Alors que la France risque de manquer cruellement d'électricité dans les prochains mois, le gouvernement tente de sécuriser à tout prix le passage de l'hiver. Et cherche activement des parades afin d'éviter les coupures, dont les conséquences pourraient s'avérer catastrophiques. De fait, le risque de tensions sur le réseau national est désormais « élevé », a alerté ce vendredi le gestionnaire du réseau de transport d'électricité RTE, à cause d'un manque de disponibilité des réacteurs nucléaires, dont la remise en marche tarde plus que prévu. Résultat : au fur et à mesure que les températures chutent, le scénario du pire tant redouté se profile...
Pour s'en écarter, l'Hexagone compte d'abord se reposer sur son voisin allemand. Car il ne sera pas possible de pallier le manque critique de marge de la France sans recourir massivement aux électrons provenant d'outre-Rhin, nécessaires pour répondre à la demande à venir. « Les exportations vers la France devront se faire au maximum de leurs capacités [...] C'est un point crucial », souligne-t-on au ministère de la Transition énergétique. Puisque la France manque de courant et l'Allemagne de gaz, un échange de bons procédés entre les deux pays devrait ainsi prémunir les deux puissances économiques d'un scénario noir, ponctué de pénuries et autres rationnements.
Dans ces conditions, l'Hexagone devrait signer un accord avec le gouvernement du chancelier Olaf Scholz « d'ici à la semaine prochaine », a fait savoir l'exécutif ce vendredi, de manière à s'assurer qu'il « joue le jeu de la solidarité ». Celui-ci pourrait être approuvé lors de la visite à Berlin de la Première ministre française, Élisabeth Borne, prévue jeudi prochain.
Moins de puissance nucléaire que prévu
Il faut dire qu'en France, la situation est telle que le pays importe déjà massivement son courant. Rien que de janvier à mars, l'Hexagone a acheté pas moins de 6.000 gigawattheures (GWh) d'électricité à l'Allemagne. Ce qui équivaut à 5% de la production totale du pays ce trimestre, selon le groupe de réflexion Fraunhofer ISE, et représente une multiplication par cinq par rapport à la même période l'an dernier.
Surtout, malgré le répit offert pas les températures anormalement douces enregistrées ces dernières semaines, les prévisions s'assombrissent. En effet, alors qu'EDF avait prévu la semaine dernière une disponibilité de 48 gigawatt (GW) de ses réacteurs au 1er janvier, RTE mise désormais sur 40 GW seulement, soit 65% de la capacité installée mobilisable en plein hiver. Et pour cause, le pays fait actuellement face, au pire moment possible, à un défaut de corrosion identifié dans plusieurs installations nucléaires dont les causes et l'évolution restent inconnues.
À cela s'ajoute un défaut structurel : ces dernières années, la France a fermé nombre de ses capacités, de la centrale nucléaire de Fessenheim aux centrales à charbon polluantes... sans pour autant les remplacer par des moyens de production équivalents, entre retards sur le chantier de l'EPR de Flamanville et atermoiements sur l'installation d'éoliennes et de panneaux solaires. L'Allemagne, elle, a conservé plus de marges, d'autant que le pays a décidé de garder en activité pas moins de 14 gigawatts (GW) de centrales à charbon qui devaient fermer cette année, et de prolonger l'activité de ses trois dernières centrales nucléaires.
Possible arrêt temporaire des exportations d'électricité
Cet accord avec Berlin devrait ainsi permettre d'éviter le pire. Mais encore faut-il que les besoins de la France restent limités, puisque les livraisons d'électricité depuis l'Allemagne ne sont pas infinies. Elles risquent en effet d'être rapidement restreintes par des freins techniques, notamment lors des pointes de demande.
« Il faut s'attendre à des goulets d'étranglement liés aux capacités d'interconnexion des réseaux, aujourd'hui limitées à 13 GW environ. C'est pour cela qu'en période de tension, il y a toujours des congestions aux frontières. Cela explique aussi que le prix de gros ne soit pas le même partout », expliquait il y a quelques mois à "La Tribune" Jacques Percebois, économiste et directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (CREDEN).
Par ailleurs, l'Allemagne elle-même pourrait finir par manquer de courant. Début octobre, Hendrik Neumann, le directeur technique d'Amprion, le plus grand des quatre opérateurs de réseaux électriques allemands, a averti dans le Financial Times qu'un arrêt temporaire des exportations d'électricité pourrait devenir nécessaire en « dernier recours » afin d'éviter les pénuries d'électricité et les goulets.
Agir sur la demande avec les écogestes
Face à ces incertitudes, le gouvernement français compte également sur les citoyens pour diminuer leur consommation électrique en période de tension. Il a d'ailleurs lancé il y a quelques semaines une campagne de communication pour informer sur les écogestes, afin d'agir sur la demande, à défaut de pouvoir augmenter l'offre. Et s'appuie sur un nouvel outil développé par RTE et l'Ademe, baptisé Ecowatt, qui permettra de savoir quand il sera nécessaire de diminuer ses dépenses énergétiques selon la couleur du système, vert, orange ou rouge.
« Ce sera le "Bison futé" pour le système électrique cet hiver, qui permettra de réduire le risque de coupures », affirme-t-on au sein de l'exécutif.
Reste que, selon RTE, seulement 350.000 Français se sont inscrits pour recevoir les fameuses alertes d'Ecowatt, lequel reste encore assez peu connu du grand public. Le gouvernement, lui, se veut rassurant, et rappelle que le dispositif fera bientôt son entrée dans les bulletins météo télévisuels.
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