Le test italien de la résilience des démocraties dans cette étape de la sortie de crise n'a pas déçu. La surprise n'est pas venue de l'effondrement de Mario Monti, qui a fait une très mauvaise campagne, mais de la résurrection électorale de Berlusconi et surtout de la poussée d'un vote protestataire anti-euro et anti-austérité qui a donné le quart des suffrages et un pouvoir de blocage à un parti aux accents populiste, le mouvement « Cinq Étoiles » de l'ancien comique Beppe Grillo.
Et de fait, il n'y a pas vraiment de quoi rire, car l'Italie, sans majorité claire au Sénat, semble devenue ingouvernable et promise à une longue période de paralysie avec un futur gouvernement Bersani minoritaire, obligé de négocier au coup par coup. Sur les marchés, le risque d'un effondrement de la troisième économie de la zone euro refait surface avec, à ce stade, un effet néanmoins plutôt positif : la baisse de l'euro réclamée par François Hollande et l'espoir d'une prochaine baisse des taux de la Banque centrale européenne dirigée par Mario Draghi.
Bien sûr, la solution pourrait consister, comme en Grèce au printemps 2012, à demander aux Italiens de revoter. Mais à moins de changer la loi électorale, ce qui est en débat, qui dit que le résultat ne sera pas pire encore ? Et quel camouflet ce serait qu'un pays fondateur de l'Europe, avec Alcide de Gasperi, soit condamné à ne pas respecter la vox populi !
Pour l'Italie, ce 25 février 2013 sonne comme un séisme politique majeur qui aura des répercussions dans toute l'Europe qui est à un nouveau tournant historique. Plutôt que de se réfugier derrière le confortable mot « protestataire » ou « populiste » pour analyser cet événement, il semble plus lucide de parler d'exaspération et de révolte démocratique destinée, justement, à secouer l'Europe. Non pas pour la tirer vers le bas, mais pour la sortir de l'ornière. Comment en effet ne pas voir que ce scrutin est l'enfant monstrueux du déni de démocratie qui s'est abattu depuis le début de la crise? Pour une majorité d'électeurs, c'est parce qu'elle a été étranglée par des taux d'intérêt meurtriers que l'Italie s'est vu imposer la politique de Mario Monti, qui a fait pleurer jusqu'à sa ministre du Travail. Qu'aurait pensé le peuple français si, face à une envolée des taux d'intérêt (qui ne s'est pas produite), la pression conjuguée de l'Allemagne de Merkel et de la Banque centrale européenne avait conduit à renverser le gouvernement élu et mis à sa place un gouvernement de « techniciens » dirigé par Jean-Claude Trichet? Poser la question, c'est donner la réponse.
Et l'expérience italienne devrait dissuader tous ceux qui rêvent d'un tel grand soir comme seul moyen d'imposer les réformes dont la France repousse sans cesse l'échéance.
Il faut donc prendre le vote des Italiens pour ce qu'il est : un avertissement sérieux, à la fois à la classe politique italienne, droite et gauche confondues, jugée incapable et corrompue, et aux dirigeants européens, pour qu'un meilleur équilibre soit trouvé entre rigueur et croissance. Vu le surendettement de l'Italie, l'une ne va pas sans l'autre, mais les prévisions récentes de la Commission européenne sur la croissance et l'emploi montrent bien que le dosage actuel ne marche pas.
Ce dont l'Europe a besoin, c'est de temps. Du temps que l'Europe a donné à l'Irlande et à la Grèce en acceptant de décaler le remboursement de leur dette, sous la menace d'une révolte des contribuables. Et qu'elle donnera sans aucun doute à tous les pays menacés d'un effondrement démocratique, parce que, en matière de faillite d'État, le risque systémique est avant tout politique. Le seul maître devant lequel l'argent peut se coucher, c'est quand même le peuple souverain et c'est finalement une vérité assez rassurante.
La France donne le signal de ce changement de tempo en imposant de façon assez hypocrite le report d'un an de son objectif de réduction du déficit sous la barre des 3% du PIB. Hypocrite parce que tout le monde savait qu'il était intenable et qu'il ne serait pas tenu. L'opération n'est pas appréciée par le président de la Bundesbank, qui a demandé publiquement à la France de ne pas donner le mauvais exemple en s'exonérant des efforts qui sont acceptés par de plus petits pays. Mais elle rencontre l'indulgence à Bruxelles et dans la plupart des capitales européennes, où l'on reconnaît qu'un effort important a été engagé par la France pour redresser les finances publiques et sa compétitivité.
En 2013, on laissera donc jouer les « stabilisateurs automatiques » keynésiens, c'est-à-dire qu'on ne compensera pas les éventuelles pertes de recettes qui pourraient bien dépasser les 6 milliards estimés par Jérôme Cahuzac, le très rigoureux gardien du Budget. La responsabilité de François Hollande est d'utiliser ce répit à bon escient pour faire reposer à partir de 2014 la réduction des déficits sur celles des dépenses publiques, sans recourir encore à la facilité des hausses d'impôts. Paradoxalement, le signal d'alarme donné par les députés PS pour que soit respectée la stabilité fiscale lui apporte un soutien. Sans apporter de solution à la recherche d'un consensus sur les dépenses, alors que la révolte gronde dans les collectivités locales contre les coupes exigées par Bercy.
Editorial publié dans La Tribune hebdomadaire du vendredi 1er mars 2013
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