Formation professionnelle : une réforme d’apparence

Les difficiles négociations sur la réforme de la formation professionnelle pourraient n'avoir rien résolu. Pire, elles auraient complexifié un système déjà illisible...
Le projet de réforme sur la formation professionnelle rédigé par les partenaires sociaux n'incitera pas davantage les entreprises à y avoir recours. Pire, sa complexité pourrait même les en dissuader...

 

"Il faut que tout change pour que rien ne change" : l'adage du Guépard de Lampedusa paraît coller comme un gant à l'histoire de la formation professionnelle en France depuis des décennies. Et le nouvel accord intervenu entre les partenaires sociaux ce 14 décembre a toutes les chances de le confirmer à nouveau.

 Bien sûr, pour les "professionnels de la profession", comme pour chaque gouvernement en place, il est d'usage d'évoquer des évolutions forcément "majeures" à chacune de ces "grandes" réformes. Au moins jusqu'à la suivante qui, en toute cohérence avec les proclamations précédentes, sera justifiée par un impératif de changement en profondeur…

Des accords très frileux

C'est ainsi que les déclarations du gouvernement ou des principaux moteurs de cette négociation (CFDT et Medef) depuis le 14 décembre ressemblent étrangement à celles des mêmes protagonistes en 2003 et en 2009. Des accords jugés pourtant ensuite, à juste titre, comme très frileux.

Le défaut majeur est toujours le même : privilégier les tuyaux et les procédures plutôt que l'analyse du bien-fondé du système. Comme les précédentes, cette négociation entend ainsi réorienter une partie des fonds existants au profit de ceux qui seraient trop éloignés de la formation, les demandeurs d'emploi, les salariés de TPE… Avec la conviction immuable que la formation en cours de carrière est l'alpha et l'oméga des problèmes d'emploi, et qu'une approche uniforme pour des populations et des catégories d'entreprises jugées homogènes peut être une solution.

Qui juge du besoin d'une formation ? 

Or, tant que le système de formation professionnelle français restera conçu pour l'essentiel en top-down (depuis l'Etat, la région, Pôle emploi, un accord interprofessionnel ou un accord de branche), il sera toujours à côté de la plaque.

Pour le régénérer, il faudrait d'abord se demander qui doit juger du besoin d'une formation, de quelle façon et quand. La réponse est bien sûr dans l'entreprise et chez le salarié, nulle part ailleurs. Et consiste tout simplement à mettre au cœur l'expression du besoin et des attentes pour parvenir à une vraie rencontre de l'offre et de la demande.

 

Des cours "optionnels" et sans enjeux

Sans cela, le recours à la formation dans le cadre des dispositifs institutionnels aura encore trop souvent une dimension artificielle. Pour l'entreprise comme pour le salarié, l'action de formation continuera de ressembler à ces cours optionnels que des étudiants suivent en dilettante car ils sont sans enjeu. Ou aux menus d'une formule de vacances "all inclusive" : pourquoi pas consommer si c'est déjà payé, même si on n'est pas vraiment motivé.

Si la démarche ne répond pas à un besoin exprimé et que son coût est nul ou dilué dans le magma des prélèvements contraints liés à la formation, l'usage sera toujours décevant. Avec à la clé émargements de complaisance voire truqués, formations bidon ou parfois même dispensées par des organismes sectaires… 

 

Faire payer les entreprises pour les impliquer

Du côté de l'entreprise, il est donc indispensable que la mise en place d'une formation ne soit ni contrainte, ni gratuite. Autrement dit, décider d'une formation pour l'un ou plusieurs de ses salariés doit coûter à l'entreprise pour s'assurer qu'elle y voit une réelle utilité, et non qu'il s'agit d'une obligation ou d'un droit de tirage déjà financé. Cela doit être une question de priorités, de métier, de stade de développement, de niveau de formation des équipes déjà en place…

Aucune approche uniforme, même à l'échelle d'un secteur, ne peut pallier un choix engageant et délibéré de l'entreprise. Autant certaines feront des investissements majeurs en formation (jusqu'à plus de 5% de la masse salariale !), autant d'autres ne voudront rien faire. Et il est alors absurde de les forcer à former, car ce serait retomber dans les dérives décrites précédemment.

 
Les entreprises privilégient le temps opérationnel passé au travail

Il en va de même pour le salarié. Une formation qu'il veut suivre sans qu'il s'agisse d'une requête de son employeur doit représenter un effort, même s'il peut être pertinent de l'encourager. Il devrait par exemple être exclu qu'une formation suivie à la seule initiative du salarié s'effectue sur le temps de travail rémunéré à partir de droits accumulés. Il faudrait toujours que ces formations représentent un investissement en temps et/ou en argent, si nécessaire accompagné par des aides.

