C'est l'aboutissement d'une mission de six mois. L'ancien ministre de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, Eric Woerth, remettra, demain, son rapport sur la décentralisation au président la République Emmanuel Macron.
Dans une lettre adressée le 19 avril aux chefs de parti politique révélée par La Gazette des Communes, le chef de l'Etat rappelle qu'il lui avait « confié le mandat de réfléchir à des propositions en matière de compétences entre Etat et collectivités, ainsi que renforcer l'efficacité de l'action publique, en réponse à vos demandes en ce sens ». A défaut de pouvoir dévoiler son rapport, le député de l'Oise rallié à Renaissance en 2022 s'est exprimé, ces dernières semaines, au Sénat puis à l'Assemblée nationale, auditionné par les délégations parlementaires concernées.
Pour commencer, Eric Woerth devait plancher sur la simplification de l'organisation territoriale afin de « réduire le nombre de strates décentralisées aujourd'hui trop nombreuses et de mieux les articuler entre elles ». Sauf que dès le début, le parlementaire a fait savoir au président (LR) de l'association des maires de France (AMF) qu'il n'y toucherait pas.
Une strate de collectivité locale va-t-elle être supprimée ?
Des propos répétés devant ses collègues députés le 27 mars: « On ne supprimera pas de strate de collectivité locale », « c'est très difficile de supprimer une strate » et « ce n'est surtout pas nécessaire ». « On a simplement besoin qu'elles fonctionnent bien et qu'elles fonctionnent ensemble », a poursuivi le représentant de l'Oise devant la délégation à la décentralisation et aux collectivités territoriales du Palais-Bourbon.
A la manière de l'actuel ministre des Armées, Sébastien Lecornu, qui avait appelé dès 2019 à « expertiser » le conseiller territorial, Eric Woerth a fait des propositions sur cet élu cumulant les casquettes de conseiller départemental et de conseiller régional. Voulu par Nicolas Sarkozy, abrogé par François Hollande, sera-t-il rétabli par Emmanuel Macron ?
« Je ne me prononcerai pas sur l'opportunité du retour du conseiller territorial », a répondu celui qui a siégé à la région Picardie entre 1986 et 2002. Il comptait toutefois regarder si cette option était « techniquement, électoralement et juridiquement » faisable.
Faut-il revenir sur les grandes régions ?
Excluant de revenir sur le découpage des grandes régions nées le 1er janvier 2016, Eric Woerth annonçait par ailleurs des recommandations sur « la situation particulière » de l'Alsace, laquelle souhaite sortir de la région Grand Est. Ce territoire a déjà un statut à part, mais rêve toujours d'obtenir les compétences dignes d'un conseil régional.
Une porte déjà fermée par le président de la République, de passage à Strasbourg le 26 avril dernier, qui s'est opposé à de « grands jeux institutionnels ». Il n'empêche: dès le 29, le président (LR) de la collectivité européenne d'Alsace, Frédéric Bierry, a annoncé l'ouverture prochaine d'une période de « concertation » de trente jours sur le sujet.
L'édile en oublierait presque qu'Emmanuel Macron souhaitait, en novembre, trouver des solutions différenciées selon les territoires, en permettant aux acteurs de trouver les voies de simplification les plus en phase avec la réalité locale. D'autant que lors de son premier mandat, il a fait adopter un projet de loi dit « 3DS », déjà porteur de davantage de différenciation.
Quid de la contractualisation ?
Sur ce sujet de la simplification, la présidente (UDI) de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat a tenu à mettre les points sur les i, lors de l'audition d'Eric Woerth le 8 février. Françoise Gatel a plaidé pour une relation de contractualisation entre l'Etat et les élus locaux. « L'Etat doit être au plus près des territoires, le préfet doit être le chef d'orchestre des services et des agences qui dépendent de l'Etat », a martelé la Bretonne.
« Je suis très favorable à la contractualisation », lui a répondu le député de l'Oise, ajoutant qu'il fallait « réfléchir à comment faire une contractualisation obligatoire ».
A la remarque d'Olivier Paccaud, sénateur apparenté LR de l'Oise, sur la « forte désillusion intercommunale », Eric Woerth a répondu qu'il fallait « consacrer le maximum de ses moyens financiers aux compétences qui sont les siennes ».« Il faut donner aux maires plus de pouvoir sur les sujets fondamentaux concernant leur propre commune », a enchaîné le questeur de l'Assemblée nationale.
Vers le retour de la clause de compétence générale ?
Là réside justement la deuxième priorité assignée par Emmanuel Macron: la clarification des compétences. « Il vous appartiendra de déterminer quels sont les bons niveaux pour exercer chaque type de compétence nécessaires que ce soit entre catégories de collectivités, de l'Etat vers les collectivités ou des collectivités vers l'Etat », exposait-t-il à l'adresse d'Eric Woerth.
Toujours au Sénat, l'ex-maire de Chantilly a estimé que « les collectivités [devaient] faire ce qu'elles ont à faire, mais pas plus ». « Aujourd'hui, tout le monde fait tout », quitte à oublier que « seule la commune est dotée d'une clause de compétence générale ». Autrement dit, l'unique strate à pouvoir intervenir dans toutes les affaires susceptibles de la concerner, dès lors qu'elle ne déborde pas sur les compétences attribuées à une autre collectivité ou à l'Etat.
