Portugal : une économie dans la tourmente

La crise de Banco Espirito Santo n'est que la partie émergée de l'iceberg : l'économie portugaise, sous ses airs de bonne élève de l'austérité, est loin d'être sur pied... Par Marc Berry, consultant.

Il y a quelques semaines, les déboires de la première banque privée du Portugal plongeaient une nouvelle fois les marchés financiers dans la tourmente. Mais l'état de santé du secteur bancaire n'est pas le seul talon d'Achille de l'économie portugaise, les fondamentaux du pays affichent aujourd'hui d'importantes fragilités. Des zones d'ombre que les autorités européennes tentent de minimiser pour légitimer la poursuite des programmes de réformes structurelles et maintenir coûte que coûte l'intégrité de la zone euro.

De son retour aux allures de " come-back triomphal " orchestré par la troïka, aux déclarations successives qui se veulent rassurantes sur l'état de santé de ses banques, le Portugal reste un pays exténué par la cure d'austérité qui dure depuis maintenant plus de 3 ans. Si l'économie lusitanienne connaît bien un redémarrage, il ne pourrait être que temporaire. Radiographe d'un pays à bout de souffle.

 

Un retour sur les marchés " sous assistance "

" Retour gagnant ", " grand succès ", les qualificatifs n'auront pas manqué à une presse dithyrambique pour décrire le retour du Portugal sur les marchés financiers. En apparence le pays à bel et bien franchit un cap dans son retour à l'autonomie financière. La demande en moyenne 3 fois supérieure à l'offre pour chacune des émissions, témoigne de l'intérêt des investisseurs pour les bons du Trésor portugais. Ce regain d'appétit pour la dette du pays, qui a fait les autosatisfecits de la Troïka et du gouvernement portugais, reste néanmoins à relativiser, et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, ses émissions ont pu bénéficier d'une réallocation des liquidités en provenance des économies émergentes. Les investisseurs échaudés par les faibles perspectives économiques dans les pays émergents, dues en grande partie au reflux causé par le Tapering, ont cherché en zone euro des placements jugés plus " sûrs " et bien évidemment plus rentables. Ces derniers sont surtout persuadés que leurs achats obligataires seront, d'une manière ou d'une autre, garantis par la BCE et ce, même si l'OMT n'est pas activé.

Second point - qui n'est pas nouveau -, les marchés sont actuellement " noyés " sous les liquidités octroyées par les banques centrales. L'emploi de ces flux de capitaux sur le marché obligataire européen provoque d'importantes distorsions sur les taux souverains, comme en témoigne le rendement du 10 ans portugais à 3,71% ou celui du 10 ans espagnol qui niche sans aucun complexe au même niveau que le bond Américain. La France avec des taux historiquement bas, n'est, elle aussi, pas exempte de ce genre d'anomalies obligataires. Jusqu'à présent, les émissions les plus importantes du Portugal se sont systématiquement effectuées avec le concours d'un syndicat bancaire. Une certaine forme de tutelle persiste donc, si bien qu'il est encore trop tôt pour juger de la réelle capacité du pays à financer son déficit de manière totalement autonome.

 

Austérité : la demande intérieure au rouleau compresseur

La première chose qui frappe lorsque l'on observe la situation économique du Portugal, c'est de toute évidence le regain de vigueur que connaît de son économie depuis 2013. Un rebond qui repose entièrement sur le commerce extérieur qui reste le principal moteur de la croissance portugaise. Sous l'effet conjugué d'un repli des importations (provoqué par la contraction de la consommation intérieure) et d'une hausse des exportations, la balance commerciale du pays a retrouvé le chemin de l'équilibre dès 2013. L'augmentation de la compétitivité, qui reste le facteur déterminant de cette embellie économique, tire son origine, d'une part de la hausse de la productivité industrielle induite par le redressement de l'investissement productif et, d'autre part, d'une forte compression des salaires. Cette main-d'œuvre qui présente aujourd'hui un attractif rapport coût/qualification ne manque pas d'attirer les investissements étrangers. L'essor du Nearshoring (délocalisation de proximité) dénote de cette appétence des entreprises européennes pour la main-d'œuvre portugaise.

L'offre de service, qui représente à elle seule les ¾ du PIB et plus de 60% des emplois, reste le secteur clé sur lequel mise l'économie du pays pour développer de son commerce extérieur. En témoignent les nombreuses créations d'emplois qui sont faites chaque mois dans ce secteur et qui contrastent avec les secteurs industriels et agricoles, où l'emploi ne cesse de décliner. Les exportations de services sont d'autant plus stratégiques pour le Portugal qu'elles permettent un retour à l'équilibre de son solde commercial et ce, malgré une balance des biens fortement déficitaire.

