Emmanuel Macron ou la "République 2.0"

La campagne touche à sa fin, et force est de constater que les candidats n'ont pas voulu faire du numérique un véritable sujet lors de ces élections. Par Arno Pons, directeur général de 5e Gauche-Herezie Group, délégué général de la fondation « Digital New Deal », enseignant à SciencesPo.

Leurs programmes avaient des propositions intéressantes, mais ils n'ont pas profité de ce moment de débat national pour faire la pédagogie de cette révolution qui transforme nos vies. Certes François Fillon, Benoit Hamon et Emmanuel Macron se sont engagés sur les 9 mesures politiques proposées par la Digital New Deal Foundation dans son «pacte numérique» du 22 mars, mais ils n'ont pas souhaité en faire un grand rendez-vous médiatique.

Pourtant on aurait pu s'attendre à ce que leader d'En Marche fasse du numérique un véritable axe programmatique pour se démarquer et légitimer son ambition européenne. En expliquant par exemple que les États-Unis ont fait le pari gagnant du numérique il y a maintenant 25 ans avec Al Gore, et que c'est bien grâce à la nouvelle économie que les USA sont encore aujourd'hui la 1re puissance mondiale économique, mais aussi culturelle (les GAFA étant devenus un "softpower" bien plus puissant que l'industrie de l'entertainment).

Si Emmanuel Macron n'a pas fait ce choix c'est peut-être parce qu'il savait qu'avec un tel thème de campagne il aurait été englué dans des argumentations inaudibles face aux mots totémiques robotisation et uberisation.

Et surtout parce qu'il a compris mieux que tout le monde que la meilleure réponse politique à apporter aux enjeux du numérique ce n'est pas une série de mesures, mais davantage à travers une pratique, une nouvelle culture de gouvernement.

En Marche, une startup politique

Et tout semble indiquer que Macron soit bien dans cette vision : du lancement de son mouvement conçu telle une startup (une offre agile qui se glisse dans les failles d'un système sans le remettre en cause), à sa promesse de renouvellement du personnel politique (qui prouve bien qu'il ne souhaite pas refondre les institutions de la République), tout montre qu'il vise plutôt à faire « pivoter » le modèle républicain et non à le refondre.

C'est là où réside sa force car sa construction hors parti l'a rendu anti-establishment sans tomber dans les travers d'une candidature antisystème.

Il ne propose pas comme Marine Le Pen de se déconnecter du reste du monde en sortant du réseau européen, ou de revenir sur une version antérieure du logiciel politique comme le souhaite François Fillon, et encore moins de régler les bugs de la nation en passant à une VIe République comme Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon le promettent.

Lui se montre pragmatique en imaginant simplement de mettre à jour le système.

La « beta-isation » du monde politique

Emmanuel Macron a probablement compris que la « beta-isation » du monde s'applique aussi à la politique. Notre République est comme une application mobile: des mises à jour régulières sont nécessaires, mais ce n'est pas la peine d'en créer une nouvelle à chaque problème rencontré (opération coûteuse et risquée en termes d'adoption par le grand public).

Ce n'est donc pas via les institutions que l'ancien ministre de l'Économie pourrait devenir le premier président de l'ère numérique, mais bien en disruptant le mode de gouvernance. À l'instar de Valery Giscard d'Estaing qui permit la transition post-Gaullisme, Emmanuel Macron a vocation à créer une nouvelle version de la Vème République, celle du post-bipartisme.

Des valeurs plutôt que des partis

Pour ce faire il devra s'assurer d'enterrer le clivage droite-gauche en créant des lignes de démarcations programmatiques transversales en remplacement des positions partisanes silotées.

Tout comme il a tué le hertzien, le digital a sonné la fin des grands systèmes idéologiques de masse laissant place à des courants comme l'écologie et le numérique qui partagent une vision horizontale de la politique et une certaine forme de radicalité dans la notion de progrès (ce qui implique que le numérique se politise comme l'écologie le fit dans les années 70).

