LA TRIBUNE - Le syndicat agricole majoritaire, la FNSEA, parle d'un événement « historique ». Ce phénomène de chute des températures au début du mois d'avril est-il inédit ?
Jean-Marc Touzard - Même si l'ampleur de cet épisode de gel est forte, ce n'est pas une première dans l'histoire. Et il n'est pas non plus, a priori, lié au changement climatique en cours. Peut-être que nous nous apercevrons, avec du recul, qu'il s'inscrit dans le processus plus long du dérèglement, mais on ne peut pas l'affirmer aujourd'hui. Nous traversons chaque année, ou presque, des épisodes de gel plus ou moins importants en France.
En revanche, le fait que les cultures en aient tant souffert est bel et bien lié au changement climatique. Avec les hivers qui deviennent de plus en plus doux, on observe un phénomène de précocité dans la formation des plantes. Tous les stades de leur développement s'accélèrent. En vingt ans, l'augmentation des températures a vu la date de maturité du raisin, par exemple, avancer de 15 à 20 jours. Et l'agriculture dans son ensemble est touchée. C'est ce mécanisme qui la rend plus vulnérable aux épisodes climatiques inhabituels. Et qui explique l'ampleur du désastre d'une gelée tardive aujourd'hui pour les agriculteurs.
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Concrètement, quelles sont les conséquences de ce phénomène ?
Les dégâts seront considérables, notamment sur certaines plantations en pleine floraison début avril du fait du redoux. Certaines régions en ont particulièrement fait les frais, comme dans le Sud par exemple, où les vignes ont débourré très tôt. C'est-à-dire que le tissu duveteux à l'intérieur du bourgeon, qui lui permet de supporter des températures extrêmes en hiver, a disparu pour laisser place à la future fleur. Une fois débourrées, les pousses deviennent fragiles. Et, abîmées par le gel, elles se font un point d'entrée pour les champignons, qui les rendent malades.
En dehors de cet épisode météorologique, les retombées de la précocité sont multiples sur la qualité des cultures. Dans le cas du vin, la date de la vendange est avancée de trois semaines en moyenne - vers la fin août -, dans des conditions de températures bien plus élevées qu'auparavant. Cela joue sur des mécanismes biophysiques qui peuvent mettre à mal l'élaboration des composants du raisin, et accentue le risque d'oxydation. En outre, cette précocité peut entraîner une part de fermentation non désirée du moût du raisin, car la chaleur augmente la vitesse de développement des levures.
Comment peut-on y remédier ?
Il y a plusieurs leviers possibles pour s'adapter à ce phénomène. En amont, il est possible de modifier la date de plantation des semis, ou des cépages dans le cas du vin. En en choisissant des plus tardifs, ils pourront être débourrés plus tard, donc se révéler moins vulnérables à des épisodes de gel en avril, par exemple. On peut aussi localiser les parcelles dans des endroits moins gélifs. Par ailleurs, on peut encore améliorer les mécanismes d'information et d'alerte, à l'aide des nouvelles technologies, afin que les producteurs soient au courant en avance, et plus précisément, des menaces météorologiques qui planent sur leurs cultures.
Une fois que la vague de froid est là, plusieurs moyens existent pour minimiser les dégâts. Comme l'utilisation de filets protecteurs ou de tours antigel, une hélice qui, en tournant, permet d'amener l'air chaud vers le sol.
Enfin, en aval, si la catastrophe n'a pas pu être évitée, nous devons réfléchir à la mise en place de dispositifs financiers nouveaux pour les agriculteurs touchés, par le biais d'exonération ou d'assurances, avec un mécanisme de mutualisation du risque.
Alors que le changement climatique s'accentue, cela ne risque-t-il pas d'être insuffisant ?
Le problème, c'est que ces phénomènes s'accélèrent. Le climat deviendra de plus en plus instable, avec une multiplication des événements extrêmes et de séquences inédites, qui renforceront encore la précocité des cultures - avec toutes les conséquences que l'on a évoquées, et bien d'autres. A l'Inrae, nous avons mis en place un programme, Climae, pour pouvoir étudier les questions d'adaptation de l'agriculture au changement climatique. Nous avons besoin que la recherche avance dans ce domaine, pour rendre nos systèmes alimentaires plus résilients.
En France, nous avons la chance de disposer d'un territoire diversifié, avec des influences climatiques différentes - continentales et océaniques, et une large palette de parcelles agricoles. C'est un avantage, mais cela ne suffira pas. Je remarque que les acteurs bougent et font part de leurs volontés de trouver des solutions. La filière s'organise de plus en plus autour de ces questions, et le débat avance.
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Il est clair aujourd'hui que les systèmes qui résisteront le mieux sont ceux qui sauront se diversifier, à la fois dans la production et l'organisation des circuits. C'est pourquoi je pense qu'il ne faut pas s'enfermer uniquement dans des boucles locales, au risque de s'exposer à un risque très fort. Mais ne dépendre que des approvisionnements globaux n'est pas la solution non plus. Il est nécessaire de trouver le juste compromis.
Propos recueillis par Marine Godelier
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