Démocraties occidentales et révoltes arabes...

Par Philippe Moreau Defarges, chercheur et codirecteur du rapport Ramsès à l'Institut français des relations internationales (Ifri).
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Question tibétaine, renversement du régime Ben Ali par les foules tunisiennes, soulèvements du Caire contre la pseudo-dynastie des Moubarak... Face à tous ces bouleversements, les démocraties occidentales, notamment la France, affichent leur surprise et leur désarroi, redécouvrant leur perpétuel dilemme.

D'un côté, ces démocraties, quelle que soit leur rhétorique, sont et restent d'abord des États. Elles ont pour premiers devoirs la sécurité de leur territoire, la tranquillité et la prospérité de leur population, la fluidité de leurs échanges (approvisionnements en hydrocarbures et autres ressources, tourisme...). La priorité ne peut être que la stabilité.

Un Ben Ali, un Moubarak, un monarque saoudien représentent les remparts les plus rassurants contre l'anarchie. Ces maîtres du pouvoir ont parfaitement compris qu'il ne fallait surtout pas jouer les Hitler ; ils se comportent en pères de la patrie, promouvant une autocratie pantouflarde, allergique aux extrémismes.

De l'autre côté, les démocraties sont instinctivement messianiques. Combinant anxiété et certitude d'avoir mis au point la meilleure forme de gouvernement, elles sont convaincues que le monde ne sera en paix que si toutes les parties de la terre se rallient à la démocratie. Ce que ne voient pas, ou ne veulent pas voir, les démocraties occidentales, c'est que les idées, et, en premier lieu, celle de démocratie, ne sont la propriété de personne ; toute idée, circulant dans l'air du temps, est immédiatement redéfinie, réinventée par tous ceux qui la font leur. Aujourd'hui, qui n'est pas démocrate ?

Cette tension entre statut étatique et rêve démocratique voue les démocraties à l'hypocrisie et à l'arrogance. Le peuple doit élire librement ses dirigeants à condition qu'il les choisisse convenables (rejet par les démocraties occidentales du FIS algérien ou du Hamas palestinien). Comme le rappelait Bertolt Brecht, si le peuple ne vote pas comme le souhaitent ses guides éclairés, il ne reste qu'à le dissoudre !

Les démocraties peuvent-elles s'affranchir de leur contradiction ? Si l'on est le plus fort, peut-être... Les Etats-Unis, à l'apogée de leur puissance (antagonisme Est-Ouest, fin des années 1940-fin des années 1980), décident, tel Dieu, qui est démocratique et qui ne l'est pas. Mais cet âge d'or est irrémédiablement terminé. La démocratie n'est plus le monopole de l'Occident. Les démocraties occidentales pourraient alors opter pour la modestie, mentionner avec humilité leurs siècles de démocratie, tout en veillant à souligner les limites de cette histoire. Les foules du Sud répliqueront probablement qu'elles ont justement pour elles d'être spontanées, elles ne sont pas sclérosées par la sagesse prétentieuse de l'expérience.

Le profil bas suffit-il ? Les démocraties occidentales ne peuvent pousser sous le tapis leur passé colonial ou néocolonial. La France est vouée à être hantée par son empire ; ce dernier ou plutôt son héritage la remodèle inexorablement (migrants du Maghreb et d'Afrique noire prenant racine en terre gauloise). Tout ce chaos finira par devenir de l'histoire, mais le processus sera laborieux et douloureux. Les Etats-Unis, encore "vierges" à l'issue des deux guerres mondiales, doivent désormais défendre leur bilan : alliance très privilégiée avec Israël ; protection des régimes arabes les moins... démocratiques ; sécurité des approvisionnements pétroliers de l'Occident.

Pour les démocraties occidentales, le temps du messianisme idéologique est révolu. L'onde de choc de la crise actuelle leur impose de se centrer presque exclusivement sur leurs priorités économiques : gestion de l'endettement, préservation d'une certaine prospérité, création d'emplois... Avec de telles urgences, aucun gouvernant n'est en mesure de faire la fine bouche, il faut vendre !

Au-delà de ses impératifs immédiats, l'Occident n'échappera pas à un réexamen en profondeur de sa conception de la démocratie. Il devra s'accommoder, par exemple, d'islamisme ou de confucianisme démocratique. En ce qui concerne le monde arabe, seuls les Arabes peuvent accomplir l'essentiel : surmonter ou assumer le tiraillement de leur démocratisation entre les Etats existants, cadres logiques de l'expression démocratique, et la quête d'un espace idéal, la nation arabe. L'Occident doit se résigner à être spectateur, position redoutable dans laquelle il faut se protéger des coups sans jamais être accusé d'en donner.

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