Gel : « Le fait que les cultures aient tant souffert est lié au changement climatique » (Jean-Marc Touzard, Inrae)

ENTRETIEN. Face à l’épisode de gel exceptionnel qui a surpris de nombreuses cultures en France, le gouvernement a décidé de déployer le régime de calamité agricole. Pour Jean-Marc Touzard, directeur de recherche à l’Institut national de recherche agronomique (Inrae) de Montpellier et co-animateur d’un projet sur l’adaptation des vignobles français au changement climatique, les dégâts sont, paradoxalement, imputables à la hausse globale des températures.
Si les dégâts sont difficiles à estimer, un grand nombre de cultures sont potentiellement atteintes sur un large secteur allant du nord de la France à la vallée du Rhône, en passant par le bordelais.
Si les dégâts sont difficiles à estimer, un grand nombre de cultures sont potentiellement atteintes sur un large secteur allant du nord de la France à la vallée du Rhône, en passant par le bordelais. (Crédits : Pixabay)

LA TRIBUNE - Le syndicat agricole majoritaire, la FNSEA, parle d'un événement « historique ». Ce phénomène de chute des températures au début du mois d'avril est-il inédit ?

Jean-Marc Touzard - Même si l'ampleur de cet épisode de gel est forte, ce n'est pas une première dans l'histoire. Et il n'est pas non plus, a priori, lié au changement climatique en cours. Peut-être que nous nous apercevrons, avec du recul, qu'il s'inscrit dans le processus plus long du dérèglement, mais on ne peut pas l'affirmer aujourd'hui. Nous traversons chaque année, ou presque, des épisodes de gel plus ou moins importants en France.

En revanche, le fait que les cultures en aient tant souffert est bel et bien lié au changement climatique. Avec les hivers qui deviennent de plus en plus doux, on observe un phénomène de précocité dans la formation des plantes. Tous les stades de leur développement s'accélèrent. En vingt ans, l'augmentation des températures a vu la date de maturité du raisin, par exemple, avancer de 15 à 20 jours. Et l'agriculture dans son ensemble est touchée. C'est ce mécanisme qui la rend plus vulnérable aux épisodes climatiques inhabituels. Et qui explique l'ampleur du désastre d'une gelée tardive aujourd'hui pour les agriculteurs.

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Concrètement, quelles sont les conséquences de ce phénomène ?

Les dégâts seront considérables, notamment sur certaines plantations en pleine floraison début avril du fait du redoux. Certaines régions en ont particulièrement fait les frais, comme dans le Sud par exemple, où les vignes ont débourré très tôt. C'est-à-dire que le tissu duveteux à l'intérieur du bourgeon, qui lui permet de supporter des températures extrêmes en hiver, a disparu pour laisser place à la future fleur. Une fois débourrées, les pousses deviennent fragiles. Et, abîmées par le gel, elles se font un point d'entrée pour les champignons, qui les rendent malades.

En dehors de cet épisode météorologique, les retombées de la précocité sont multiples sur la qualité des cultures. Dans le cas du vin, la date de la vendange est avancée de trois semaines en moyenne - vers la fin août -, dans des conditions de températures bien plus élevées qu'auparavant. Cela joue sur des mécanismes biophysiques qui peuvent mettre à mal l'élaboration des composants du raisin, et accentue le risque d'oxydation. En outre, cette précocité peut entraîner une part de fermentation non désirée du moût du raisin, car la chaleur augmente la vitesse de développement des levures.

Comment peut-on y remédier ?

Il y a plusieurs leviers possibles pour s'adapter à ce phénomène. En amont, il est possible de modifier la date de plantation des semis, ou des cépages dans le cas du vin. En en choisissant des plus tardifs, ils pourront être débourrés plus tard, donc se révéler moins vulnérables à des épisodes de gel en avril, par exemple. On peut aussi localiser les parcelles dans des endroits moins gélifs. Par ailleurs, on peut encore améliorer les mécanismes d'information et d'alerte, à l'aide des nouvelles technologies, afin que les producteurs soient au courant en avance, et plus précisément, des menaces météorologiques qui planent sur leurs cultures.

Une fois que la vague de froid est là, plusieurs moyens existent pour minimiser les dégâts. Comme l'utilisation de filets protecteurs ou de tours antigel, une hélice qui, en tournant, permet d'amener l'air chaud vers le sol.

