[Article publié ce vendredi 19 janvier 2024 à 08H36 et mis à jour à 10H48]Deux chiffres marquent l'année immobilière 2023 : un recul de 20 % des transactions, autour de 900.000, soit le niveau de 2016, et une baisse de 40 % de la production de crédit immobilier, à 132 milliards d'euros (hors renégociation), selon les premières estimations. Un écart qui peut paraître surprenant, mais qui s'explique par la profonde transformation du marché ces deux dernières années sur fond de hausse rapide des taux d'intérêt.
« Le marché s'est déplacé vers des catégories d'opérations moins chères, moins bien localisées et pour lesquelles on utilise moins le crédit, toutes choses égales par ailleurs. D'autant plus que les exigences en apport personnel ont eu également comme conséquence un moindre recours à l'emprunt pour une très grande partie de la clientèle », détaille Michel Mouillart, professeur d'économie et conseiller scientifique de l'Observatoire Crédit Logement/CSA.
« Nous sommes sur un marché de la transaction immobilière beaucoup plus inégalitaire », résume de son côté Pierre Chapon, cofondateur du courtier en ligne Pretto, qui note même un doublement des achats en cash d'une année sur l'autre. Pour Michel Mouillart, la hausse des taux - 4,20% en moyenne au quatrième trimestre (sans assurance), selon l'Observatoire Crédit Logement/CSA - n'explique pas tout : les recommandations du Haut conseil de stabilité financière (HCSF), qui imposent notamment un taux d'effort maximum de 35%, a également contribué à la hausse de 45% depuis 2019 de l'apport personnel moyen. « Une hausse vertigineuse ! », relève même le professeur émérite.
Le mirage de la baisse des prix
Les clientèles et les projets ont été effectivement complètement bouleversés. Les ménages qui ont réalisé des transactions ont vu leurs revenus augmentés de plus de 8% en 2023. Du jamais vu. La hausse de l'apport personnel exclut la part des ménages des moins favorisés du marché. Enfin, les ménages qui ne peuvent plus réaliser leurs projets dans les grandes agglomérations se sont déplacés dans l'espace, partout sur le territoire où les prix sont les plus bas.
« Ce n'est pas les prix qui ont baissé, ce ne sont pas les mêmes prix ! », rappelle Michel Mouillart. Effectivement, difficile de comparer les prix parisiens - ville qui ne représente que 3% du marché - avec les 1.400 euros du mètre carré d'une ville moyenne de province. D'où la baisse de 8 % du crédit immobilier moyen en 2023, voire même 13% pour les crédits cautionnés par Crédit Logement (à 227.000 euros).
Ce qui renvoie à l'éternelle question de cette baisse des prix qui ne viendrait pas et qui gèlerait en conséquence le marché. Sur le marché immobilier, la règle est connue : l'ajustement du marché se fait d'abord sur les volumes et l'ajustement par les prix est beaucoup plus tardif. Pourtant, selon l'économiste Alain Tourdjman, directeur des études et de la prospective chez BPCE, « compte tenu de l'inflation pendant deux ans, les prix réels de l'immobilier sont revenus à leurs niveaux d'avant la crise financière de 2008 ».
Pierre Chapon mise pour sa part sur une baisse concomitante des prix nominaux - de l'ordre de 10% - et des taux d'intérêt, de l'ordre de 100 à 150 points de base, pour rééquilibrer le marché en 2024. « La baisse des prix sera limitée cette année par la baisse des taux qui va davantage solvabiliser la clientèle », avance le fondateur du courtier en ligne. Actuellement, Pretto estime à 8 % la décote au prix négociée sur les transactions, mais pas encore visible sur les données publiées par les notaires.
« La révision des projets par les emprunteurs eux-mêmes, leur montant, leur localisation, la surface, est déjà équivalente à une baisse de prix importante », estime un professionnel du crédit. « Dans les territoires, ce n'est pas par la baisse des prix que le marché va se réactiver, mais bien par l'amélioration de la capacité des ménages à accéder au crédit », avance Michel Mouillart.
Stabilisation du marché
Et cela commence à bouger sur le marché. « Un début de commencement », estime le conseiller scientifique, qui remarque qu'en 2023, la fin d'année est complètement différente du début de l'année. Selon les chiffres de l'Observatoire, la chute du nombre de prêts était de 46% au premier semestre 2023 pour finalement se stabiliser sur un recul de 19,5% au quatrième trimestre. « Cela ne signifie pas que le rebond est à portée de main, mais que les prochains mois seront probablement ceux de la stabilisation de l'activité », souligne Michel Mouillart.
« Aujourd'hui, l'offre de crédit est totalement revenue et toutes les banques sont dynamiques sur le marché pour aller chercher les clients, en particulier les banques commerciales qui animent même le marché. Et du côté de la demande, nous percevons un frémissement et nous pensons que le marché va trouver son nouvel équilibre au second semestre 2024 », analyse Pierre Chapon.
Les banques ont en effet réussi à restaurer leurs marges, grâce notamment à une hausse de plus de 300 points de base du taux d'usure (sur les crédits à 20 ans et plus) sur l'année 2023, même si le taux moyen du crédit (hors assurance) n'a progressé que de 190 points de base. Mais sur certains dossiers, les moins bons, on a vu des crédits à plus de 5 % !
Un taux moyen de 3,25% à la fin 2024
À la mi-janvier, selon l'Observatoire du Crédit Logement/CSA, le taux moyen des crédits immobiliers est de 4,23%. Autant dire que les taux moyens sont stables depuis trois mois. Ce qui est logique sachant que la Banque centrale européenne n'a plus augmenté ses taux directeurs depuis septembre et qu'il est « probable », selon l'expression de la présidente de la BCE, Christine Lagarde, qu'elle commence à les baisser « à l'été ».
La dégradation de l'offre est certainement derrière nous, clament la plupart des courtiers, donc le marché peut commencer à sortir la tête de l'eau si la demande revient peu à peu. Les ménages n'anticipent pas vraiment une baisse des taux franche (comme d'ailleurs une baisse des prix), et personne n'anticipe une forte reprise économique. Mais il ne faut pas s'attendre non plus à des miracles du côté des taux.
Selon l'Observatoire, le taux moyen au premier trimestre 2024 devrait être de 4,20%, soit le même niveau qu'au quatrième trimestre, avec une baisse très progressive des taux en cours d'année, pour terminer à 3,25% au quatrième trimestre. Soit un gain de presque 100 points de base.
« Ce mouvement de décrue devrait se poursuivre en 2025 mais de manière plus lente », anticipe Michel Mouillart. De quoi néanmoins donner un nouveau souffle à la solvabilité des ménages. « Mais ce ne sera pas le grand rebond », prévient l'économiste. Il faut donc oublier 2021, sa production record et un taux moyen de 1%... que l'on ne retrouvera certainement pas avant des décennies.
Sujets les + commentés