Forte de son savoir-faire, la science peine encore à « faire savoir »

Il est urgent de rendre la parole des scientifiques plus audible. L'opposition absurde au compteur Linky, exemple d'utilisation hasardeuse du principe de précaution, montre comment le débat public peut déraper faute de parole scientifique claire. Par Jean-Yves Le Déaut, député PS, président de l'Opecst, (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques)
Jean-Yves Le Déaut, député PS, président de l'Opecst

En 1998, déjà, j'invitais tous les acteurs concernés à venir débattre à l'Assemblée nationale du sujet de l'acceptabilité des sciences par la société civile, dans le cadre de la Conférence citoyenne. Presque 20 ans plus tard, force est de constater que les choses n'ont pas beaucoup évolué. Si le « participatif » est désormais monnaie courante dans certaines sphères, comme on le voit avec le boom de l'économie du partage dans le secteur des services, la science reste encore en marge de ce processus. Certes, il est désormais possible à n'importe qui de prendre part à un débat académique, où il pourra donner son avis, mais la mécanique est encore mal huilée, et l'on assiste plus souvent à des confrontations entre communauté scientifique et associations prétendant représenter les citoyens qu'à un débat constructif.

 Un schéma récurrent

 En tant que président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, j'ai vu se succéder de nombreuses controverses ces dernières années, toutes différentes dans leur nature profonde et les enjeux qu'elles brassent, mais qui émergeaient selon un schéma récurrent. Mettre ce schéma en évidence permet de se faire une idée précise des raisons pour lesquelles, bien souvent, la communication achoppe entre scientifiques et société.

 Tout d'abord, une innovation qui arrive sur le marché nécessite la mise en place d'une politique publique. Très souvent, cette innovation est issue de laboratoires et peut présenter des risques potentiels. Il faudrait alors mettre en œuvre une procédure d'évaluation technologique, mais avant que cela n'ait eu le temps de se faire, se mettent alors au travers de sa route des lanceurs d'alerte qui, avec l'appui d'ONG, veulent empêcher cette innovation de voir le jour, en affirmant qu'elle génère des risques de santé ou pour l'environnement. L'affirmation précède l'évaluation. Le problème, c'est qu'on ne convainc pas le plus grand nombre à l'aide d'études longues, fouillées et nuancées, mais bien plutôt par le biais d'actions coup de poing : clips à la rigueur scientifique douteuse, campagnes de mailing catastrophistes, organisation de réunions tapageuses. La science s'accommode mal des effets de manche, et ce que ces « lanceurs d'alerte » gagnent en adhérents, ils le perdent bien souvent en crédibilité scientifique.

 La science sous l'influence de lobbies industriels

A la limite peu importe : reléguée au second plan, l'argumentation scientifique ne fait plus autorité, supplantée par des éléments de langage qui forcent le trait, transforment un risque potentiel en danger imminent et absolu, semant le doute, quand ce n'est pas la panique, dans l'opinion publique. Cette dernière, sensibilisée, informée (désinformée ?), manifeste notamment son désaccord dans le cadre de sondages d'opinion. S'en suit alors un ballet politique dans lequel la science n'a plus à rendre de compte à une hypothétique « vérité » vérifiée par les pairs, mais devient l'instrument d'un combat politique que se mènent des acteurs aux points de vue idéologiques inconciliables. On peut le vérifier dans l'actuel fonctionnement du Haut Conseil des Biotechnologies, que j'ai pourtant appelé de mes vœux.

 On peut regretter que la science s'éloigne ainsi des considérations propres à son orthodoxie. On peut également déplorer, avec certaines associations citoyennes, qu'elle soit parfois trop sous l'influence des lobbies industriels et n'écoute pas suffisamment les récriminations du public. On peut aussi et surtout s'inquiéter du manque de solutions avancées pour mettre fin à ce dialogue de sourd, ce statu quo frustrant, stérile, qui entraine systématiquement le débat public dans une impasse.

