Les cinq grands défis de Joël Barre à la tête de la DGA

Arrivé au cœur de l'été, le nouveau délégué général pour l'armement Joël Barre a du pain sur la planche : budgets 2017 et 2018, loi de programmation militaire, réforme de la DGA, maintien des exportations tricolores et attractivité de la DGA.
Michel Cabirol
(Crédits : CNES / Emmanuel Grimault)

Au cœur de l'été, le 9 août, le gouvernement a nommé Joël Barre en tant que nouveau délégué général pour l'armement (DGA). L'ancien numéro deux du CNES, devenu général cinq étoiles par la grâce de sa nomination, sera notamment chargé avec le chef d'état-major des armées et le secrétaire général pour l'administration, de préparer la nouvelle loi de programmation militaire (LPM). Il devra également trouver 850 millions d'euros d'économies sur le programme 146 (Équipement) à la suite des coupes budgétaires imposées par Emmanuel Macron. Voici ses cinq grands défis.

1/ Trouver 850 millions d'économies sur les équipements en 2017

C'est le dossier de très court terme à traiter par Joël Barre. Arrivé en août à l'issue de la crise entre le chef d'état-major des armées (CEMA) et Emmanuel Macron sur le budget 2017, le nouveau DGA doit se coltiner un dossier à la fois rasant et enquiquinant. En tant que copilote avec le CEMA du programme 146 (budget des équipements militaires), il doit trouver 850 millions d'euros d'économies voulues par Bercy et validées par l'Elysée sur cet agrégat à quatre mois de la fin de l'année. Soit environ 15% des crédits du programme 146 si on met à part les crédits intouchables pour la dissuasion. La marge de manœuvre est donc très, très réduite aussi bien en termes de calendrier (à quatre mois de la fin de l'année) et en termes de consommation de crédits - on évoque plus de 90% de crédits déjà consommés. Autant dire que Joël Barre ne va pas se faire que des amis auprès des industriels, dont certains vont être impactés par les décisions prises par le nouveau DGA contrairement à ce qu'a promis Emmanuel Macron.

Le ministère des Armées a déjà trouvé des solutions vieilles comme le monde. C'est évidemment du bricolage mais de bonne guerre. L'une d'elles consiste à jouer sur la trésorerie pour absorber une bonne moitié des 850 millions d'euros, comme par exemple ne pas payer une partie des versements de la France à des organismes de défense européens comme l'OCCAR (Organisation conjointe de coopération en matière d'armement), ou l'agence NAHEMA (Nato Helicopter Management Agency). Mais la France devra payer en 2018 ...  On évoque également des économies de gestion passant par une optimisation des achats. Enfin, un autre volet porte "pour les quelques 400 millions restants" sur les contrats, livraisons et commandes, selon Reuters.

Cette tactique budgétaire consiste à étaler dans le temps des programmes et à réduire la cible d'acquisition, ce qui augmenterait le "report de charges" du ministère de 400 millions d'euros pour atteindre 3,5 milliards d'euros à fin 2017 (3,1 milliards fin 2016). Ces décalages calendaires pèsent sur les troupes, en attente pressante d'équipements sur les théâtres extérieurs. Ainsi, selon nos informations, toutes les commandes sont annulées jusqu'au 1er janvier 2018, y compris celles décidées par le conseil de défense après les attentats de novembre 2015. Soit un manque à gagner de 10% pour les industriels sur le paiement de chaque programme reporté à 2018.

Qui va trinquer ? Certainement les petits contrats de modernisation ou d'acquisition souvent nécessaires - ou impératifs - aux armées dans le cadre des opérations extérieures (OPEX). En revanche, les grands programmes vont passer entre les gouttes, estime un bon connaisseur de ces dossiers. Selon Reuters, l'hypothèse d'annulations de contrats n'est pas exclue et pourrait porter sur 20% des 400 millions d'euros visés. A charge à la DGA de négocier avec les industriels concernés.