« Je ne proposerai pas un retour de la clause de compétence générale pour tout le monde à tout moment », s'est ainsi prononcé Eric Woerth, considérant que « c'est le contraire de la clarification et de l'approfondissement de l'exercice d'une compétence ».
Les intercommunalités doivent-elles gérer l'eau ?
Le 27 mars à l'Assemblée nationale, le député de l'Oise a, par exemple, validé le transfert obligatoire de la gestion de l'eau aux intercommunalités à fiscalité propre, programmé par la loi pour 2026, tout en défendant un rôle plus grand pour les conseils départementaux.
« Est-ce que cela ne doit pas être le département qui lève la taxe et qui met en œuvre les outils de prévention des inondations ? », s'est questionné Eric Woerth, alors qu'aujourd'hui, la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations relève des intercos.
Une semaine plus tôt, le 20 mars, l'association Intercommunalités de France avait, elle, plaidé pour garantir le transfert obligatoire des compétences eau potable et assainissement collectif aux intercommunalités d'ici à 2026. Régis Banquet, président de Carcassonne Agglomération et vice-président d'Intercommunalités de France en charge du grand cycle de l'eau, avait ainsi fustigé les tergiversations de l'Etat et défendu l'urgence de ce transfert de compétences.
Et les normes ?
Troisième sujet pour Emmanuel Macron: la simplification et l'adaptation des normes, à savoir déterminer quelles sont les possibilités pour permettre aux acteurs locaux, en lien avec les préfets, d'appliquer les normes nationales en tenant compte des réalités locales.
Lors de l'audition au Sénat le 8 mars, le vice-président (LR) de la délégation aux collectivités territoriales, Rémy Pointereau, a d'ailleurs rappelé que les élus locaux étaient écrasés par le « poids des normes ». En réponse, Eric Woerth a évoqué le sujet des grandes métropoles qui « mécontente tout le monde ». « On ne sait plus vraiment qui fait quoi » a estimé l'ex-édile d'une commune de 10.000 habitants.
Avant-dernier point sur lequel l'exécutif est très attendu par les élus locaux: la consolidation des moyens à disposition des collectivités territoriales. Eric Woerth devait définir les termes de l'autonomie financière et proposer des voies pour assurer aux édiles une forme de prévisibilité concernant les moyens qui leur sont dévolus.
Vers un partage de la fiscalité ?
Autrement dit, une rupture complète avec les déclarations du locataire de l'Elysée ces dernières années. En clôture du congrès des maires 2019, Emmanuel Macron avait par exemple fermé la porte à l'autonomie fiscale et financière, la qualifiant de « fétichisme français ». Même après la Covid-19, qui a révélé au grand public leur rôle en première ligne, le président de la République n'a jamais dévié de cette ligne.
Devant l'Assemblée nationale le 27 mars, Eric Woerth s'est fait l'avocat d'un « partage de fiscalité nationale », à savoir « un lien entre l'impôt lui-même et la charge prépondérante qui est celle de la collectivité ».
Par exemple, il s'agirait, pour les conseils départementaux, « du partage d'un grand impôt national, avec une territorialisation de cet impôt pour les départements et une méthode de financement du social ».
Pour une dotation unique de l'Etat
Le député s'est en outre dit favorable à la création d'une dotation unique de l'Etat pour soutenir l'investissement du bloc communal « en relation avec les élus » et dans un « cadre pluriannuel », a-t-il estimé.
Il ne croyait pas si bien dire. Alors que le gouvernement avait chargé, lors du dernier congrès des maires, le Comité des finances locales de refondre la dotation globale de fonctionnement, principale dotation de l'Etat, cet organe administrativo-politique a suspendu ses travaux le 23 avril.
En cause: l'exécutif a demandé au CFL d'inscrire ses travaux « dans le cadre de la trajectoire des dépenses de l'État telle que prévue par la loi de programmation des finances publiques 2023-2027 ». Autrement dit dans la continuité de la coupe de 10 milliards d'euros, dont une entaille dans le « Fonds vert », annoncée par Bruno Le Maire en février.
« Comment peut-on imaginer une réforme de la DGF dans le contexte actuel de rationnement drastique des moyens dédiés aux collectivités ? C'est inacceptable » a tonné le président du Comité des Finances locales, André Laignel, premier vice-président délégué (PS) de l'association des maires de France.
Le Sénat a déjà pris les devants
Dernière injonction: la valorisation des fonctions électives locales. La ministre des Collectivités Dominique Faure et l'association des maires de France travaillent déjà ensemble sur l'aspect matériel des conditions d'exercice du mandat local, sachant que l'immense majorité des édiles sont bénévoles ou perçoivent de maigres indemnités. Enfin, le député de la majorité doit également plancher sur le plan statutaire et juridique des élus locaux.
Sur ces deux ultimes points, le Palais du Luxembourg n'a pas attendu la remise du rapport Woerth. Dès le 7 mars, le Sénat a adopté, à l'unanimité et en première lecture, une proposition de loi visant à instaurer un véritable statut de l'élu local pour améliorer les conditions d'exercice du mandat local et sécuriser le parcours des élus locaux.