Nul ne sait encore ce qui sortira du Grand débat. Mais, sur un point au moins, celui-là même qui a déclenché le mouvement des « Gilets jaunes », think tanks, économistes et parlementaires font preuve d'une productivité inédite. Tous rivalisent d'inventivité sur la façon de réenclencher la hausse de la contribution climat énergie (CCE), inscrite dans la loi de transition énergétique de 2015, et que le gouvernement avait décidé d'accélérer, avant de devoir l'abandonner pour tenter de calmer la colère des « Gilets jaunes ».
Ces dernières semaines, Terra Nova, l'Iddri (institut du développement durable et des relations internationales), une coalition de 19 organisations regroupées autour de la CFDT et de Nicolas Hulot, Jean Pisani-Ferry et, ce 20 mars, le Conseil d'analyse économique (CAE), ont analysé les erreurs ayant conduit à l'impasse actuelle et esquissé des pistes pour en sortir. Car de l'avis général, la taxe carbone reste l'outil le plus efficace contre le changement climatique, à la fois sur les plans environnemental et macroéconomique.
Tous reconnaissent que la dernière hausse prévue, qui devait porter la CCE de 44,6 à 55 euros au 1er janvier dernier, a été victime d'un contexte défavorable, marqué par la flambée du cours du baril, sur fond de stagnation du pouvoir d'achat installée depuis des années. Mais le manque de transparence quant à l'utilisation de ses revenus et un sentiment d'injustice lié à son caractère régressif - qui fait porter sur les plus modestes un poids proportionnellement plus lourd - et aux exonérations dont bénéficient certains secteurs d'activité, ont aggravé la situation et contribué à l'émergence du mouvement des « Gilets jaunes ».
Les préconisations des think thank
Outre le retour à une forme de taxe flottante permettant d'amortir les fluctuations du baril de pétrole, c'est à ces défauts que les experts proposent de s'attaquer. À commencer par la transparence sur l'utilisation des recettes, jusqu'ici versées au budget de l'État. Forts des meilleurs exemples étrangers, les différents think tanks préconisent au contraire de les consacrer intégralement à la transition écologique et à l'accompagnement des ménages pour en gommer la régressivité.
Pour Pascal Canfin, directeur général du WWF France, 50 % pourraient servir aux investissements verts. Terra Nova, dans l'un de ses trois scénarii élaborés avec I4CE, fixe cette part à 30 %, les 70 % restant étant redistribués aux 10 % de ménages les plus modestes. L'Iddri propose une « prime de transition écologique » renforçant la capacité des ménages à changer de comportements.
Comme Nicolas Hulot et le patron de la CFDT, Laurent Berger, dans leur « pacte écologique et social », la note du CAE rendue publique ce 20 mars propose d'affecter 100 % des recettes à la redistribution.
« En situation de pouvoir d'achat contraint, il faut d'abord régler le problème de redistribution », martèle Dominique Bureau, l'un de ses auteurs.
La taxe carbone étant « l'outil le plus efficace pour préserver le pouvoir d'achat du Français, mais pas de chaque Français », poursuit-il, le CAE préconise des transferts décroissants selon les revenus et le lieu d'habitation, assortis de mécanismes d'aide à la conversion [des véhicules ou des systèmes de chauffage, ndlr] conditionnés aux revenus, afin d'éviter qu'ils ne profitent surtout aux plus aisés, comme c'est aujourd'hui le cas. Un mécanisme de gel de la hausse pourrait être actionné selon les résultats obtenus. Le CAE enterre l'objectif d'un « double dividende » associé à d'autres utilisations des revenus engrangés, et insiste sur la nécessité de mixer cette redistribution avec des réglementations incitatives et de construire un récit susceptible de soutenir un véritable projet collectif.
Contrat social
Surtout, les experts préconisent de tirer profit de la pause dans la trajectoire à la hausse pour restaurer la confiance entre le contribuable et l'État.
« Savoir comment vont être utilisées les recettes permet d'apaiser le débat concernant le niveau de la taxe », veut croire Dominique Bureau.
L'Iddri estime que les pouvoirs publics devraient mettre cette période à profit pour développer des alternatives propres, accompagner le déploiement d'innovations, inciter à l'investissement et faire baisser le prix de ces nouvelles technologies. Mais la mesure la plus consensuelle concerne l'élargissement de l'assiette, et donc la fin des exonérations accordées à l'aérien (pour 3,6 milliards d'euros par an), au transport routier (1,5 milliard), à l'agriculture (0,9 milliard) et au BTP.
Selon le CAE, cela permettrait d'atteindre les mêmes résultats sur le plan du climat avec un prix du CO2 à l'horizon 2022 inférieur de 20 %. « Avant toute chose, résolvons ces injustices ! » demande la députée (LREM) de l'Allier et coauteure de plusieurs rapports sur la fiscalité écologique Bénédicte Peyrol, convaincue que l'utilité de la taxe carbone ne pourra être reconnue que « si elle est comprise et accompagnée d'un contrat social ».
Pistes de sortie
Certes, rien de tout cela n'est simple : les conventions internationales concernant l'aviation impliquent d'agir à une échelle au minimum européenne, comme l'ont d'ailleurs proposé les Pays-Bas et la Belgique, une piste soutenue par la secrétaire d'État française à la transition écologique Brune Poirson. Parvenir à supprimer ces diverses exonérations pourrait donc prendre de 5 à 10 ans, ce qui ne signifie pas qu'il faille attendre autant avant de reprendre la hausse de la taxe carbone. « Il faut prévoir des trajectoires de sortie, reconnaît Bénédicte Peyrol, avec de vrais accompagnements des secteurs concernés, concrétisés par des partenariats et des contractualisations. »
Autrement dit, tout le contraire de la tentative (avortée) de mettre un terme au tarif préférentiel sur le gazole non routier dont bénéficie le BTP.
« Il faut décider collectivement, en adaptant les solutions aux différents territoires, et pas dans des bureaux à Bercy. »
Alors seulement pourrons-nous peut-être faire mentir ce constat de Laurent Berger dans un entretien au Monde il y a quelques jours : « Notre pays ne vit que dans l'instant et pâtit d'une incapacité d'anticipation. Quand le moment des choix arrive, ils se déroulent toujours dans une forme d'hystérie et de confrontation stérile. On ne sait pas se fixer un cap clair ou tracer une trajectoire sans mettre les problèmes sous le tapis. »