Vente de M6 : les planètes n’ont jamais été alignées

Les réticences de l’Autorité de la concurrence, un climat politique défavorable, des opposants féroces et des décisions stratégiques discutables ont rendu la vente du deuxième groupe français de télévision impossible. Explications.
Pierre Manière
Nicolas de Tavernost, le PDG du groupe M6.
Nicolas de Tavernost, le PDG du groupe M6. (Crédits : Reuters)

La nouvelle est tombée ce lundi, après la fermeture de la Bourse. Dans un communiqué, Bertelsmann, le principal actionnaire de M6, a finalement renoncé à vendre M6. Après avoir échoué à marier le numéro deux français de la télévision (qui comprend les chaînes M6, W9, 6ter, Gulli, Paris Première, et les radios RTL, RTL2 et Fun Radio) avec TF1, il avait décidé de remettre son joyau en vente. Mais un calendrier bien trop contraignant l'a finalement convaincu de jeter l'éponge. Le deal de l'année dans l'audiovisuel français n'aura donc pas lieu. Si ce type de grande opération n'est jamais simple, celle-ci s'est progressivement muée en un impossible parcours du combattant. Les obstacles qui sont apparus en chemin sont tout bonnement devenus bien trop difficiles à franchir.

C'est en janvier 2021 que Bertelsmann annonce officiellement qu'il souhaite vendre M6. L'initiative met l'écosystème français des médias en ébullition. Ce n'est pas tous les jours, il est vrai, qu'un tel groupe, numéro deux français de la télévision derrière TF1, se retrouve sur le marché. Pour le géant des médias Bertelsmann, dont les recettes publicitaires ont souffert pendant la crise sanitaire, l'objectif est de réorganiser ses activités. D'un point de vue économique, le timing de cette vente semble parfait. Nous sommes à un an et demi de la présidentielle, et l'appétit des milliardaires et fortunes industrielles de l'Hexagone pour les médias n'a jamais paru si grand. TF1, Vivendi, Xavier Niel et Daniel Kretinsky font alors figure de tête d'affiche.

Un mariage avec TF1 : un choix dès le début risqué

C'est finalement le projet d'un mariage avec TF1, propriété du groupe Bouygues, qui séduit Bertelsmann. Au printemps 2021, ils entrent en négociations exclusives. TF1 et M6 affirment vouloir unir leurs forces pour mettre les bouchées doubles dans le streaming, et se relancer face à la menace des Netflix, Disney Plus et Amazon Prime. Ce choix de Bertelsmann semble aussi osé que compliqué. TF1 est en effet le grand rival de M6, et le numéro un français de la télévision. Pour décrocher l'aval de l'Autorité de la concurrence, cette union repose sur un pari risqué : convaincre l'institution de la rue de l'Echelle de changer son logiciel sur sa manière d'appréhender le marché de la publicité. TF1 et M6 considèrent qu'il ne faut plus regarder le seul marché de la publicité télévisée (où ils sont, ensemble, ultra-dominant, à hauteur de 70%), et qu'il est nécessaire d'y accoler celui de la publicité numérique, dominé par les géants américains du Net. Mais les deux cadors du petit écran se sont heurté à un mur. L'Autorité de la concurrence n'a, sur ce point crucial et après un an de travail, pas changé son fusil d'épaule. Ce qui a obligé TF1 et M6 à renoncer à leur fusion le 16 septembre dernier.

Si l'Autorité de la concurrence a porté l'estocade à ce mariage, d'autres événements ont largement contribué à plomber le deal. Cette opération est d'abord intervenue alors que la France connaissait une nouvelle vague de concentration des médias. Dans les milieux politiques de gauche, en particulier, la grogne contre les tycoons des médias est allée crescendo. Leurs craintes portaient sur l'indépendance des journalistes, comme sur l'instrumentalisation de certains médias à des fins politiques. La reprise en main par Vincent Bolloré de CNews, la désormais très droitière chaîne d'opinion de Canal+, s'est notamment retrouvée dans le viseur de la gauche. En novembre 2021, une commission du Sénat a même vu le jour pour enquêter sur la concentration des médias. Pendant plusieurs mois, elle a auditionné le gratin du monde des affaires et des propriétaires de médias, tels Xavier Niel, Bernard Arnault, Vincent Bolloré, Patrick Drahi ou Martin Bouygues. Tous ont clamé que leurs investissements dans les journaux, radios et chaînes de télévision ne visaient pas à accroître leur influence, certains se présentant même comme des philanthropes. Mais sans, doux euphémisme, franchement convaincre les parlementaires.

