Nucléaire : It's the economy, stupid !

Le nucléaire est-il vraiment « un atout qu'il faut préserver » et « une filière indispensable pour l'économie », comme l'a affirmé le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire ? Ou bien, emmène-t-il « la France et EDF dans une dérive », comme l'a dénoncé le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot ? Par Philippe Mabille, directeur de la Rédaction de "La Tribune".
Philippe Mabille
(Crédits : Benoit Tessier)

Sept ans après la catastrophe de Fukushima, sept ans après qu'Angela Merkel a décidé d'en finir en 2022 avec le nucléaire en Allemagne, l'industrie de l'atome peine à repartir de l'avant. La « renaissance nucléaire » n'a pas eu lieu et, malgré la mise en service en ce mois de juin de l'EPR chinois de Taishan, un vrai succès pour la filière française (par ailleurs toujours en difficulté en Finlande et à Flamanville), le secteur s'interroge sur son avenir.

Le changement de paradigme ne vient pas tant des interrogations, permanentes, sur la sûreté, mais de l'économie. C'est un fait désormais avéré, le nucléaire, dont les coûts réels (notamment le retraitement des déchets et le démantèlement), mal anticipés, ne sont pas suffisamment provisionnés, n'est plus aussi compétitif face aux énergies renouvelables, dont la facture ne cesse de diminuer grâce aux progrès technologiques. Bref, le nucléaire est-il vraiment « un atout qu'il faut préserver » et « une filière indispensable pour l'économie », comme l'a affirmé à la 3e World Nuclear Exhibition le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire ? Ou bien, emmène-t-il « la France et EDF dans une dérive », comme l'a dénoncé le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot ?

Si le juge de paix est le contribuable, n'oublions pas que ce dernier vient de remettre 10 milliards d'euros au pot pour sauver Areva et recapitaliser EDF. Il est donc légitime de s'interroger sur la facture finale dans les comptes de la nation.

Fixer le cap pour le nouveau mix énergétique de la France

En annonçant le report sine die de la date de 2025 fixée par la loi de transition énergétique de 2014 pour ramener de 75% à 50% la part du nucléaire dans notre production d'énergie, Nicolas Hulot s'est attiré les foudres des écologistes. C'est désormais à Emmanuel Macron de s'exposer alors que s'achève la consultation publique sur la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), dont le verdict devrait être connu à la mi-juillet. Cette PPE doit fixer le cap pour le nouveau mix énergétique de la France dans la prochaine décennie.

Selon Bruno Le Maire, il est « vain » d'opposer énergie nucléaire et énergies renouvelables. Selon lui, « c'est parce que nous avons une énergie nucléaire solide, compétitive, performante, avec des technologies et des savoir-faire exceptionnels, que nous avons toutes les capacités pour développer les énergies renouvelables ». C'est l'approche réaliste, qui veut que la décroissance programmée du nucléaire soit parallèle à la croissance des EnR. À défaut, l'indépendance énergétique du pays serait menacée, mais aussi le respect des engagements climatiques de la France. Si la réduction de la part du nucléaire est trop rapide, le gouvernement craint, sur la base de scenarii établis par le réseau de transport d'électricité RTE, de devoir accroître les moyens de production thermique et donc les émissions de gaz à effet de serre, à l'image de l'Energiewende en Allemagne qui a relancé les centrales au charbon.

Seuil de 50% de nucléaire, le grand flou

La programmation pluriannuelle de l'énergie semble donc dans une sorte d'impasse, ou plus exactement un grand flou où personne n'est capable de dire à quel horizon raisonnable pourrait être atteint le seuil de 50% de nucléaire. Cela reste un objectif politique, mais il est peu volontariste tant les conséquences sociales et financières font peur politiquement. On le voit bien avec le feuilleton de la fermeture de la centrale de Fessenheim : son destin est lié à la mise en service de l'EPR de Flamanville, qui risque de prendre encore un gros retard à cause de problèmes de qualité des soudures. Car il ne suffit pas de dire que l'on va fermer certains réacteurs : il faut dire lesquels et comment. Pour tenir l'objectif des 50 %, il faudrait fermer entre 17 et 20 réacteurs sur 58, estime la Cour des comptes. Mais ce sera à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) de proposer les sites. La revue est en cours mais le verdict ne sera connu qu'en 2021.