 

La reprise portugaise, un équilibre fragile

Ce que peu d'observateurs ont noté de rapporter, c'est la trajectoire que suit actuellement l'évolution des salaires portugais et plus précisément ceux des services. Si dès 2011, les salaires ont effectivement baissé, participant ainsi à la compétitivité extérieure du pays, ils connaissent depuis fin 2012, une nouvelle hausse causée par le redémarrage de la consommation intérieure. Avec le retour de la croissance,  il est fort probable que l'économie lusitanienne connaisse, une nouvelle fois, des difficultés en matière de compétitivité et de déficit commercial. En outre, le niveau élevé de l'euro reste un frein à la reprise économique, un frein dont le BCE ne semble toujours pas vouloir tenir compte. Le fait que les institutions européennes s'évertuent à nier l'existence d'un épisode déflationniste en zone euro, en plus d'envoyer un signal erroné à l'ensemble des acteurs économiques, continue d'étioler la profitabilité des entreprises des pays périphériques.

Second aspect de ce soubresaut économique, les entreprises et les ménages portugais épargnent et ce, dans des proportions inédites depuis près de 20 ans. Une manne providentielle pour les banques, qui en pleine période de deleveraging, captent cette réallocation du revenu disponible, au détriment de la consommation. Par ailleurs, on notera que le récent (et lent) processus de désendettement des agents économiques a pour effet de stabiliser le niveau de dette privée. Des niveaux qui restent néanmoins élevés, aussi bien pour les ménages (80% du PIB) que pour les entreprises où il atteint le niveau record de 170 % du PIB.

 

Un secteur bancaire dans le rouge

Comme pour beaucoup d'économies intermédiées en Europe, l'état de santé du secteur bancaire préoccupe. A l'instar de l'Espagne et de l'Italie, le taux de créances douteuses rapporté à l'encours total du crédit n'a cessé d'augmenter ces dernières années au bilan des banques portugaises. Selon la Banque du Portugal, ce taux aurait triplé en l'espace de 5 ans passant de 3,6% en 2008 à 10,6% en juin 2013. Pour les entreprises non financières, il a été multiplié par 4,5 sur la même période, passant ainsi de 3,4 % à 15,4%. À cette flambée des prêts non performants plusieurs explications, à commencer par le repli du crédit. Récession, faibles perspectives d'investissement pour les PME, désendettement des agents privés mais aussi deleveraging et nouvelles réglementations bancaires ont eu raison de l'offre comme de la demande de crédits. Cette baisse de l'encours total des crédits a pour conséquence de faire mécaniquement augmenter le taux des prêts non performants au bilan des banques. Par ailleurs, on notera que la profitabilité du secteur bancaire, qui jusqu'à présent avait permis de contrebalancer avec cette montée en force des créances douteuses, connaît une baisse continue depuis 2008.

La forte exposition des banques portugaises à leur propre dette publique est, elle aussi, un des points noirs du secteur. La récente (et précaire) accalmie que connaît le pays sur ces taux obligataires ne tient en grande partie qu'à " l'effet d'annonce OMT " par la BCE. D'autant plus, que le marché de la dette portugaise est un marché qui reste peu liquide, du fait du petit nombre d'investisseurs positionnés dessus. Au premier signe d'inquiétude, un retournement de tendance ne tient donc à pas grand-chose.

 

La première banque privée du pays réveille les vieux démons de la crise en zone euro

Enclavée dans une structure complexe de holdings, la banque Banco Espirito Santo, à tout le mal du monde à ne pas être " ballotée " par la tempête qui secoue violemment son vaisseau mère (et principal actionnaire), l'empire familiale Espirito Santo. La BES, qui détient à elle seule pour actifs la moitié du PIB portugais, est considérée par la BCE comme étant l'une des 129 banques systémiques de la zone euro à faire l'objet d'une surveillance accrue. Une véritable galère portugaise qui ne manque pas de faire trembler les autorités du pays à commencer par la Banque du Portugal. Une banque centrale dont les annonces successives pour tenter de rassurer les marchés tiennent plus de la cacophonie que de la véritable communication de crise.

Pourtant, en 2012, la recapitalisation des banques lusitaniennes (BCP, BPI et Banif) qui s'était traduite par des injections de capitaux publics (5,6 milliards d'euros), semblait pourtant avoir permis d'améliorer la solvabilité des banques. À l'époque, la BES qui n'avait pas souhaité participer à l'exercice de recapitalisation (par recours des fonds publics), avait procédé par une levée de capital d'un milliard d'euros auprès de ses actionnaires.

En trame de fond de cet épisode boursier, c'est bel et bien toute la complexité des structures financières et leur potentiel systémique qui est, une nouvelle fois, mise en lumière. À l'heure où la BCE et sa supervision unique tentent de faire le ménage au sein des banques européennes en jouant la carte de la transparence, la tâche s'annonce donc comme infiniment complexe.

 

La BCE peine (une fois de plus) à convaincre

Enfin, on ne pourra que s'interroger sur les récentes déclarations de Mario Draghi, concernant l'octroi de nouveaux LTRO's " ciblés " aux banques (TLTRO). Comment peut-on, après le manque d'efficacité flagrant des deux précédents LTRO, penser sérieusement que ces prêts ciblés rétabliront les canaux de transmission du crédit à l'économie réelle ? En l'absence de contraintes obligeant les banques à redistribuer ces nouvelles liquidités à l'économie réelle, ces dernières pourraient bien profiter de cette source de financement pour rembourser leurs anciens emprunts (LTRO) et spéculer, à nouveau, sur le marché de la dette souveraine. On pensera notamment aux banques espagnoles et italiennes fortement dépendantes de la liquidité injectée par la banque centrale.