Cette commission du Sénat a également constitué un porte-voix pour les opposants, nombreux, au mariage entre TF1 et M6. Le premier d'entre eux, Xavier Niel, s'en est donné à cœur joie. En définitive, cette fusion va accoucher d'«un monopole », a-t-il canardé lors de de son audition. « Leur sujet [à TF1 et M6, Ndlr], c'est gagner de l'argent. Bravo s'ils y arrivent !, a-t-il ironisé. C'est un coup économique incroyable ! » Un torpillage en bonne et due forme auquel s'est notamment joint Canal+. La chaîne cryptée a profité d'un litige commercial, à quelques jours d'auditions cruciales de TF1 et de M6 à l'Autorité de la concurrence, pour fustiger la « position dominante » de la filiale de Martin Bouygues.

Si des éléments extérieurs ont nuis au deal, TF1 et M6 ont aussi leur part de responsabilité. Le choix d'un mariage entre ces deux cadors était, encore une fois, pour le moins ambitieux. Il y a aussi le choix de Martin Bouygues d'écarter Gilles Pélisson, le désormais ex-PDG de TF1. C'est peu avant l'annonce de l'entrée en négociations exclusives des deux groupes qu'il a appris qu'il ne dirigerait pas, in fine, le nouvel ensemble. Et que c'est Nicolas de Tavernost, son aîné et patron de M6, qui en prendrait les rênes... Gilles Pélisson a-t-il payé, ici, ses coûteux investissements ratés dans plusieurs sites Internet ? Quoi qu'il en soit, il s'est retrouvé à promouvoir, pendant plus d'un an, un projet dont il était destiné à être éjecté... L'ancien patron de TF1, récemment remplacé par Rodolphe Belmer, ne s'est publiquement jamais plaint. Mais cette situation a, peut-être, pesé sur l'opération.

L'obstination de Bertelsmann coûte cher

En outre, l'obstination de TF1 et de M6 à vouloir convaincre l'Autorité de la concurrence du bien-fondé de leur projet n'a pas été sans conséquence. Au mois de juillet, quand l'institution de la rue de l'Echelle leur remet un rapport très défavorable sur leur union, leurs dirigeants auraient pu s'arrêter là. Mais ils ont préféré continuer, en se disant qu'il leur restait, malgré tout, une petite chance d'arriver à leurs fins. Non seulement cela n'a pas été le cas. Mais Bertelsmann a surtout perdu un temps précieux - six semaines - qui lui a fait défaut en remettant par la suite M6 en vente.

Lorsqu'il remet, mi-septembre, de nouveau M6 aux enchères, le géant allemand sait qu'il doit boucler un nouveau deal au plus vite. Si une opération n'est pas rapidement notifiée, elle ne pourra jamais décrocher dans les temps l'aval des autorités concurrentielles, puis celui de l'Arcom, le régulateur des médias. Sachant qu'au mois de mai prochain, le renouvellement de la licence TNT de M6 interdira à Bertelsmann de vendre le groupe pour une durée de cinq ans. La semaine dernière, Roch-Olivier Maistre, le président de l'Arcom, a affirmé que le calendrier était « très, très serré ». Comprendre : pas loin d'être intenable. L'état-major de M6 a, dans l'intervalle, essayé d'obtenir des certitudes sur la faisabilité de l'opération, demandant même au régulateur s'il pouvait bénéficier d'un délai supplémentaire... Mais le flou demeurait. C'en était trop pour Bertelsmann, qui s'est résolu à faire une croix sur cette vente. A moins d'une évolution de la régulation, pour laquelle le géant allemand va sans doute plaider, il va désormais devoir garder M6 dans son giron pour cinq années supplémentaires.

Pierre Manière

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Commentaire 1
à écrit le 06/10/2022 à 3:01
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C'est un choix delibere la photo ?

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