EDF est donc à la croisée des chemins. S'il y a encore un avenir pour le nucléaire dans le monde, le défi est celui du maintien des savoir-faire de la filière française. Et, pour cela, il faut construire de nouvelles centrales. Autorisera-t-on en France EDF à construire de nouveaux réacteurs après Flamanville ? Pour l'instant, il n'y a pas de fissure dans le consensus politique en faveur du nucléaire en France. Mais les temps pourraient changer lorsque les consommateurs verront enfler leur facture d'électricité. Selon certains observateurs, l'heure de vérité approche, où il faudra séparer l'entreprise en deux : « sanctuariser » le nucléaire pour gérer dans le temps sa décroissance, et coter la partie d'EDF qui va investir dans les énergies nouvelles, en transférant les personnels sous statut, pour lui permettre de jouer une partie égale avec ses grands compétiteurs comme Total et Engie, qui sont en train d'accélérer. « Le sujet n'est pas à l'ordre du jour », a assuré Martin Vial, le directeur qui, à Bercy, gère les participations de l'État. Mais comme chacun sait, c'est à l'Élysée que ce genre de choses est mis « à l'ordre du jour ». Après celui de la SNCF, Macron osera-t-il ouvrir ce chantier ?

Philippe Mabille

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Commentaires 25
à écrit le 04/07/2018 à 17:46
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Il faut appliquer la note n°6 du CAE, ce qui implique d'augmenter le prix de l'énergie, comme en Allemagne. Mais les Français ne peuvent pas le comprendre. Est ce lié au climat, à la religion? Qui aurait une réponse?

à écrit le 03/07/2018 à 10:15
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"Selon certains observateurs, l'heure de vérité approche, où il faudra séparer l'entreprise en deux : « sanctuariser » le nucléaire pour gérer dans le temps sa décroissance, et coter la partie d'EDF qui va investir dans les énergies nouvelles, en tra...

à écrit le 03/07/2018 à 2:01
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C'est ahurissant de voir que le lynchage antinucléaire Français est toujours à la manœuvre au sein de nos médias, pourtant a l'issue du débat PPE des éléments sont apportés.L'opinion (IRSN) crainte des Français pour le terrorisme et le nucléaire,c'es...

le 03/07/2018 à 10:16
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+1000

le 03/07/2018 à 11:24
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Les français sont les grands spécialistes de la casse de leurs secteurs de pointe et des leurs atouts. Pour les citer dans le désordre (pour éviter toute discussion inutile). Nucléaire avec la casse de notre numéro 1 mondial, puis Agriculture avec mi...

à écrit le 03/07/2018 à 0:52
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- avec le PV, on subventionne de la pollution supplémentaire. Le bilan carbone du meilleur PV est plus mauvais que celui de l’électricité qu’on a déjà. Et le bilan carbone du pire PV (le chinois, soit 80-90% du marché), est environ six fois plus mauv...

le 03/07/2018 à 10:19
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+1000 et il faut parler de l'extraction calamiteuse des terres rares : La Guerre des métaux rares. Guillaume Pitron, excellent !!!

à écrit le 03/07/2018 à 0:15
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C'est un énorme boulet, écologique, financier, technologique et politique. Ca nous laisse des déchets d'exploitation qui seront encore violemment toxiques bien après qu'on ait oublié l'existence de notre civilisation. Il va y avoir 58 réacteurs à ...

le 03/07/2018 à 11:02
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EDF n'est pas idéologue. EDF est là pour faire des profits. EDF fait du nucléaire parce que c'est compétitif, et des ENR parce que c'est compétitif (avec les subventions). Le coût du stockage des déchets est de l'ordre de 20-40 milliards d'euros, ...

à écrit le 02/07/2018 à 18:59
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Il serait bien que le journaliste indique qu'on paye une taxe sur la facture EDF de plus en plus élevée pour financer les énergies renouvelables. Et qu'en France, la quasi totalité du renouvelables, c'est de l'hydraulique (qui a été construit il y a ...