Dans bien des cas, entreprises et salariés privilégient en fait le temps opérationnel au travail à des actions de formation. Parce qu'il n'y a pas de vrai besoin et que chacun y trouve son intérêt, en rémunérations payées ou reçues comme en optimisation du temps passé dans la relation de travail. Et cela constitue en soi une formation permanente, souvent la meilleure et la moins fictive : maîtriser ses outils de travail, les nouvelles technologies utilisées, les meilleures pratiques, dans le réel et face à ses contreparties naturelles (collègues, encadrement, clients…).


La formation des chômeurs répond à une exigence chiffrée

Reste la situation de recherche d'emploi. Naturellement, dans les périodes de transition professionnelle, souvent subies, il est indispensable de s'interroger sur l'adaptation des compétences à la demande de travail, l'obsolescence des qualifications ou encore des réorientations parfois inévitables.

Mais là aussi, plus la machine est centralisée, plus elle va rechercher comme aujourd'hui un résultat chiffré macro : envoyer un maximum de chômeurs en formation. C'est toujours bon pour les statistiques et l'indemnisation… Alors qu'il serait souvent préférable de se focaliser sur la reprise au plus vite d'un travail, même très temporaire si les offres disponibles ne correspondent pas aux attentes.


Une formation sans emploi sera très peu valorisée

Dans bien des cas, une formation effectuée en dehors d'un emploi sera très peu ou pas valorisée sur le marché du travail, y compris en comparaison de n'importe quelle expérience professionnelle a priori éloignée de la recherche du candidat.  

Et il faut aussi le dire : de nombreux métiers n'exigeront de toute façon que très peu de formation en dehors de celle, à peu près irremplaçable, effectuée "sur le tas". Des métiers peu qualifiés, mais qui figurent souvent parmi ceux regorgeant de ces fameuses offres d'emploi non satisfaites…

 

Redistribuer l'argent de la formation professionnelle ? Sans intérêt. 

En fait, si l'importance de la formation de la population est indiscutable, si le "capital humain" est une composante déterminante de la croissance potentielle d'une économie, s'il faut tirer vers le haut les compétences de la population et essayer de faire progresser chacun vers ses aspirations et vers les métiers les plus gratifiants, cela reste une vision macroéconomique d'ensemble.

Une part importante de la demande de travail continuera de concerner des personnes peu formées. Dès lors, vouloir redistribuer à tout prix les sommes consacrées à la formation professionnelle sera sans intérêt pour nombre de bénéficiaires et nuira à ceux qui doivent dépasser de très loin l'effort moyen.

 
De l'importance de la formation initiale

Le rôle de la formation initiale reste par ailleurs déterminant, apprentissage inclus. Il y aura toujours les belles histoires de ceux qui parviendront à transcender en cours de carrière une formation initiale trop courte (surtout si on encourage l'entrepreneuriat…), et des parcours réussis grâce à des formations de qualité tout au long de la vie. Mais ces évolutions nécessitent en général des investissements très lourds et un temps long pour y parvenir.

Avec un nouveau "compte personnel de formation" (CPF) créé par l'accord ne pouvant excéder 150 heures, et alors que les formations véritablement qualifiantes sont rares dans les "catalogues" institutionnels, il est à craindre que le mammouth de la formation professionnelle française reste d'abord une machine à occuper le temps.


Un accord caricatural de complexité

L'accord entre les partenaires sociaux reste à mille lieues des vraies remises en cause nécessaires, pérennisant un système auquel il ajoute ses couches de complexité (38 pages pour un texte "non juridique", en attendant sa transposition en loi…). Jusqu'à la caricature dans les acronymes dont le secteur de la formation est champion, à l'instar de cet extrait de l'accord : "le résultat des travaux des OPMQC est transmis au CPNFPE (qui les transmettra aux CPRFPE) et automatiquement mis à disposition (…) des CARIF-OREF (…)"

Quant à la question du financement de la formation, la complexité du système permet d'alimenter toutes les confusions. Comme laisser entendre une diminution de la contrainte financière des entreprises. On évoque ainsi le passage d'une obligation de formation de 1,6 à 1% de la masse salariale. Mais le 1,6% est trompeur. D'une part, il est de 0,55% dans les entreprises de moins de 10 salariés et de 1,05% dans celles de moins de 20. Le nouveau système maintient d'ailleurs le niveau de 0,55% dans les entreprises de moins de 10 salariés et le porte à 1 % pour les autres.

Seules les entreprises de plus de 20 salariés pourraient donc croire à un allégement de la contrainte de formation. Mais il n'en est rien, car le 1,6% est en fait un 0,7%, le différentiel de 0,9% pouvant être "libéré" par les dépenses de formation engagées par l'entreprise. Or celles-ci vont le plus souvent bien au-delà, d'autant plus que la taille de l'entreprise est importante. Et dès qu'elles dépassent le seuil imposé, les entreprises peuvent reporter cet "excédent" pendant les trois années suivantes.

