2045 : Médecine prédictive ou dictature médicale ?

#30ansLaTribune - La Tribune fête ses 30 ans. A cette occasion, sa rédaction imagine les 30 événements qui feront l'actualité jusqu'en 2045. Le 3 octobre 2045 : Solène Maritour, la ministre de la Santé Prédictive, veut dérembourser totalement à partir de 2050 les principales maladies mortelles. Selon ce projet controversé, l’alliance du séquençage ADN gratuit, des capteurs connectés et des nouvelles normes médicales (parcours de santé préventif, auquel va s’ajouter un parcours bien-être) obligatoires permettent à chacun d’être responsable de ne pas tomber malade.
Jean-Yves Paillé
"Pourquoi la société accepterait-elle de rembourser des maladies que tout un chacun est sommé de s’efforcer d’éviter en amont ?"

Une - santé prédictive

La rumeur se faisait de plus en plus persistante. C'est désormais officiel. Le ministère de la Santé Prédictive prépare, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale universelle, une réforme radicale qui supprime progressivement tout remboursement, totalement à partir de 2050, pour certaines maladies et pathologies parmi les plus graves. Le projet aurait été inconcevable il y a quelques années, d'autant plus que les maladies qui devraient être totalement déremboursées sont encore mortelles : des cancers (mélanomes, cancer du sein, du poumon...), les hépatites, les cirrhoses, les diabètes de type 2 et même l'obésité morbide.

La décision du ministère peut surprendre, car le déficit de l'assurance maladie universelle est prévu en baisse de 10 % pour l'année 2045. Mais, à 116 milliards d'euros, il creuse désormais trop la dette de la Cades, qui est notée en catégorie « Junk Bonds ». L'exécutif veut provoquer un électrochoc en accélérant la tendance déjà à l'oeuvre avec le développement de la médecine préventive. «Depuis maintenant une vingtaine d'années, il est possible de détecter si un patient va développer des maladies mortelles et les soins préventifs ad hoc atteignent la pleine efficacité depuis dix ans», serine la ministre de la Santé Prédictive, Solène Maritour, pour justifier son choix.

Le patient devient un ac-tient

La détection des maladies concernées se fait désormais pour un prix proche de zéro, grâce au séquençage ADN comparé. Des bases de données contenant plusieurs millions de séquences acides désoxyribonucléiques de millions de malades, de personnes en train de développer ces pathologies, ou au contraire en parfaite santé sont regroupées dans le super-Computer Curie développé par le CEA à Saclay. Grâce à la puissance des algorithmes de la machine, les ADN sont comparés entre eux, et les moindres défauts sont repérés. Et donc la maladie qui sommeille.

Le ministère croit dur comme fer dans l'efficacité de ce système et les statistiques semblent lui donner raison. Le nombre de données permet de repérer les risques de développer les maladies concernées par la réforme avec 99 % de réussites, selon plusieurs études. Et les quelques échecs sont imputés à des erreurs de procédures de certains laboratoires, d'après ces derniers... Pourquoi dans ces conditions la société accepterait- elle de rembourser des maladies que tout un chacun est sommé de s'efforcer d'éviter en amont ? Le patient devient un ac-tient responsable de sa propre santé, et le médecin n'est plus qu'un coach dont le rôle consiste à vérifier le respect des nouveaux usages permis par le boom du Quantified Self. Le nouveau slogan de la Sécu en 2045 : se mesurer soi-même, ou mourir...

S'agissant de la médecine préventive, cela fait dix ans que le PCP ( Parcours de santé préventif) sévit. Totalement remboursé par la sécurité sociale pour les bas revenus, il n'est que partiellement pris en charge pour les autres de 95 % à 30 % en fonction du niveau des revenus. Aujourd'hui, plus de 70 % des 15-49 ans suivent ce programme, quand ils ne sont que 55 % pour les plus âgés. Un écart qui s'explique par des différences d'habitudes générationnelles quand il s'agit de suivre ce programme parfois contraignant.

Le bénéfice du parcours de santé préventif repose sur le port constant d'objets connectés pour capter les mouvements cardiaques et leur variation, même sous la douche. En outre, chacun doit accepter de porter un patch numérique connecté qui renseigne le médecin- connecté traitant. Ces données sont transmises et enregistrées en temps réel sur le smartphone, la smartwatch (montre connectée) ou la tablette du patient. Couplées au séquençage ADN, elles permettent de déceler les faiblesses cardiaques, les possibles lésions au niveau du foie et ensuite de passer à des soins préventifs. Et gare à ceux qui fournissent des données lacunaires. Un malus est appliqué pour les consultations du médecin-connecté au sujet des données reçues et analysées. Le déremboursement va de 15 à 50 % selon les manques.

