"Il faut qu'on apprenne à avoir confiance dans nos entreprises" (Bertin Nahum, fondateur de Medtech)

Deux mois après l'annonce du rachat de sa société par l'américain Zimmer Biomet, Bertin Nahum, fondateur de Medtech,s'exprime sur l'avenir du pôle montpelliérain, sur les difficultés des startups santé à se développer en France et l'avenir des robots médicaux.
Jean-Yves Paillé
"Ses dizaines de salariés vont être recrutés dans les prochains mois à Montpellier", annonce Bertin Nahum.

LA TRIBUNE - Avez-vous de l'amertume suite au rachat de Medtech par Zimmer Biomet ?

BERTIN HAHUM - Il n'y a pas d'amertume, mais j'ai quelques regrets. En tant que fondateur de Medtech, j'aurais aimé réussir à réunir les conditions nécessaires pour aller plus loi dans l'aventure entrepreneuriale et faire rayonner une entreprise française mondialement dans le secteur des robots médicaux.

Mais je tiens à dire que le rachat par Zimmer Biomet est une bonne opération. C'est une belle issue pour Medtech car sa pérennité est garantie et son projet entrepreneurial va se poursuivre. Le projet de Zimmer est cohérent.

Quelles sont les synergies apportées par l'arrivée de Zimmer ?

Le groupe américain est présent dans les implants chirurgicaux et dans les blocs opératoires, ce qui va nous ouvrir des portes pour diffuser nos robots chirurgicaux. Medtech va bénéficier de l'expérience de la présence de Zimmer Biomet dans le monde, leader dans le domaine et ayant 10.000 salariés. Cette transaction est un accélérateur du développement et de la diffusion des technologies.

Quel est l'avenir du siège de Medtech situé à Montpellier et de votre antenne new-yorkaise ?

On continuera à y fabriquer nos robots Rosa. Montpellier deviendra le centre d'excellence monde pour les aptitudes robotiques. Le groupe Zimmer prévoit d'y investir de façon significative, et des dizaines de salariés vont être recrutés dans les prochains mois sur le site. La présence y sera donc renforcée.

À New York, le site restera une implantation commerciale. Avec le rachat de Zimmer, nous allons bénéficier d'implantations plus établies pour y déployer nos forces commerciales.

Par ailleurs, on finalise l'opération. Zimmer détient 70% de Medtech. Fin septembre, il détiendra la totalité des actions. Medtech sera alors retiré de la cotation boursière Euronext et deviendra une filiale de Zimmer, spécialisée dans la fourniture, le développement et la mise au point de la technologie pour la chirurgie. Medtech changera également de nom.

Quant à moi, je reste directeur général. Je continue ce que j'ai fait avec Medtech, mais sera en lien avec la politique de Zimmer.

 
On perçoit une certaines morosité en France de la part des investisseurs souvent réticents à miser leur argent dans les biotechs ou technologies médicales. Vous évoquiez quatre ans plus tôt un manque de reconnaissance...

On passe notre temps à pointer ce qui ne va pas, au risque de rater ce qui va. Cela fait des années que j'entends des investisseurs dire qu'ils ont de l'argent, mais qu'ils ne savent pas où l'investir. Il y a un savoir-faire en France, il faut qu'on apprenne à avoir confiance dans nos entreprises, qu'on n'ait pas peur de les soutenir. Ce qui dans d'autres pays est jugé extraordinaire, suscite le doute en France.

Au moment de l'introduction boursière de Medtech en 2013, sur les 20 millions d'euros levés, un quart de la somme venait des fonds d'investissement français. Si l'on compare avec des sociétés étrangères, cela pose problème. Peut-on vraiment bâtir des sociétés ambitieuses avec cette réalité ? En France nous avons des cerveaux et des idées, nous sommes innovants et la pointe dans la mise au point des technologies. Mais nous avons du mal à transformer cela en création d'emplois. Nous n'arrivons pas à mettre en place les conditions pour créer un acteur majeur.

Pourtant, les dispositifs médicaux sont un secteur d'avenir et d'excellence française. On est à la croisée des sciences de l'ingénieur et de la médecine, deux domaines d'excellence française.

Comment expliquez-vous cette difficulté à lever des fonds ? Votre société est pourtant entrée en phase d'industrialisation avec le lancement des robots Rosa ces dernières années...

Certaines personnes ont pensé que Medtech était une sorte de feu de paille, une société surcotée.C'est pour cela que de nombreux investisseurs n'ont pas voulu y mettre d'argent. Et certains le pensent encore.

Or, Zimmer Biomet a racheté Medtech, dont la capitalisation boursière oscillait entre 70 à 80 millions d'euros, pour 164 millions d'euros. Ceux qui disaient que Medtech n'était pas valorisé à sa juste valeur avaient raison, mais dans l'autre sens. J'ai toujours dit que Medtech était sous valorisé.

Si nous avons cédé la société, n'est-ce parce que nous n'avons pas réussi à convaincre suffisamment de fonds d'investissement.français de l'accompagner ?

Vous avez quand même bénéficié de soutiens et d'investissements publics...