Les mouvements écologiques et numériques pourraient alors créer des coalitions de projets avec les courants libéraux (ex-LR), sociaux (ex-PS), et progressistes (EM) évitant ainsi de tomber dans une logique de cohabitation qui rendrait caduque l'idée même de ce mandat !

En indexant son action politique sur les transitions numériques et écologiques, Macron pourrait alors construire une croissance collaborative qui marginaliserait le clivage droite-gauche, et deviendrait par la même occasion l'initiateur d'une nouvelle aventure politique européenne.

Gageons que cette ambition soit bien la sienne et qu'il ne se contentera pas s'il est élu de gouverner au centre par la culture du compromis. Car le populisme attend son heure...

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Par Arno Pons, directeur général de 5e Gauche-Herezie Group, délégué général de la fondation « Digital New Deal », enseignant à SciencesPo.

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Commentaires 28
à écrit le 21/04/2017 à 16:40
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Je suis d'accord avec l'auteur de cette tribune, Macron est indéniablement le candidat le plus disruptif au sens où on l'entend dans le digital. A voir si Macron devient président, s'il se contente d'être un président en phase avec le numérique, ou ...

à écrit le 21/04/2017 à 16:35
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Sortir des idéologies pour rentrer dans une logique de projets universels, c'est peut-être ça l'entrée dans le XXIeme siècle.

à écrit le 18/04/2017 à 8:32
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"il a compris mieux que tout le monde que la meilleure réponse politique à apporter aux enjeux du numérique ce n'est pas une série de mesures, mais davantage à travers une pratique" Je suis 100% d'accord avec ce qui est dit ici.

à écrit le 18/04/2017 à 1:42
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Je pose ça là. Il semblerait que selon les vrais acteurs de la révolution numérique, pas les journalistes qui en parle de loin, JLM soit un peu plus crédible pour poser les bases d'une France entrepreneuriale dynamique, numérique et moderne. https...

à écrit le 17/04/2017 à 21:40
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Cette tribune montre bien l'énorme chantier qui attend Macron s'il est élu. La France pourrait montrer l'exemple en Europe et au delà en faisant du numerique la nouvelle grande ambition politique.

à écrit le 17/04/2017 à 7:46
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Donc Macron c'est VGE 2.0 Pas idiots comme point de cue

à écrit le 16/04/2017 à 4:11
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"une croissance collaborative qui marginaliserait le clivage droite-gauche", merci à Mr Pons d'avoir posé les bons mots derrière cette espérance que nous avons tous de sortir d'un système qui ne marche plus.

à écrit le 15/04/2017 à 13:27
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C'est quand même dommage que les politiques ne profitent pas des présidentielles pour parler de ce qui constitue la 3 révolution industrielle et culturelle. Le seul candidat qui semble compatible avec le XXIe siècle évite de parler du digital pour é...

à écrit le 15/04/2017 à 8:44
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La droite change de cheval... Mais Macron c'est la même politique que Hollande ou Fillon: continuer la dérégulation financière et le détricotage du droit du travail: il veut un droit du travail par entreprise, imagine-t-on un code de la route par rue...

à écrit le 15/04/2017 à 3:56
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Un mouvement politique du numerique comme génération écologie à l'époque de Brice Lalonde. Ce serait le meilleur moyen de faire comprendre le numérique au grand public

à écrit le 14/04/2017 à 13:04
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Alors chiche créons un mouvement numérique comme l'écologie!!

à écrit le 14/04/2017 à 12:26
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"...la meilleure réponse politique à apporter aux enjeux du numérique ce n'est pas une série de mesures, mais davantage à travers une pratique, une nouvelle culture de gouvernement." En gros, Macron il est trop "in" parce qu'il propose rien de conc...

à écrit le 14/04/2017 à 9:00
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Admettons que mr Macron ait une approche pragmatique de la revnum, les 10 autres candidats sont face à une révolution silencieuse qui s'est faite sans eux. Tout comme l'arrivée des transistors face aux lampes électroniques qui a sournoisement révol...