Enfin, en aval, si la catastrophe n'a pas pu être évitée, nous devons réfléchir à la mise en place de dispositifs financiers nouveaux pour les agriculteurs touchés, par le biais d'exonération ou d'assurances, avec un mécanisme de mutualisation du risque.

Alors que le changement climatique s'accentue, cela ne risque-t-il pas d'être insuffisant ?

Le problème, c'est que ces phénomènes s'accélèrent. Le climat deviendra de plus en plus instable, avec une multiplication des événements extrêmes et de séquences inédites, qui renforceront encore la précocité des cultures - avec toutes les conséquences que l'on a évoquées, et bien d'autres. A l'Inrae, nous avons mis en place un programme, Climae, pour pouvoir étudier les questions d'adaptation de l'agriculture au changement climatique. Nous avons besoin que la recherche avance dans ce domaine, pour rendre nos systèmes alimentaires plus résilients.

En France, nous avons la chance de disposer d'un territoire diversifié, avec des influences climatiques différentes - continentales et océaniques, et une large palette de parcelles agricoles. C'est un avantage, mais cela ne suffira pas. Je remarque que les acteurs bougent et font part de leurs volontés de trouver des solutions. La filière s'organise de plus en plus autour de ces questions, et le débat avance.

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Il est clair aujourd'hui que les systèmes qui résisteront le mieux sont ceux qui sauront se diversifier, à la fois dans la production et l'organisation des circuits. C'est pourquoi je pense qu'il ne faut pas s'enfermer uniquement dans des boucles locales, au risque de s'exposer à un risque très fort. Mais ne dépendre que des approvisionnements globaux n'est pas la solution non plus. Il est nécessaire de trouver le juste compromis.

Propos recueillis par Marine Godelier

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Commentaires 27
à écrit le 12/04/2021 à 22:56
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Disons d'abord que avec le changement climatique,malgré des tentatives d'adaptation,(culture sur côteaux au nord au lieu de l'est sud est) en dessous d'une ligne la Rochelle Mulhouse n'est plus idéal pour la culture de la vigne et ça va empirer. Fau...

à écrit le 12/04/2021 à 10:05
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la FNSEA fait tres fort. Toujours a demander moins d impots, a nier le rechauffement climatique et quand ils en sont victime (ici hivers tres doux donc bourgeons eliminé par un coup de gel) ils viennent pleurer pour avoir des subventions Il y en...

à écrit le 11/04/2021 à 18:44
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Oui, vive le changement climatique... Pour remettre certaines vérités à leurs place, les industriels ont créé des plantes manipulées génétiquement, incapables de s'adapter et de se défendre, contrairement aux espèces anciennes et sauvages. C'est sur,...

à écrit le 11/04/2021 à 11:07
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Vous auriez pas poussé les arbres a sortir de l'hiver trop tôt? Mes arbres fruitiés en pleine nature ont a peine les bourgeons qui apparaissent pour des fruits qui seront la cette été... Les fraises et autres fruits en vente actuellement sont pas de ...

le 11/04/2021 à 12:12
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Moi j'ai même mes premiers abricots ! ^^

à écrit le 11/04/2021 à 9:36
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Pendant ce temps : PAC 2021 : ouverture de Telepac. Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation. La télédéclaration des dossiers PAC 2021 est ouverte à partir du 1er avril 2021. La date limite de dépôt des déclarations est fixée au 17 mai 2021...

à écrit le 11/04/2021 à 7:48
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Que ferait-il pas ce gouvernement LREM à l'approche des élections Des indemnités exceptionnelles avec l'argent de nos impôts. Indemnités versées à qui : à des exploitants agricoles qui ont déjà de gros patrimoine. A ce moment là, par justice, que l'é...

le 11/04/2021 à 19:52
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Comme quoi il y en a certains qui ne sont jamais contents! Le gvt fait le job, des aides exceptionnelles sont sans doutes nécessaires et ne proviennent pas forcément de vos impôts mais de fond de garantie des catastrophes naturelles...Libre a vous de...

