La dérive « survivaliste » des super-riches Américains

Alors que Donald Trump divise la société américaine et reprend la course aux armements, les milliardaires de Wall Street et la Silicon Valley ne pensent qu'à une seule chose : où se planquer si jamais advenait l'apocalypse, qu'elle soit nucléaire, climatique ou surtout sociale et politique.
Philippe Mabille

En ces temps troublés où un tweet de Donald Trump suffit pour faire trembler la planète, à quoi pensent les super-riches ? Au Dow Jones qui vient de dépasser pour la première fois de son histoire le mur des 20.000 points ? Au prochain iPhone d'Apple qui serait tout en verre et se chargerait par induction. Non, pas du tout, les gens les plus riches de la planète, en particulier aux États-Unis, n'ont qu'une seule chose en tête : où se réfugier au cas où cela tournerait mal...

Le « survivalism », qui consiste à se préparer à survivre à la fin de la civilisation, fait des ravages chez les « rich & wealthy ». Ils sont tellement déprimés que le très sérieux magazine The New Yorker vient d'y consacrer un dossier. Sous la signature de l'un de ses journalistes vedette, Evan Osnos, l'article, titré en anglais « Doomsday prep for the super-rich » raconte comment « ils », les « Preppers », se préparent à fuir en cas d'apocalypse, qu'il soit nucléaire, climatique ou social et politique.

Il faut dire qu'il y a de quoi se faire peur : début janvier, le comité scientifique en charge de l'horloge de l'apocalypse (« Doomsday clock ») a avancé de 30 secondes, à 2 minutes et 30 secondes avant minuit, l'heure de la fin du monde. Une conséquence « de la forte montée du nationalisme, des déclarations du président Trump sur les armes nucléaires, du réchauffement climatique, de la détérioration de la sécurité mondiale dans un contexte de technologies de plus en plus sophistiquées ainsi que l'ignorance grandissante de l'expertise scientifique ». Bref, jamais, depuis 1953, quand la « Doomsday clock » était réglée à 2 minutes, lors de la création de la bombe H, nous n'avons été plus près de la fin de l'humanité.

La seule obsession est de se préparer au pire, raconte Evan Osnos dans son papier. Ainsi, Steve Huffman, 33 ans, l'un des co-fondateur du site communautaire Reddit, a-t-il décidé de se faire opérer de la myopie pour éviter d'avoir à porter des lunettes ou des lentilles de contact si les temps se troublent (« Without them, I'm fucked », explique-t-il)... Alors que l'élection de Trump divise le pays et fait craindre jusqu'à une « guerre civile », d'autres consacrent leur temps et leur argent à se bâtir un refuge inviolable. Ainsi Antonio Garcia Martinez, ex-dirigeant de Facebook, a acheté un terrain sur une ile déserte du Pacifique qu'il a équipé en énergie solaire et en armes et munitions. En fait, d'après l'enquête du New Yorker, plus de la moitié des plus riches Américains auraient déjà prévu leurs arrières en cas de crise. L'un d'entre eux a toujours un hélicoptère à disposition avec le plein pour se rendre dans son bunker. Dans le Kansas, le Survival Condo Project de Larry Hall propose des appartements de luxe dans un ancien silo de missiles Atlas. Le lieu le plus «hype» pour ces « réfugiés de luxe du futur » : la Nouvelle-Zélande, lieu de tournage du film « Le seigneur des anneaux ». Quiconque s'y rend en voyage s'entend dire par ses amis : « ça y est, tu t'achètes une assurance contre l'apocalypse... ».

La cause des tourments des « preppers » (voir par exemple le site prepperwebsite.com pour apprendre à cultiver ses légumes, construire son abri, vivre frugalement...), c'est bien entendu la conscience très vive qu'ils ont des inégalités extrêmes en particulier aux États-Unis. Selon une étude de Piketty, 170 millions de personnes gagnent, en moyenne, autant aujourd'hui qu'en 1980. Robert Johnson, un financier repenti qui a travaillé pour Georges Soros, estime que « 25 gérants de fonds spéculatifs gagnent autant que tous les instituteurs américains ». Rien d'étonnant à ce que certains de ces riches Américains avertis craignent qu'il se passe en 2017 aux États-Unis quelque chose qui pourrait ressembler à la révolution russe de 1917... Bernie Sanders en est en quelque sorte l'annonciateur alors que la contestation de la politique de Donald Trump fait renaître un socialisme américain inspiré du mouvement des 99%.