 

Pas de coûts allégés pour les entreprises

Dans le nouveau système, on trouve dans le "1%"  des entreprises de plus de 10 salariés toujours un montant alloué au congé individuel de formation (0,15 à 0,2 point selon la taille de l'entreprise), une part dévolue aux formations des privés d'emploi et des salariés de TPE (également 0,15 à 0,2 point), une charge de 0,3 à 0,4 point pour les contrats de professionnalisation. Et pour finir, 0,2 point affecté au financement des CPF.

Au total, là où l'employeur de plus de 50 salariés peut neutraliser totalement son "0,9" par les actions de son plan de formation et ne verser donc que 0,7 point au titre des CIF et des contrats de professionnalisation (en pouvant récupérer en droits de tirage une partie de ce dernier montant), il aura de 0,9 à 1 point à verser demain. Et au moins de 0,7 à 0,8 point s'il peut montrer que le 0,2 alloué au CPF a été dépensé à cette fin en interne - ce qui n'en fera pas pour autant des actions de formation choisies par l'entreprise. L'entreprise ne paiera donc pas moins qu'avant… sauf à diminuer la formation qu'elle effectuait déjà aujourd'hui à son initiative.


Contraindre à une dépense accrue

Bien sûr, on pourrait espérer que ne plus devoir le 0,9 % rendra moins artificielle une partie des dépenses de formation. Cela arrivera peut-être dans quelques cas d'entreprises (plus de 20 salariés uniquement, les seules concernées) craignant d'être pénalisées en n'atteignant pas ce seuil légal. Mais le levier financier n'est pas le seul à pousser à la consommation de formation.

Les branches pourront ainsi continuer à être très prescriptives en la matière. Elles (co)gèrent les organismes collecteurs (les fameux OPCA), hors ceux qui sont interprofessionnels, et ont souvent des intérêts très directs à l'extension de leur rôle… Surtout, dans l'entreprise, tout est fait pour contraindre à une dépense accrue, avec une ribambelle d'obligations encore augmentées à l'occasion de cet accord. Ce n'est pas pour rien que la CFDT se focalisait sur la récurrence des rendez-vous imposés en matière de dialogue social dans l'entreprise ou d'échanges directs avec les salariés.

 

Un système épuisé

Même les progrès évoqués en matière de transparence du financement du paritarisme et de meilleure gestion d'un système réputé pour ses fuites en ligne sont douteux. Le rôle des OPCA sera peut-être encore plus fort qu'avant et, à nouveau, l'intrusion des branches professionnelles dans les dispositifs prévus devrait perturber toute velléité d'amélioration substantielle du dispositif.

On pourrait bien sûr souligner les velléités réformatrices nouvelles de certains protagonistes, entraînant des tensions avec des organisations plus conservatrices. Mais ils ne peuvent pour autant refonder l'existant en profondeur, tant ils doivent encore composer avec un système centré sur les organismes collecteurs, un dialogue social de branche incontournable et des pouvoirs publics soucieux d'un affichage de redistribution. Quand bien même celle-ci n'aurait guère de sens. Comme pour le reste du système social, il est à peu près illusoire d'imaginer que la négociation collective entre acteurs d'un système épuisé amène à le repenser.

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Commentaires 6
à écrit le 08/01/2016 à 17:06
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J'ai pris la peine de commenter cet article plus de 2 ans après sa parution car je le trouve très juste et surtout la suite des évènements donnent raison à l'auteur. La mise en œuvre de la réforme est catastrophique. Plus personne ne s'y retrouve....

à écrit le 16/01/2014 à 10:59
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Enfin! Evidemment, tous ceux qui vivent (très bien) sur la bête de l'appareil de formation veulent garder tous leurs fromages... Et ils y réussissent, hélas.

à écrit le 25/12/2013 à 17:49
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la formation des salariés d'une entreprise s'inscrit naturellement dans le besoin de cette entreprise de favoriser la maitrise professionnelle de chacun pour optimiser son efficacité opérationnelle ,et donc son résultat économique . il n'est pas néc...

à écrit le 19/12/2013 à 9:30
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La formation professionnelle est un sujet complexe qu'il est naturellement aisé de caricaturer avec une vision simpliste. Vous tombez dans la simplicité preuve en est que les besoins en formation se détectent déjà en entreprise quant à votre analyse ...

à écrit le 18/12/2013 à 21:26
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une somme de raccourcis et de clichés grotesques dans cet article dont la conclusion semble être : supprimons tout, il faut des gens peu qualifiés alors bon... L'auteur, trader puis adjoint de M.Kessler (celui qui reve de supprimer tout contrainte d'...

à écrit le 18/12/2013 à 18:25
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En qualité de demandeur d'emploi, testez en faisant une demande de formation à Pole Enfer en dehors du Plan régional de Formations Bidons, ou des formations du conseil Général dans ses propres Maisons de la Promotion Sociale (les mal nommées), ou bie...

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