à écrit le 10/04/2021 à 18:26
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Le titre: 'Gel : « Le fait que les cultures aient tant souffert est lié au changement climatique' Première phrase de Jean-Marc Touzard: 'Même si l'ampleur de cet épisode de gel est forte, ce n'est pas une première dans l'histoire. Et il n'est pas no...

le 12/04/2021 à 10:02
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si vous lisez l article jusqu au bout, vous verrez que l auteur explique que si on ne peut pas dire que le gel est lié au changement climatique, on peut par contre dire que les hivers moins rigoureux eux le sont. et c ets bien la le probleme : il a f...

à écrit le 10/04/2021 à 14:29
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Finalement, que l'on soit d'accord ou non avec cette assertion, la vraie question est de savoir ce que M.Touzard et ses collègues font pour les viticulteurs, les arboriculteurs, et les agriculteurs..Autrement dit, sans faire de procès aux personnes, ...

le 10/04/2021 à 14:52
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C’est vous le problème mon vieux. Pas l’inrae

le 10/04/2021 à 17:31
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@BH "Depuis que les savants sont apparus, les gens de bien ont disparu " (Montaigne).

le 11/04/2021 à 1:19
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@BH vous feriez mieux de vous intéresser aux rapports/études qu'ils remettent à nos gouvernants et qui sont régulièrement enterrés/ignorés car n'allant pas dans le "bon sens". Nous avons effectivement de gros problèmes, mais vous ne regardez pas au b...

le 11/04/2021 à 9:04
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Vous avez deux problèmes : d'abord vous ne savez pas ce que font l'INSERM et l'INRA mais vous en parlez quand même ! Ensuite, vous considérez que l'acquisition de connaissances ne sert à rien, que la seule activité utile c'est de tailler, de labourer...

le 11/04/2021 à 15:55
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Visiblement, vu les véhémences des réponses, la question de l'efficacité de nos instituts de recherches mérite d'être posée (rien n'est plus bête que de payer pour ne rien, ou presque, avoir).. Que cette crise du COVID serve au moins à cela.. Je con...

à écrit le 10/04/2021 à 13:22
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Les gelées plus ou moins tardives sont toujours survenues au fil des ans.Qu'elles soient plus violentes et dans le futur plus fréquentes est inévitable. Le problème vient surtout de la monoculture intensive, productiviste, normative. T'as que des ce...

à écrit le 10/04/2021 à 11:39
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Les commentateurs de tout et n'importe quoi vont venir étalés le " savoir " des tout bons essspertologues qu'ils sont dans le monde fantastique du ternet ! Déjà quelques remarquable " contributions "..

le 10/04/2021 à 12:02
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Il y a aussi ceux qui gobent tout ce qu’on leur raconte sans remettre en question une seule virgule.......

à écrit le 10/04/2021 à 11:22
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Le fait que ma grand mère ne sait plus faire les bons petits plats est aussi du au réchauffement climatique. Pour appâter le journaliste il y a les mots magiques qui en suite sont expliqués à travers des sophismes. Imaginons que nous enlevons le mot ...

le 13/04/2021 à 6:28
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il me semble que c'est plutôt les seins de glace

à écrit le 10/04/2021 à 10:49
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Le climat n'est pas le probleme. Le probleme c'est nous, il y a de trop des humaines. Et les catastrophes sanitaires recents (ebola, HIV, Covid-19) sont tous controlees. Il n'y plus des vrais catastrophes sanitaires, ni un reduction signative des ...

à écrit le 10/04/2021 à 10:29
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Au changement climatique, mais surtout a l'inadaptation de l'homme qui a tendance a construire les déserts plutôt que des forêts!

à écrit le 10/04/2021 à 10:26
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Et alors? Toujours cette obsession, c'est en tout cas dû à un phénomène climatique. Le changement climatique, nouvelle arme absolue politique.

à écrit le 10/04/2021 à 9:47
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euh oui, la nature evolue, c'est a ca que ca sert la genetique

à écrit le 10/04/2021 à 9:05
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Ce qui est bon avec le changement climatique duquel on se comprend en réalité par grand chose (ni les causes, ni les effets, ni la durée), c'est que ça permet à tous d'affirmer tout et n'importe quoi en toute décontraction. A la même époque l'année...

le 10/04/2021 à 14:50
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Vous n’avez pas du lire l’article: il dit justement que c’est la précocité du débourrement qui est la cause de l’impact catastrophique du gel. Et ce débourrement précoce est dû à des températures plus clémentes.

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