Une salle, deux ambiances... Le contraste est implacable entre l'enthousiasme des marchés financiers pour les startups de la voiture électrique et leur désenchantement pour les constructeurs traditionnels. Les premiers explosent en Bourse, les seconds rament...
Rivian fracasse la Bourse de New York
Dernier épisode en date: l'entrée en Bourse fracassante de Rivian ce mercredi. Alors que le constructeur américain de voitures électriques, soutenu par Ford et Amazon, avait fixé son prix d'introduction à 78 dollars (bien au-dessus de la fourchette de 57 à 62 dollars envisagée il y a moins de dix jours), l'action a explosé mercredi et jeudi pour atteindre 122,99 dollars, valorisant l'entreprise à près de 105 milliards de dollars! Pour rappel, en juillet dernier, elle était encore valorisée autour de 30 milliards de dollars. Rivian qui a à peine commencé à construire des véhicules électriques vaut ainsi presque autant que son actionnaire principal Ford, et plus de dix fois Renault, qui produit déjà 3 millions de voitures (dont 60.000 voitures électriques vendues en 2020).
Rivian a en effet livré ses premiers pick-up, baptisés R1T, en septembre et prévoit d'écouler ses premiers SUV, les R1S, en décembre. Fin octobre, elle avait un carnet de commandes pour 55.4000 R1T et R1S qu'elle comptait livrer d'ici fin 2023. Rivian prévoit aussi de livrer 100.000 camionnettes à Amazon d'ici à 2030.
Les autres constructeurs du même type ne sont pas moins bien traités puisque les chinois Nio et Xpeng valent respectivement autour de 68 et 41 milliards de dollars à Wall Street. Le plus spectaculaire reste néanmoins le seuil des mille milliards de dollars franchi il y a deux semaines par Tesla, faisant de l'entreprise qui produira cette année 750.000 voitures, l'une des premières capitalisations du monde, tous secteurs confondus.
Ces chiffres donnent le tournis aux constructeurs traditionnels... Seul Toyota caresse les 300 milliards de dollars. Daimler se situe autour de 100 milliards, et Volkswagen navigue juste sous ce seuil.
"La valorisation de Tesla est une bulle", affirme sans hésiter un gérant de portefeuille, bon connaisseur du secteur automobile. "Imaginez que la seule valorisation d'une entreprise corresponde presque aux deux tiers du volume d'affaires total du marché mondial...", explique-t-il.
Une bulle qui ne dégonfle pas
Pourtant, cela fait des années que les spécialistes de marché pronostiquent une chute du cours de Tesla... Certains avaient même parié à la baisse à travers le mécanisme des achats à découvert. Le titre n'ayant pas baissé comme attendu, ces fonds se sont retrouvés en difficultés financières.
Car les investisseurs n'ont manifestement pas les mêmes exigences avec les acteurs du nouveau monde qu'avec ceux de l'ancien. Ainsi, pas de sanction quand Tesla promet des profits depuis 2015... et vient à peine de passer dans le vert sur un exercice entier. Pas de sanction boursière non plus quand Elon Musk, son PDG, avait promis la production de 500.000 voitures pour 2018 et que l'objectif n'a été rempli que deux ans plus tard. Pas de sanction non plus quand il avait annoncé via Twitter un retrait de la cote sur la foi d'un soi-disant accord avec un groupe saoudien...et qu'il a dû se raviser, non sans conséquences pour les actionnaires (notamment ceux qui avaient misé sur la baisse du titre)... Jamais, les errements opérationnels d'un patron se sont traduits par une explosion du cours de Bourse.
A l'inverse, les constructeurs automobiles traditionnels paient cash la moindre décimale de sa marge opérationnelle non conforme au consensus des analystes. Comment expliquer ce double standard alors même que les constructeurs historiques sont désormais inscrits dans la course à la voiture électrique avec des atouts sérieux ?
Les investisseurs ne croient tout simplement plus au modèle économique des "legacy". Ils jugent que l'avènement de la voiture électrique va achever le modèle historique dans lequel la chaîne de valeur reposait essentiellement dans la performance industrielle et l'innovation moteur. La voiture électrique supprime de facto le moteur thermique et toute la chaîne de traction, équipements de dépollution compris. C'est près d'un tiers de la valeur de la voiture qui disparaît. La chaîne de valeur se déplace en revanche sur les batteries. Sauf que dans le modèle historique des constructeurs, cette pièce est nécessairement sous-traitée... En Chine notamment.
Le modèle Tesla, nouvelle boussole des marchés
Tesla, lui, a décidé de passer à un modèle d'intégration verticale. Il produit lui-même les batteries, déploie son propre réseau de recharge... Il a même inventé un Operating System qui révolutionne le fonctionnement technique d'une voiture. Le logiciel prend une nouvelle place dans la chaîne de valeur automobile. D'après le cabinet PwC, le software représentera près de 60% de la valeur d'une voiture en 2030.
Avec son OS, véritable Windows pour voiture, Tesla a donc pris une longueur d'avance face aux constructeurs traditionnels. Pour les investisseurs, la valorisation de Tesla reflète ce leadership dans la chaîne de valeur de demain. Ils anticipent également que les Rivian, XPeng, Nio et autres Lucid s'inscrivent dans cette même démarche. Ces derniers doivent pourtant encore apporter des gages sur leur modèle industriel. La chasse aux programmeurs fait rage dans l'industrie automobile, surtout depuis que Volkswagen a lancé Cariad, une nouvelle filiale dédiée au software qui ambitionne de recruter 11.000 ingénieurs informatiques.
Avec ses 18 milliards d'euros de profits par an, Volkswagen a les moyens de financer un véritable virage industriel. En gardant une expertise industrielle, des marques bien implantées géographiquement, le groupe allemand est ainsi parvenu à fendre le carcan de "legacy" qui lui a été assigné, avec un titre qui a augmenté de 68% depuis le début de l'année, contre 47% pour Stellantis, et -3% pour Renault. Ce dernier ne croit d'ailleurs pas à une seule vérité sur le modèle de demain. Son patron, Luca de Meo estime qu'il est possible de travailler sur un modèle horizontal à travers un écosystème. Dans son plan d'électrification annoncé en juillet, Luca de Meo s'était ainsi largement détaché du modèle Tesla. Il avait déçu les marchés, et le titre Renault avait été immédiatement sanctionné en Bourse.
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