Des actionnaires plus égaux que d'autres

L'allocation des actions entre les investisseurs lors des introductions en bourse donne lieu à un vaste marchandage, qui met à mal l'égalité entre les actionnaires.
Le siège de Glencore en Suisse

C?était la plus grande introduction en bourse de l?histoire du London Stock Exchange. Glencore, un géant méconnu, dont la fortune vient du courtage de matières premières, est entré directement la semaine dernière dans l?indice phare du FTSE-100, avec une valorisation de 42 milliards d?euros. Mais parmi la très importante couverture médiatique qui a entouré cet événement, il est une anecdote qui est passée inaperçue : la réunion pendant laquelle les banques conseils ont alloué les actions aux investisseurs a duré? 13 heures ! Sachant que celle-ci avait commencé à 19h00, cela signifie une négociation qui a duré toute la nuit.

Que s?est-il donc passé pour justifier un tel marathon ? Techniquement, c?est relativement simple : les investisseurs avaient demandé trop d?actions (cinq fois plus que Glencore n?en émettait). Aucun d?entre eux ne pouvait obtenir 100% de ce qu?il avait demandé. Les banques ont donc dû décider qui allait recevoir combien d?actions. A priori, un simple prorata, au nom du principe de l?égalité entre les actionnaires, pourrait résoudre les choses en quelques minutes.

Le processus n?est pourtant pas aussi simple. La réponse peut paraître sidérante à ceux qui pensent que les introductions en bourse sont des affaires vaguement scientifiques, ou au moins équitables, mais les attributions des actions sont de vastes tractations de marchands de tapis. Ce n?est pas nous qui l?affirmons, mais un financier, spécialiste des introductions en bourse et habitué de ce genre de réunions ?qui n?était cependant pas présent à celle sur Glencore.

« Chaque banque conseil cherche à mettre en avant son investisseur préféré, pour que celui-ci obtienne un traitement favorable. » Bref, cela donne des choses du genre : « je veux bien donner 5000 actions à celui-là, mais à condition qu?untel en obtienne au moins autant. » Ou alors : « ah non, pas question de donner quoi que ce soit à ce fonds de pension. J?ai de très mauvaises relations avec lui. » A cela s?ajoute les possibles desiderata de l?entreprise, qui peut aussi avoir de futurs actionnaires préférés.

Tout ceci peut se révéler très compliqué, dans le cas d?énormes introductions en bourse comme Glencore. Plus de 900 investisseurs y avaient souscrits : 100 sont repartis les mains vides, tandis que les 50 premiers ont obtenu les deux tiers de l?allocation. Quelques très rares heureux privilégiés ont même obtenu tout ce qu?ils demandaient, sans explication extérieure probante.

Tout ceci pourrait prêter à sourire si cela ne soulevait pas un problème de relations trop étroites entre les banques conseils et les investisseurs : les premières ne font pas des faveurs aux seconds par gentillesse : elles espèrent y trouver d?une manière ou d?une autre compensation, peut-être lors d?une prochaine opération par exemple. Une étude de 2004 (1), qui portait sur toutes les introductions en bourse à Londres entre 1997 et 2000, prouve ce jeu de copinage : « la probabilité qu?une banque sélectionne un investisseur pour (?) une introduction en bourse est nettement plus forte si cet investisseur a participé à l?introduction en bourse précédente de cette même banque. » Dans certains cas, la probabilité est vingt fois plus forte.

Le phénomène décrit un petit cercle de connivences, où banques conseils et investisseurs se connaissent (un peu trop) bien et se tiennent par la barbichette. Cela remet aussi en cause le principe d?égalité entre les actionnaires, pourtant l?une des bases de la bourse. Un sujet que les régulateurs feraient bien de regarder de plus près?
 

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