Recourant depuis mars à l'activité partielle pour la quasi-totalité de ses salariés, Air France compte désormais les faire basculer dès novembre vers l'activité partielle longue durée (APLD). Le transport aérien étant éligible à ce dispositif mis en place pour aider les entreprises confrontées à une perte durable d'activité, la compagnie aérienne a commencé les négociations avec les syndicats pour trouver un accord sur les conditions d'application d'un chômage partiel à 50% d'une durée de 24 mois, lequel ne remet pas en cause le plan de suppression de 6.500 postes d'ici à fin 2022, annoncé début juillet (hors HOP, la filiale régionale).
Ce système est plus avantageux pour la compagnie qu'un chômage partiel classique. La compensation par l'État des heures chômées est notamment plus importante. L'intérêt est certain en termes de préservation de cash, même s'il y aura "un reste à charge". Le système est plus avantageux également pour les salariés qui conserveraient 84% de leur rémunération nette, contre 70% à partir de novembre dans le cadre d'une activité partielle de droit commun. Les syndicats ont un prérequis dans cette négociation : ce chômage partiel longue durée doit garantir l'absence de tout licenciement pendant la période, et même au-delà pendant six mois.
L'équation se complique
L'équation se durcit pour la compagnie française. Le regain de la pandémie en Europe a douché les espoirs d'une reprise d'activité lente et progressive comme l'espéraient tous les transporteurs fin juin après trois mois d'arrêt quasi-total de l'activité. Avec un climat sanitaire et économique anxiogène et l'existence de restrictions de voyage dans la grande majorité des pays desservis par Air France, le trafic pique du nez et les prises de réservations pour les prochains mois s'écroulent. Le phénomène est mondial. Au point de pousser ce mardi l'Association internationale du transport aérien (IATA) à réviser à la baisse ses prévisions de trafic. La baisse au niveau mondial en 2020 ne sera pas de 63% mais de 66%.
L'objectif d'assurer en 2021 80% des capacités s'éloigne
Résultat : Air France, qui espérait il y a encore quelques semaines exploiter 70% de son offre en novembre et décembre, table désormais sur 50% de son programme. Sans visibilité sur l'arrivée d'un vaccin fiable ou d'une généralisation des tests antigéniques dans les aéroports pour les passagers au départ, le scénario d'opérer en 2021 80% de ses capacités de 2019 s'éloigne chaque jour davantage. Or, c'est ce niveau d'offre en 2021 et celui espéré en 2022 (90%) qui avaient contribué à calibrer le plan de suppression de 6.500 postes d'ici à fin 2022, soit 16% des effectifs du groupe français.
Un système de chômage partiel longue durée permettrait donc d'absorber un sureffectif plus important que prévu. À condition qu'Air France soit en mesure d'assurer au moins 50% de son programme de vols, correspondant au niveau d'activité partielle recherchée.
Les départs volontaires feront-ils le plein?
En effet, s'il est trop tôt pour s'avancer sur le niveau d'activité de 2022, le sureffectif risque d'être plus important que prévu en 2021 en raison d'une baisse des capacités plus forte qu'escompté. D'autant plus si les plans de départs volontaires (PDV) ne font pas le plein. La rupture conventionnelle collective (RCC) des personnels navigants commerciaux n'a séduit, par exemple, que 1.100 hôtesses et stewards, alors que la rupture conventionnelle collective pour cette catégorie de personnel tablait sur 1.700 personnes. Pour le personnel au sol, le PDV va être lancé en janvier après la signature d'un accord majoritaire signé avec la CFDT et la CFE-CGC sur les conditions de départ. Selon la direction, son calibrage porte sur 3.640 personnes et inclut des salariés qui devaient partir à la retraite et prendront le PDV pour obtenir de meilleures conditions de départ (l'accord ne comporte néanmoins aucun chiffre). Quoi qu'il en soit, certains syndicalistes doutent qu'il fasse le plein, malgré des primes de départ conséquentes. D'où les craintes de départs contraints et la demande des syndicats de garantir l'absence de licenciements pendant la période de l'APLD.
Être compétitif en sortie de crise
Au-delà de la question des suppressions de postes, se pose celle de la productivité et des conditions de rémunération du personnel en place. Les rémunérations vont-elles baisser? Les conditions de travail vont-elles être durcies pour améliorer la productivité, alors que la direction martèle en interne qu'elle veut ressortir de la crise avec un bon niveau de compétitivité par rapport à ses concurrents européens, Lufthansa et le groupe IAG ?
Pour l'heure, toucher aux salaires n'est officiellement pas d'actualité, alors que l'activité partielle les fait déjà baisser. Et pourtant, selon un syndicaliste, le sujet commence à être évoqué. Un coup de rabot de la prime uniforme d'activité (PUA) attribuée aux personnels au sol et aux personnels navigants commerciaux et/ou du 13e mois constitue une option à l'étude. Pour les hôtesses et stewards, le sujet d'une baisse du minimum garanti pendant deux ans est quant à lui évoqué dans les négociations avec les syndicats. Beaucoup plus élevé que celui des pilotes, ce minimum garanti n'entraîne pas, contrairement à ces derniers, une baisse automatique importante des rémunérations en cas d'absence d'activité (-25% pour les pilotes). Le sujet fait forcément grincer des dents. Surtout qu'il s'accompagne d'une volonté de la direction de réduire les compositions d'équipage, c'est-à-dire le nombre d'hôtesses et stewards par passagers, pour les futurs A350 et A220.
Une multitude de petits leviers qui peut faire beaucoup de "0" sur le montant des économies obtenues. Mais qui reste néanmoins difficilement mesurable pour voir si cela suffira à maintenir l'écart avec les concurrents, sachant que ces derniers, avant crise, avaient déjà un avantage en termes de coûts. Au regard des mesures drastiques prises par les concurrents, IAG notamment, certains experts craignent au contraire que l'écart ne se creuse pendant la crise.
Pour rappel, fin juillet, Air France tablait sur une marge d'exploitation de 3% en 2022 et de 7% en 2023. Pour cette année, il prévoyait une perte d'exploitation de près de 3 milliards d'euros.
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