Un parcours bien-être

Avec cette nouvelle réforme, le ministère veut pousser les patients à aller plus loin encore que le PCP. Pour courir encore moins de risques de développer les premiers maux cachés de certaines pathologies et améliorer la santé en général, les Français sont encouragés à suivre le nouveau Parcours bien-être (PBE). Celui-ci est remboursé à 80 % pour les faibles revenus (dernier centile), et à 20 % pour les plus élevés (premier centile). Quoi qu'adapté selon l'âge de la personne, le programme est digne d'un sportif de haut niveau il y a 30 ans. Course à pied, cardio-training, exercices de relaxation, les abonnés à ce programme, notamment pour les personnes à risque, y passent 15 heures par semaine. Pour les autres, 8 heures hebdomadaires suffisent en moyenne. Là aussi, le médecin-connecté traitant - diététicien-coach-sportif-docteur en réalité - se charge de suivre les pratiquants. Mais ces derniers, comme le déplorent les autorités de santé, ne sont pas légion. Seuls 20 % des 15-49 ans ont déclaré le suivre, d'après un sondage Ipsos de février, et seuls 5 % des plus de 50 ans assuraient le suivre.

Haro donc sur ceux qui comme du temps de nos grand-mères, effectuent une seule visite médicale par an, continuent de fumer et de boire. Le gouvernement vante le modèle suivi par la génération Z: Churchill disait « pas de sport », eux disent « ni alcool, ni cigarettes », et du rock'n roll, mais seulement dans la musique. En dix ans, comme le rappelle une étude de l'Inseen (Institut national de la statistique économique et numérique), les ventes d'alcool ont plongé de 60 % et celles du tabac et de la cigarette électronique ont chuté de 55 et 35 % respectivement.

De la « dictature sanitaire » à la « répression »

Le choix du ministère qui s'oriente vers la prévention tous azimuts a suscité des réactions épidermiques chez des organisations condamnant l'excès d'aseptisation de la société. Plusieurs associations de patients ont posé une question prioritaire de constitutionnalité. Dans un communiqué commun, elles dénoncent « l'ultraprévention », un « PCP et un PBE devenant de facto quasi-obligatoires » alors qu'ils sont « intenables et contraignants, non compatibles avec le rythme de vie de la population et parfois leurs revenus ». L'annonce a également aggravé la rupture chez les médecins.

La mesure est saluée par le syndicat des médecins connectés. C'est « pertinent », « positif », car cela va accélérer la prise de conscience que les maladies en question « ne se guérissent pas, elles se tuent d'abord dans l'oeuf ». A contrario les médecins du « STOP au connecté obsessif » fulminent. « Nous sommes passés du soin à la prévention. Puis de la prévention suggérée à la dictature sanitaire. Cette dernière mène désormais à la répression », a commenté l'organisation de médecins dans une déclaration officielle fustigeant « l'observance- flicage ». Un Etat Big brothers ? L'ONG Freedom House va dans ce sens. L'ONG a fait reculer la France de 30 places en cinq ans, en ce qui concerne les libertés individuelles, pointant du doigt le secteur de la santé aux mesures « d'observance très exagérées ».

Mais le ministère de la Santé peut dégainer une autre arme de poids : des statistiques éloquentes. Les cancers du foie ont été divisés par 10 en autant d'années, les diabètes de type B réduits de 70 % en dix ans aussi en France, si l'on en croit les données de l'organisation mondiale de la santé pour 2044. Et si les 100 % ne sont pas encore là, c'est à cause « des mauvaises habitudes, du non-respect du PCP et des directives qui suivent », assure le gouvernement. Concernant les accusations de flicage, le ministère n'a pas souhaité commenter. Des allégations face auxquelles le ministère reste muet.

Jean-Yves Paillé

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Commentaires 3
à écrit le 07/01/2016 à 22:46
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Et obligatoire ( mot que je déteste ) pour moi ce sera non . Ils me laisseront " crever " mais je préfère encore ça que ce cauchemar . J'assumerai complètement de n'être pas pris en charge et les conséquences . Je ne crains absolument pas la mort du...

à écrit le 07/01/2016 à 22:36
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Si c'est pour attraper l'Alzheimer à 70 ans ( car la médecine prédictive vous le dira ) , je préfère encore avoir le cancer à 55 et partir ( encore une fois , la médecine prédictive peut pourra très bien vous signaler que vous aurez les deux à tel ...

à écrit le 07/01/2016 à 22:32
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Perso en 2040 ou 2050 il y a longtemps que je ne serai plus de ce monde . Mais ça sera la fin de la sécu et donc de tous les remboursements car elle sera en faillite . Pour la raison bien simple que si tout le monde vit très vieux , ceux dont le corp...

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