2/ Préparation de la Loi de programmation militaire

C'est également un dossier de court terme. La loi de programmation militaire 2019-2025 (LPM) doit être présentée au conseil d'État en janvier 2018, selon les vœux du gouvernement. Autant dire que la préparation va être menée tambour battant. La ministre des Armées a lancé, le 30 juin dernier, les travaux d'une revue stratégique de défense et de sécurité visant à actualiser ceux qui avaient été menés dans le cadre des Livres blancs ayant précédé les deux LPM précédentes. Ils visent à prendre en compte les nouvelles menaces qu'il faut comprendre et anticiper. Une quinzaine de personnes a été réunie autour du député européen Arnaud Danjean. Cette revue permettra de préparer l'élaboration de la prochaine LPM.

"Sa caractéristique première est d'être un exercice concentré dans le temps et dans la composition de son comité d'experts", a expliqué début juillet lors de son audition à l'Assemblée nationale Florence Parly.

Principal objectif de la ministre : "donner les moyens de la réussite à nos forces armées" tout en veillant à la réduction des coûts et des délais des programmes. La ministre souhaite avoir sur son bureau "dans les prochaines semaines" des propositions de la DGA en vue d'améliorer la conduite des projets d'investissement afin qu'ils correspondent et s'adaptent mieux aux besoins des forces armées. Ce qui va obliger Joël Barre à mieux équilibrer l'action de la DGA entre les besoins opérationnels des armées et la défense de la base industrielle et technologique de défense (industriels), qui a été privilégiée lors du règne de Laurent Collet-Billon. Le chef d'état-major de l'armée de terre, le général Jean-Pierre Bosser s'en était d'ailleurs plaint lors de son audition début juillet. Interrogé par le député Jean-Michel Jacques sur sa place au sein du triangle constitué par la direction générale de l'armement, l'industrie de défense et le chef d'état-major de l'armée de terre, il la considérait "comme insuffisante".

"Dans la conception des matériels qui vont équiper l'armée de terre, je n'ai pas, juridiquement, d'autre place reconnue que celle de tester lesdits matériels, a-t-il expliqué début juillet à l'Assemblée nationale. Quand il s'est agi de remplacer le FAMAS, j'ai mis le pied dans la porte : je suis allé voir le ministre pour lui demander s'il acceptait qu'on décide du remplacement du fusil qui équipe tous les soldats de l'armée de terre, sans que le chef d'état-major de l'armée de terre ait voix au chapitre. Il m'a répondu que non. J'ai donc pris ma place et j'entends la garder. C'est un ménage à trois, ce qui est parfois difficile (Sourires) ; reste néanmoins une insuffisance structurelle dans cette co-construction".

Si Emmanuel Macron respecte sa promesse de parvenir à un effort de défense de 2% du PIB en 2025 (50 milliards d'euros hors surcoûts des opérations extérieures et intérieures et hors service national universel), Joël Barre verra la vie en rose ou presque à la tête de la DGA. Car dans ce contexte édénique, le budget de la défense bénéficiera de 2,25 milliards d'euros supplémentaires par an à partir de 2019. Ce qui permettra de satisfaire en très grande partie les forces armées et les industriels. Mais c'est sans compter la loi de programmation des finances publiques (LPFP) attendue en 2018, dont l'objectif est de planifier sur plusieurs années les recettes et les dépenses de l'État et de fixer la trajectoire budgétaire générale. La LPFP aura-t-elle un droit de regard sur la LPM ? A suivre...

3/ Réforme de la DGA

 C'est LE gros dossier de Joël Barre. Florence Parly a été très claire début juillet. "Nous allons poursuivre l'adaptation du ministère aux défis de la modernité, en ce qui concerne tant les hommes que les matériels, (...) : la réforme de la DGA sera à cet égard un élément déterminant", avait-elle expliqué. Le nouveau DGA a "pour mission non seulement d'améliorer la qualité et de veiller à la modernité de nos équipements, mais également d'engager une profonde transformation visant à trouver des modes de financement innovants pour accélérer le renouvellement des matériels". Va-t-on revenir aux trop fameuses sociétés de projets (SPV) déjà mises au placard par l'ex équipe Le Drian ? En 2015, le ministère de la Défense avait prévu de créer deux sociétés de projet, dont une achètera trois frégates multimissions FREMM livrées à la marine entre 2015 et 2017 et l'autre quatre A400M (Atlas) livrés à l'armée de l'air entre 2016 et 2017.