Le paradoxe de ce mouvement survivaliste, c'est que plutôt que de proposer de faire quelque chose pour résoudre la question des inégalités et donc éloigner au moins le risque d'explosion sociale, la seule réponse envisagée est de se protéger individuellement. Plutôt que d'accepter par exemple de payer un peu plus d'impôts, sur le revenu ou sur les successions, ou de développer une sécurité sociale pour tous, l'Amérique prend le chemin exactement inverse. Donald Trump veut supprimer l'Obamacare, baisser les impôts des plus riches ; il conteste la réalité du réchauffement climatique, interdit l'entrée des États-Unis aux ressortissants de certains pays et construit un mur avec le Mexique. Une protection illusoire et inefficace, néfaste à long terme pour la prospérité des États-Unis comme du reste du monde. Aussi illusoire que la fausse sécurité que s'achètent à prix d'or les « Preppers » dans leurs bunkers de luxe.

Philippe Mabille

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Commentaires 15
à écrit le 04/02/2017 à 20:17
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La répétition d'une contre-verité n'en fait pas une vérité. L'obamacare était une belle idée sauf qu'elle a été financée par les petits retraités. Je ne suis pas sur qu'Obama soit si fier du résultat.

à écrit le 04/02/2017 à 11:53
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Illustration grandeur nature de l'égoîsme forcené des superriches. Heureusement qu'il ya en France un candidat pour protéger cette espèce en voie de disparition!

à écrit le 03/02/2017 à 9:53
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Jadis, Keynes proposait d'euthanasier les rentiers. Aujourd'hui n'est-ce pas la classe des super riches (et super destructeurs de la planète) qu'il faudrait peut-être euthanasier ?

à écrit le 03/02/2017 à 9:52
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Comme il est dit dans Bernard Lhermitte : "cochons de riches, ils ne savent plus quoi inventer pour se faire moins ch..."

à écrit le 02/02/2017 à 20:45
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Vu que ce sont les super-riches qui sont réellement aux manettes du monde, si ils se préparent à l'apocalypse, cela voudrait dire qu'ils ne nous veulent pas du bien. A force de nous vouloir autant de bien, ils vont nous faire penser qu'ils complote...

à écrit le 02/02/2017 à 17:43
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Si j'étais de ceux-là, je me préoccuperais d'abord de savoir quel bien pourra encore garder une valeur d'échange sans qu'il soit possible de me le faire racketter, parce que si ça se gâte vraiment, il n'existera plus aucun moyen de soudoyer et de fai...

à écrit le 02/02/2017 à 14:06
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Bien vu, la prospérité des riches dépend de celles des autres, qui le sont moins. Il faut redistribuer un minimum et participer au bien commun.

à écrit le 02/02/2017 à 12:20
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Il y a quelques semaines, vue la situation, je disais me préoccuper de creuser sous la maison pour construire une abri anti-atomique . Boutade évidemment, car si hiver nucléaire il doit y avoir, quel intérêt de survivre dans un monde dévasté et invi...

le 02/02/2017 à 15:59
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"Les très riches n'iront pas jusqu'à la guerre nucléaire". Quelle belle certitude...Personne ne se doutait que les banques us finançaient hitler et mussolini pour la dernière sauterie avant la suivante...

à écrit le 02/02/2017 à 9:34
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"Le paradoxe de ce mouvement survivaliste, c'est que plutôt que de proposer de faire quelque chose pour résoudre la question des inégalités et donc éloigner au moins le risque d'explosion sociale, la seule réponse envisagée est de se protéger individ...

le 02/02/2017 à 11:44
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Dans le cas des "super-riches" on est plutôt dans l'empire des forts. Non pas d'un point de vue philosophique, mais financier. Ce qui procure à notre époque un pouvoir autrement plus important et potentiellement plus dangereux pour le reste de l'hum...

le 02/02/2017 à 21:03
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Possible que je n'ai pas compris le sens que vous vouliez lui donner à vos propos en faisant référence à Nietzsche. Désolé je n'ai pas eu le temps de lire, ou de relire depuis l’école. Mais grâce à l'usage de mon libre arbitre j'ai rapidement trouvé...

le 03/02/2017 à 10:28
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"Possible que je n'ai pas compris le sens que vous vouliez lui donner à vos propos en faisant référence à Nietzsche" Moi c'est cette phrase que je ne comprends pas. "Désolé je n'ai pas eu le temps de lire, ou de relire depuis l’école" Dep...

à écrit le 02/02/2017 à 9:06
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saddam aussi il avait un bunker.........

le 03/02/2017 à 7:27
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Staline, hitler et une quirielle de dictateurs. Ca ne les a pas proteges de la fin. Bien a vous.

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