Mais surtout ce que le banquier central oublie - ou plutôt feint d'oublier -, c'est que la véritable source du problème pour les PME portugaises (comme européennes) ne réside pas tant dans leur facilité d'accès au crédit, que dans le remplissage de leurs carnets de commandes. Le mal qui ronge les pays périphériques de la zone euro est bien plus profond qu'une simple problématique de financement de l'économie réelle, il résulte d'un effondrement de la demande. En définitive, que la BCE mette à disposition des banques 1000 milliards d'euros (ou plus), risque fort de ne rien changer à la situation.

 

Derrière l'image du  " bon élève ", l'hémorragie sociale.

Les questions économiques ne s'arrêtent pas aux seuils des problématiques bancaires et des déséquilibres macro-économiques. Au-delà de la paupérisation et de la souffrance sociale d'un pays, c'est l'exode massif de sa population qui traduit tout le mal-être de la société portugaise face à l'austérité. Soixante-dix mille Portugais quitteraient le pays chaque année pour l'OCDE, 120 000 pour le gouvernement. Quelle que soit l'origine des chiffres, ils font état d'une véritable hémorragie, signe que le pays se vide de ses forces vives. Un exode qui n'est pas sans rappeler celui des années 70 sous la dictature lazariste, un traumatisme encore présent dans tous les esprits. Au total, on estime entre 300 000 et 700 000 le nombre de Portugais qui auraient émigré depuis 2011. Une hypothèque sur l'avenir d'un pays qui voit partir toute une génération de jeunes, le plus souvent diplômés.

Déflation salariale, chômage de masse, exil, autant de conséquences qui nous montrent, une fois de plus, que ce sont bien les populations qui restent les seules variables d'ajustement des politiques économiques actuellement menées en zone euro. L'amalgame, souvent insidieux, qui consiste à confondre « retour sur les marchés financiers » et « bonne santé économique d'un pays » devrait faire preuve de plus de prudence et d'attentisme de la part des autorités européennes, d'autant plus, qu'aucun des problèmes en zone euro n'ont, à ce jour, été réglés.

 

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Commentaires 12
à écrit le 11/08/2014 à 16:20
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On à gouvernement mauvais et sans quelconque vision d'avenir... Le talon d'achille de l'économie portugaise réside dans sa faiblesse en ressources energétiques. Il serait assez long d'expliquer en détail mais les 3 crises du Portugal (77),(83),(2011)...

à écrit le 07/08/2014 à 7:18
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Bravo pour votre article Cette analyse vaut egalement pour l espagne attendez vous la aussi A la meme catastrophe bancaire Mais que fait la BCE

à écrit le 30/07/2014 à 14:24
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ET CERTAINS VEULENT PRENDRE LEUR RETRAITE DANS CE PAYS !!!! restez donc en France et faites travailler nos concitoyens....

le 04/08/2014 à 11:23
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Exactement, venez pas nous piller avec en prime l'indecénce de ne pas payer les impôts pendant une période d'une décennie pendant que nous devons trimer avec des taxes à tout va...

le 08/08/2014 à 10:30
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Mesure très temporaire pour les retraités français qui participent largement à la vie économique portugaise. Pas comme nous qui récupérons une partie des 120 000 personnes parties depuis 2011 de votre beau pays à notre charge !

le 11/08/2014 à 16:16
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"Mesure très temporaire" Pardonnez moi mais vous êtes divin? "Participent largement" Oui, ils embauchent des femmes de ménage locaux et ceci va sûrement contribuer "grandement" à l'économie du pays...! Quant aux 120 000 concitoyens pris en charge je...

le 20/10/2014 à 16:57
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Des portugais qui viennent travailler... EUX !

à écrit le 29/07/2014 à 14:08
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En même temps, "l'économie" portugaise.... Bof. Ils auraient du faire comme les Irlandais ou les Luxembourgeois plutôt que comme les Grecs.

à écrit le 29/07/2014 à 11:51
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le Portugal doit sortir de la zone euro, rétablir l'escudo , et pratiquer une politique de relance économique avec une fiscalité incitative pour les entreprises . c'est un peuple courageux et travailleur, il doit s'affranchir des fonctionnaires de ...

le 19/10/2014 à 23:29
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Voilà ce qui est bien dit !

le 07/02/2015 à 21:55
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Sur le principe je suis entièrement d'accord! Mais la réalité est tout autre, mais c'est vrai que au point ou ils en sont!!!

à écrit le 29/07/2014 à 10:43
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votre commentaire est intéressant, mais je voudrais vous informer sur quelques points, primo je suis français résident au Portugal depuis 14 ans, il manque quelques infos sur le Portugal, vous devez savoir, que son économie est peut être rassurante o...

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