses utilisateurs. Hier soir, Twitch a finalement annoncé revenir au modèle 70/30, mais seulement pour les plus gros comptes.

Kick a par ailleurs indiqué que les vidéastes pourraient conserver l'intégralité des dons et des pourboires offerts par leurs abonnés, ainsi que récupérer leur argent le jour même. La toute jeune plateforme ne manque pas de vanter ses atouts sur ses réseaux sociaux, via des tweets provocateurs appelant à délaisser Twitch pour son modèle innovant. Des célèbres vidéastes ont déjà sauté le pas : ChowH1, premier en nombre de vues sur le très populaire Call of Duty : Warzone 2 et Amaru, à la communauté frôlant le million d'abonnés sur Twitch, ont récemment annoncé rejoindre la plateforme.

Mais une question reste en suspens : attirer les créateurs suffit-il à ramener leurs spectateurs, habitués à se rendre sur Twitch ? Avant Kick, Microsoft avait déjà misé sur les plus grands noms du streaming en ligne afin d'attirer des utilisateurs sur sa plateforme Mixer. Il s'était même offert en 2018 l'exclusivité des streams de Ninja, la plus grande superstar de Twitch à l'époque, pour la somme colossale de 30 millions d'euros. Insuffisant. La plateforme a mis la clé sous la porte en 2020, faute d'attiser la curiosité des internautes.

Un salaire à 16 dollars de l'heure en discussion

Pour éviter de dépendre de quelques grands noms, Kick, basée aux Etats-Unis, souhaite créer son propre écosystème de créateurs, et donc attirer les streamers en herbe. Pour y parvenir, il fait miroiter dans un tweet une offre jamais vue dans le secteur : un salaire fixe, à 16 dollars de l'heure, suffisante pour en faire un métier à plein temps. Si les conditions d'éligibilité restent floues, petits créateurs comme poids lourds du streaming en ligne pourraient néanmoins en bénéficier, sous réserve de réunir plus de 100 spectateurs en moyenne, de discuter avec eux, d'être présents à la caméra et d'être éveillé.

En faisant miroiter une forme de salariat, Kick se détache du modèle traditionnel popularisé par les ancêtres de Twitch, où le vidéaste se rémunère via des abonnements payants (les « subs » dans le jargon), les dons et la diffusion de publicité. Avec cette offre Kick cherche à profiter de la mauvaise presse de son concurrent, suite des changements annoncés sur une réglementation plus stricte de la diffusion de publicité native. Beaucoup de vidéastes tirent une large partie de leurs revenus du sponsoring -par l'affichage de publicité dans leur diffusion-, une activité dont Twitch ne tire aucun revenu (sauf pour les initiatives qui passent par son propre programme).

Si la proposition paraît séduisante, bon nombre de streamers restent méfiants. A l'instar de Domingo, réunissant 1,7 million d'abonnés sur Twitch, ils voient derrière ces annonces détonantes une stratégie de dumping. Autrement dit, ils craignent qu'une fois que Kick aura rogné suffisamment de parts de marché à Twitch, il modifiera ses conditions de rémunération. L'entreprise semble s'engager vers un gouffre financier, intenable dans la durée, mais elle garantit pourtant dans un tweet du 7 juin 2023 «  s'engager à ne pas modifier le 95/5, et cette promesse sera respectée ». Plus surprenant encore, Ed Craven a récemment affirmé dans une interview avec le streamer Big E que la plateforme, après six mois seulement, était déjà rentable : « Il n'y a aucune raison de s'inquiéter quant à la rentabilité de Kick. »

Une modération quasi-inexistante

Qu'espère donc la plateforme à terme ? Doigby, suivi par 1,7 million de spectateurs sur Twitch, a partagé son avis dans l'émission Popcorn : selon lui, la plateforme n'ambitionnerait pas de devenir rentable en elle-même. Elle ne serait qu'une « vitrine » pour Stake, sa maison-mère, pilier du business très conversé des casinos en ligne de cryptomonnaies. Et pour cause : l'entreprise australienne aux 2,6 milliards de dollars de chiffre d'affaires a besoin de regagner en visibilité après les mesures prises par Twitch en octobre 2022 pour interdire la diffusion de jeux d'argent. Un pari réussi pour l'instant : les chaînes de la catégorie « Jeux d'argent et casinos » rassemblent le plus de spectateurs, loin devant les chaînes de gaming [jeu vidéo, ndlr].

Au-delà de la question des casinos en ligne, Kick a fait de la modération, ou plutôt de l'absence de modération, un autre argument de vente. Quand Twitch n'hésite pas à bannir les utilisateurs qui ne respectent pas ses règles de modération plutôt, Kick se réjouit de les accueillir. L'arrivée du streamer américain Adin Ross sur la plateforme, en est le meilleur exemple : très controversé et banni de Twitch à plusieurs reprises pour des propos homophobes, le streamer fort d'une communauté de plus de 7 millions d'abonnés a pu diffuser en direct sur Kick des vidéos du site pornographique Pornhub, visionner la finale du Super Bowl sans en détenir les droits ou encore interviewer un nazi. Cette stratégie du laisser-faire pourrait affecter la présence à terme des annonceurs sur Kick, mais l'entreprise garde pour l'instant le cap.

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Commentaires 2
à écrit le 16/06/2023 à 15:08
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ca durera pas la modération inexistante et kick le sais très bien, sinon il sera interdit dans de très nombreux pays. Twitter pour bien moins a vite été rappeler a l'ordre ce sera pareil pour Kick d'ici peut .

à écrit le 16/06/2023 à 7:19
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"qui a fait fortune avec la société de casinos en ligne Stake," Mais qu'est-ce qu'on s'ennuie au sein de cette économie ! Des copieurs et rien que ça.

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