 L'exemple des compteurs communicants Linky

Récemment, l'exemple des compteurs communicants Linky est encore venu le montrer. Alors que les experts, dans leur ensemble, placent ces boitiers connectés au-dessus de tout soupçon sur le plan sanitaire, leur déploiement sur l'ensemble du territoire se heurte à la fronde d'une frange chaque jour plus importante du public. Pourquoi cette opposition ? Retracer la genèse de ce mouvement protestataire permet de révéler les mêmes ressorts qu'à l'accoutumée : implication de lanceurs d'alerte « professionnels » par le biais d'un activisme chevronné confinant parfois à l'agitprop, conversion d'un public de plus en plus large, d'autant plus déterminé qu'il voit mal - et il a raison -  pourquoi on devrait lui reprocher de prendre part au débat public, en s'opposant à une innovation qu'il perçoit comme subie.

 De fil en aiguille, ce sont aujourd'hui des villages entiers, voire des villes d'envergure comme Bagnolet, Caen ou encore Melun qui s'élèvent contre le compteur. Pourtant, de façon paradoxale, l'opinion publique est largement favorable aux mesures et technologies qui encouragent la transition énergétique. Sachant que Linky en représente l'un des piliers, puisqu'il est considéré comme la première brique des réseaux intelligents, sans lesquels une meilleure gestion de notre consommation d'électricité n'est pas possible, il y a là matière à s'interroger : comment peut-on sacrifier un objectif que l'on perçoit comme noble au nom de craintes invalidées par l'ensemble de la communauté scientifique ? C'est prendre le risque inconsidéré que la transition énergétique échoue sur l'autel du... principe de précaution lui-même, invoqué ici de façon hasardeuse.

 Ne pas céder aux aux sirènes du sensationnalisme

Reste à se poser la bonne question : pourquoi les messages anxiogènes se propagent-ils si facilement dans l'opinion publique ? Il faut sans doute y voir un des effets collatéraux de lacunes persistantes de l'Education nationale, qui peine encore à renforcer l'interdisciplinarité dans le milieu scolaire. Mais pas seulement. Il semble également essentiel de renforcer les partenariats et les interactions entre médias et scientifiques, afin que les premiers ne cèdent pas aux sirènes du sensationnalisme, travestissant le travail des seconds. Certains médias parviennent à rendre l'information scientifique « croustillante », en la vulgarisant mais sans pour autant la dénaturer, n'y a-t-il pas là un bon compromis à explorer davantage ?

 Il est urgent de rendre la parole des scientifiques plus audible, leurs publications moins étanches, urgent de voir les académies s'approprier les moyens modernes de communication, urgent, également, que les citoyens aient voix au chapitre en matière d'innovation technologique, ne serait-ce que pour confier leurs craintes et exiger qu'on y réponde avec clarté. Des espaces d'échanges doivent être créés, pour décloisonner le débat. Pourquoi pas par le biais d'associations, qui auraient aussi pour ambition de contrebalancer l'influence de certaines ONG superstars, omniprésentes dans les médias ? Comme il y a 20 ans, plus qu'il y a 20 ans même, il est nécessaire de mettre sur pied une véritable communication scientifique, moderne et efficace.

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Commentaires 3
à écrit le 26/10/2016 à 10:30
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+ 1

à écrit le 25/10/2016 à 15:50
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On voit que vous êtes un politicien qui n'évolue pas dans la réalité. "Alors que les experts, dans leur ensemble" Les experts économiques médiatiques à la télévision sont à 95% néolibéraux et sont compromis avec les intérêts des marchés finan...

le 29/10/2016 à 13:51
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En fait il parle d'experts santé là donc c'est peut être pas la peine de s'enflammer sur les intérêts des marchés financiers. Et ne me sortez pas le lobby de l'industrie pharmaceutique qui se moque bien de votre compteur électrique. Allez aux fête...

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