C'était un exercice périlleux, mais Herbert Diess a joué le jeu jusqu'au bout. Le puissant patron du groupe Volkswagen s'est livré, jeudi, au jeu des questions-réponses avec les salariés du site historique de Wolfsburg. Dans un contexte de pénurie de semi-conducteurs provoquant des suspensions de production, les salariés étaient très remontés contre leurs dirigeants.
"Vous nous fournissez régulièrement de jolies photos de vos voyages, mais malheureusement, toujours pas de semi-conducteurs", a lancé Daniela Cavalho, leader de l'association représentative des salariés de l'usine, Betriebsrat, et dont les propos ont été repris par l'AFP.
Le groupe automobile allemand, premier mondial au coude-à-coude avec Toyota, a déploré un manque-à-gagner d'un quart de sa production depuis le début de l'année faute de puces électroniques... Herbert Diess a tenté de rassurer sans nier la réalité: "le manque de puces va nous accompagner aussi l'année prochaine (...) même si l'approvisionnement s'améliore".
Pédagogie de la nouvelle stratégie
Mais le PDG de Volkswagen s'est employé à faire la pédagogie de sa nouvelle stratégie lancée en début d'année, dans un climat très anxiogène. Il a ainsi exprimé son inquiétude. "Dans le nouveau monde automobile, une concurrence jamais vue nous attend", a-t-il expliqué avant de lâcher: "aujourd'hui est le bon moment pour une révolution chez Volkswagen".
En janvier dernier, le groupe automobile allemand avait annoncé un virage stratégique historique. Il s'agissait de rompre avec l'organisation horizontale de ses métiers essentiellement dédiés à la production automobile, pour passer à un modèle vertical intégrant les activités en amont et en aval : de la création logicielle en passant par le déploiement de réseaux de recharges. Pour Herbert Diess, la transformation de l'industrie automobile avec son électrification accélérée commandait de renverser la table, copiant ainsi le modèle Tesla. "Ce sera surtout l'offre en logiciels qui décidera des parts de marché", a-t-il dit, avant d'anticiper sur la concurrence exacerbée qui se prépare.
"Si Tesla est la référence, d'autres startups solides arrivent sur notre marché", a-t-il souligné. Effectivement, de nombreuses startups dédiées à l'électromobilité émergent aux Etats-Unis ou en Chine, et lèvent d'ores et déjà des sommes colossales sur les marchés. L'américain Lucid est valorisé 60 milliards de dollars, tandis que son compatriote Rivian prépare une introduction en Bourse de l'ordre de 50 milliards.
En Chine, on ne compte plus les Tesla locaux aux cotations stratosphériques. Cotés à Wall Street, les chinois Xpeng et Nio valent respectivement 31 et 58 milliards de dollars. A côté, Volkswagen et ses 10 millions de voitures annuelles ne pèsent qu'un petit 86 milliards de capitalisation boursière.
Les voitures chinoises sont "vraiment pas mal"
Pour pousser le bouchon de l'électrochoc jusqu'au bout, Herbert Diess a confessé avoir essayé plusieurs de ces voitures chinoises: "il faut avouer qu'elles sont vraiment pas mal", a-t-il affirmé, un brin provocateur.
"Je m'inquiète pour Wolfsburg", a-t-il également déclaré. "Je veux que vos enfants et petits-enfants aient encore en 2030 un emploi chez nous à Wolfsburg", a ajouté le PDG du groupe alors même que le site historique doit accueillir à partir de 2026 le projet Trinity. Ce dernier doit mettre en production une série de voitures électriques, ce sera l'occasion pour transformer l'usine. Mais l'arrivée de voitures électriques inquiète les salariés puisque ces nouveaux modèles comporteront moins de pièces, et pourraient ainsi avoir un impact sur les emplois.
Volkswagen travaille déjà sur le projet qui succédera à Trinity et sera baptisé Vision 2030 et décidera du sort de Wolfsburg où réside également le siège social de la multinationale. Le directoire présentera cette nouvelle feuille de route le 9 décembre prochain.
Herbert Diess avait déjà dû affronter la colère des syndicats en 2020, notamment celle du plus puissant d'entre eux: IG Metall. Celui-ci s'était allié aux baronnies internes d'ingénieurs pour faire échec aux velléités de la direction d'aller plus franchement dans l'électrification. Herbert Diess avait alors mis en demeure le conseil de surveillance d'arbitrer le sujet, mettant sa démission sur la table. Fin 2020, il obtenait le soutien des actionnaires. Le chemin pour obtenir celui des salariés s'annonce toutefois plus long...
Sujets les + commentés