En outre, une éventuelle évolution du statut de la DGA avait été envisagée et étudiée en 2014, sous le seul angle d'une solution technique. L'inspection générale des finances, l'Agence des participations de l'État, la DGA et le contrôle général des armées avait étudié une solution permettant d'utiliser des produits de cessions de participations, identifiées comme source potentielle de ressources exceptionnelles. Une telle évolution aurait eu des conséquences importantes, sous les angles contractuels, sociaux et financiers. Ce qui aurait nécessité un débat au préalable.

4/ Tenir le haut niveau des exportations d'armement

La France pourrait à moyen terme déchanter à l'exportation après les bons résultats des trois dernières années. De plus en plus de grands commerciaux tricolores dans l'armement sont découragés par les nouvelles règles de "compliance" (conformité), contrôlées trop souvent par des cabinets d'avocats américains, et par les nouvelles prérogatives du parquet national financier (Lois Sapin). Chez Airbus notamment, un bon commercial est désormais un commercial qui fuit les contrats, estime un bon connaisseur de ces dossiers. "Il n'est plus question de prendre le moindre risque dans des pays difficiles, explique-t-on au sein de la direction d'Airbus. On préfère passer notre tour et laisser les autres groupes gagner. C'est une ligne très claire chez nous".

Bien sûr la lutte contre la corruption est absolument nécessaire, mais encore faut-il que les industriels du monde entier jouent avec les mêmes règles. Ce qui n'est pas vraiment le cas, y compris par des industriels de pays voisins de la France ou même dans certains pourtant considérés comme vertueux comme la Suède. Alors qu'en France les affaires se multiplient avec les enquêtes des juges français sur des contrats signés en Malaisie et au Brésil... et paralysent les groupes français, les industriels étrangers se frottent les mains. Car cette situation n'incite pas le développement des affaires avec les groupes français et ternit l'image même de la France à l'international. Pourquoi des responsables politiques étrangers prendraient-ils le risque de traiter avec des groupes tricolores avec le danger de se retrouver un jour devant un juge français ? La France doit absolument trouver une parade. La généralisation des contrats d'état à état pourrait être un bon moyen de signer de nouvelles commandes à l'image du Rafale en Inde. La ministre a demandé au DGA de proposer des mesures pour renforcer, soutenir et promouvoir les projets à l'exportation, qui contribuent au rayonnement de la France dans le monde.

Autre problématique pour Joël Barre, la DGA consomme de plus en plus de moyens à l'export. Au total, 600 personnes seront nécessaires, au vu des contrats et prospects actuels, pour tenir compte de l'évolution de l'implication de l'État dans les contrats d'ici à 2025, dont 300 d'ici à la fin de la loi de programmation en 2019, avait estimé l'ancien DGA, Laurent Collet-Billon. Le nouveau DGA devra mettre l'accent sur le recrutement d'ingénieurs de haut niveau. Au-delà, il devra répondre à cette question : comment compenser la charge que représente pour l'État l'action de ces personnels de la DGA dédiés à l'exportation au profit de l'industrie : démonstration de la qualité des équipements proposés, réalisation d'actions directement liées à un contrat. Pour la DGA, ces prestations devront être financées. Par qui ?

5/ Attractivité de la DGA

La DGA, qui emploie 9.600 personnes, recrute des personnels de très haut niveau mais très souvent mal payés. En fin d'année dernière, Laurent Collet-Billon s'était dit "préoccupé par la faible compétitivité des salaires offerts par l'État par rapport à ceux du secteur privé". Joël Barre devra réfléchir aux mesures à prendre pour que la DGA reste compétitive en matière de recrutement des ingénieurs civils, notamment dans des domaines spécifiques comme la cyberdéfense.

Michel Cabirol

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Commentaire 1
à écrit le 23/08/2017 à 23:16
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Il y a de quoi être inquiet, qui plus est avec une Ministre sans Défense, inexpérimentée et probablement incompétente !

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