On a toujours bénéficié d'un soutien extrêmement actif et efficace de BPI financement, branche qui s'occupent des subventions. Depuis la création de Medtech, on a beaucoup été soutenus. Une autre branche BPI investissement, qui est entrée dans le capital de Medtech, a investi 2 millions d'euros supplémentaires. Deux millions d'euros c'est insuffisant pour des sociétés fabricant des dispositifs médicaux et avec de telles ambitions.

Y a-t-il eu une évolution positive ces dernières années concernant l'image et le soutien des startups françaises ?

Je remarque un phénomène général positif avec la French Tech. Il existe un vrai écosystème avec un engouement, une tendance positive, des créations d'entreprises et de la reconnaissance. Grâce à l'initiative French Tech, le savoir-faire français est diffusé l'international en termes de technologie et d'innovation.

Medtech n'en a pas profité, car sa situation était antérieure à ces mouvements. Nous avons dû nous développer nos produits et chercher des relais de croissance nous-même.

Vous êtes membres du Conseil national du numérique. Est-ce un moyen de faire du lobbying ?

En acceptant d'entrer au Conseil national du numérique, j'avais pour objectif principal d'essayer d'être le porte-voix des entreprises provinciales, en particulier de la Région Occitanie (Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, NDLR). Et notamment de mettre en avant Montpellier où écosystème est très favorables aux startups.

En outre, le numérique est une grande famille. On ne pense pas forcément au médical alors que c'est une source absolument importantes des applications du numérique.

Aux États-Unis des anesthésistes ont fait grève contre les robots médicaux de Johnson et Johnson... Ne craignez-vous pas de voir à nouveau des levées de boucliers à l'avenir contre l'utilisation des robots médicaux ?

Si on enlève le terme de robot et l'on parle d'outil intelligent, cela soulève tout de suite beaucoup moins de fantasmes. Les robots chirurgicaux n'ont pas vocation à remplacer les chirurgiens. Ce sont des outils intelligents qui n'ont aucune autre fonction que de fiabiliser l'activité médicale, la rendre plus efficace, et ce dans l'intérêt du patient et des praticiens.

C'est normal qu'une technologie nouvelle fasse face à des résistances. Mais aujourd'hui, à l'image de la technologie Da Vinci, le robot médical est accepté. Aux États-Unis plus de 90% des chirurgies de prostates sont faites avec ce robot. En France, cela représente 50 à 70% des opérations. Nous constatons nous-mêmes dans notre spécialité une accélération d'adoption très importante.

Tous les types de chirurgies seront possibles grâce à ces robots médicaux à l'avenir ?

Oui, ces outils intelligents vont se diffuser dans toutes les spécialités médicales. Cette tendance est poussée par l'exigence des patients, qui réclame de meilleures techniques chirurgicales. Ils sont les plus gros promoteurs de ces nouvelles technologies, car il n'acceptent plus les aléas chirurgicaux, les pratiques "artisanales". La relation du patient au système de santé a été bouleversée au cours des dernières décennies, avec l'avènement d'Internet. Ils sont très informés parfois trop ou mal, mais cela rend le patient plus proactif dans le soin, et ce dernier fait donc plus de choix.

Le coût des robots médicaux (autour de 400.000 euros pour un robot Rosa de Medtech) est particulièrement élevé. N'est-ce pas un frein à son développement en France à l'heure où l'Assurance maladie cherche à faire des économies ?

Ces technologies ont en effet un coût, et il faut revoir les modèles économiques pour les absorber. Les organismes de financement de la santé doivent y faire face.

Les économies à la clé existent, mais elles se feront à grande échelle et sur la durée. Si on opère mieux, on évite les effets indésirables, on économise alors de l'argent. On s'aperçoit d'ailleurs que les mutuelles aujourd'hui suivent de plus en plus les startups en e-santé, car elles comprennent ce qu'elles peuvent en tirer.

Au départ, ces technologies seront réservées à une minorité d'établissements, puis au fur et à mesure, elles seront démocratisées, les prix baisseront et elles s'étendront aux autres hôpitaux.

Le métier de chirurgien est amené à changer, or les facultés de médecine ne tardent-elles pas à s'adapter à ces nouvelles technologies ?

Nous essayons justement d'accompagner la recherche et la formation dans les facultés de médecine. Pour ce faire, nous travaillons avec des professeurs de CHU.

Jean-Yves Paillé

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Commentaires 3
à écrit le 26/09/2016 à 10:46
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Encore un magnifique exemple de la bulle CIR!.. R&D en France, tout le reste ailleurs. Si elle éclate un jour, il ne restera alors plus rien dans notre vieille France de baby boomers.

à écrit le 26/09/2016 à 5:01
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ca va se developper depuis les usa la france va devenir dans le meilleur des cas centre de r&d jusqu'a supression du credit d'impots personne n'est plus assez idiots pour creer qqch dans ce pays........ les esclaves corveables a loisir par ceux qui...

à écrit le 25/09/2016 à 10:12
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Merci pour cet entretien. En effet les avancées majeurs de la médecine de ces 20 dernières années l'ont été essentiellement grâce à la technologie et il est évident que c'est une voix fiable de progrès médical ayant largement fait ses preuves. ...

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