à écrit le 02/07/2018 à 17:09
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solaire et éolien peuvent faire face à l'explosion de la demande d'énergie ? au moment des annonces sur les objectifs d'élimination des moteurs auto thermiques, on entendait dire qu'il faudrait ajouter à terme une douzaine de nouveaux réacteurs nucl...

à écrit le 02/07/2018 à 10:39
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EDF et Etat c'est un pléonasme... Les ENR par EDF c'est confier a son boucher le développement du Vegan.! En fait tous les indicateurs sont au rouge dans le jusqu'au boutisme d'une filière réfractaire au changement.. L'imposture est de nous faire cr...

le 02/07/2018 à 11:12
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Pour moi la question est avec ou sans le Nuc comment la France fait-elle dans disons 10 ans? Si nous voulons de l'hydrogène disons Cool et bien il faut investir dans la recherche idem pour d'autres dispositifs de stockage/production. Une politique én...

le 02/07/2018 à 17:37
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On peut être anti nuc, mais il ne faut pas non plus raconter n'importe quoi ; le stockage de l'électricité ENR par de l'H2, c'es de la SF à ce stade, on est loin d'avoir un début de solution industriel et rentable. L'autoconsommation, c'est une pist...

le 03/07/2018 à 6:45
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En 2017, la perte sur le réseau national de RTE est de 2,116%. Sur le réseau de distribution d'Enedis la perte est de 4,401% de la production totale. Pour diviser par 2 les pertes, il faudrait doubler les lignes (avec des conducteurs en aluminium). L...

à écrit le 02/07/2018 à 10:27
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Intéressant mais comment peut-on encore écrire la faxenews suivante : " à l'image de l'Energiewende en Allemagne qui a relancé les centrales au charbon" en 2018???!!! NON l'Allemagne n'a pas relancé ses centrales à charbon, et leur production a au c...

le 02/07/2018 à 11:17
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Je respire, et après le charbon viendra le gaz. https://www.bastamag.net/En-Allemagne-des-villages-entiers-sont-rases-pour-laisser-place-a-de

le 02/07/2018 à 15:42
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Le charbon allemand n est pas du tout competitif. On extrait de la lignite (un charbon de pietre qualite) pour des raisons electorales (c est en ex RDA, zone de chomage massif) Donc meme si les allemands auraient des dizaines de centrales nucleair...

le 02/07/2018 à 17:39
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Bah 38% de charbon en Allemagne, pour un pays Green, c'est tout de même à pleurer.

à écrit le 02/07/2018 à 8:40
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"Pour l'instant, il n'y a pas de fissure dans le consensus politique en faveur du nucléaire en France. Mais les temps pourraient changer lorsque les consommateurs verront enfler leur facture d'électricité." M Mabille veut il dire que c'est le nucl...

le 02/07/2018 à 10:15
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Les factures vont s envoler car il va bien falloir payer le dementellement des centrales arrivees en fin de vie (et la je suppose qu aucune aura la mauvaise idee de nous faire un Fukushima) Le nucleaire etait une option seduisante en 1960 mais mal...

le 02/07/2018 à 15:04
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@ cd : L'EPR de FLA3 comme d'Oilkiluoto ont coûté une fortune pour des raisons qui n'ont rien de propre au nucléaire et à la technologie EPR : Chantiers lancés à la va-vite, sans effet de série (même pas une paire de tranches comme ça se faisai...

le 02/07/2018 à 15:49
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a moins que les prochains EPR soient exactement les memes, on aura de nouveau des probleme car comme vous le disez c est des protos et un reacteur nucleaire, c est pas de la Serie (et ca le sera jamais) Et si on doit construire en 2020 un prochain...

le 02/07/2018 à 17:41
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Les ENR ont besoin de centrale gaz/Charbon complémentaire pour gerer les "manques de vent les nuits d'hiver". Que pensez vous des déchets de ces combustibles, en l'occurrence le C02 qui reste 5 à 10 000 ans dans l'atmosphère Que pensez vous du recyc...

le 02/07/2018 à 17:56
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@ "@Bachoubouzouc" Le prochain EPR sera la conséquence du retour d'expérience de FLA3 : Plus facile à construire, moins cher. Ensuite, c'est pas parce que le design change légèrement que nos soudeurs oublient tout d'un coup comment faire des so...

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