à écrit le 14/04/2017 à 3:53
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Je trouve cette analyse intéressante, très Sciences-Po mais éclairante. La fin des partis remplacés par des courants non partisans serait effectivement une nouvelle version de la Veme republique. Je ne suis pas sûr que Macron ait une vision politiqu...

à écrit le 13/04/2017 à 21:38
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Beaucoup de blabla... Monsieur Macron a oublié que la France compte 6 millions chômeurs et 2200 milliards de dette. Comment faire confiance à un candidat qui n'a, dans sa carrière connu aucune expérience de managment, qui n' a dirigé aucune collectiv...

à écrit le 13/04/2017 à 17:19
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Bonne analyse sur la "betaisation. A priori comprendre et manager cette nouvelle donne liée à la digitalisation du monde est beaucoup une question "générationelle" qui lui donne un avantage concurrentiel indéniable. Espérons toutefois que la "bétais...

à écrit le 13/04/2017 à 14:39
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on doit bien en être au 4.0 de la République mais bon passons Aucun logiciel ne s'est fait refaire le noyau?? doit pas souvent mettre les mains dans le code le donneur de petite leçons En marche une startup ? la probabilité de crash est donc très ...

à écrit le 13/04/2017 à 13:58
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C'est certainement Macron qui fait les propositions les plus avancées sur ce thème mais on ne peut pas demander à un futur président de rentrer dans les détails de chaque secteur. Si par exemple celui de la transition énergétique qui est encore plus ...

le 13/04/2017 à 15:49
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Mélenchon ne propose pas de sortir du nucleaire en 5 ans mais 25 si ma mémoire est bonne, et il est de loin le plus tourné vers le futur, que ce soit sur la recherche, le developement et même sur la defense.

le 13/04/2017 à 15:59
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Les "fameux" quarante économistes avaient déjà soutenu Hollande en 2012. On voit aujourd'hui le désastre économique et social dans lequel se trouve le Pays. En venant ressoutenir cette fois Macron, on peut craindre le pire et surtout on remarque qu'i...

à écrit le 13/04/2017 à 12:51
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Hyper intéressant, l'idée que la vision holistique de la société des mouvements écologiques et numériques structure la composition à venir de la vie politique française m'enchante!!

à écrit le 13/04/2017 à 12:46
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L'idée que le numérique soit une force politique comme l'écologie fait sens, après tout les révolutions numériques et ecologiques sont complémentaires. T

à écrit le 13/04/2017 à 12:38
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Très bien vu! Et cette idée de Macron en VGE de l'ère digital me plait beaucoup.

à écrit le 13/04/2017 à 12:19
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Brillant et visionnaire!

à écrit le 13/04/2017 à 11:22
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OK. Mais le digital n'est pas une fin en soi, ce n'est qu'un moyen. Un moyen de réformer la sphère publique administrative (justice, collectivités territoriales, santé,...), comme le propose Macron, et de promouvoir de nouveaux usages privés. La con...

à écrit le 13/04/2017 à 11:15
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Admettons, que Macron soit une "licorne politique", quoi-que, Bayrou et le parti centriste existent depuis bien longtemps. Donc ce n'est pas vraiment de la disruption, mais plutôt de "la multitude" ? (voir Collin-Verdier) Par contre Macron semble ...

à écrit le 13/04/2017 à 10:17
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Cette article a particulièrement retenu l'attention de la webradio webtv indépendante AWI qui dénonce dans sa dernière chronique intitulée : PRESIDENTIELLE 2017 : LE PREMIER TOUR PLONGE DANS L’EXPECTATIVE" la quasi absence de vision futuriste dans...

à écrit le 13/04/2017 à 10:14
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"Gageons que cette ambition soit bien la sienne et qu'il ne se contentera pas s'il est élu de gouverner au centre par la culture du compromis. Car le populisme attend son heure..." C'est bien d'être naïf mais c'est peu productif, sans soutien fina...

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