Comment les tabloïds britanniques -et Murdoch en particulier- font régner la terreur

En France, les journalistes sont accusés d'être trop proches du pouvoir. En Grande-Bretagne, c'est le contraire, comme le prouve l'incroyable affaire News of the World. Explication: l'étonnant pouvoir des tabloïds.
Rupert Murdoch dans la tempête - Copyright Reuters

Alors que Rupert et James Murdoch font comparaître face à un comité parlementaire public ce mardi après-midi, la véritable implosion de leur empire au Royaume-Uni depuis deux semaines révèle leur étonnante puissance en Grande-Bretagne. Mais cela révèle plus généralement l?étonnante puissance des tabloïds britanniques. Si les journalistes français sont souvent accusés d?être trop proches du pouvoir, outre-Manche, c?est le contraire. Margaret Thatcher, Tony Blair, Gordon Brown et David Cameron ont tous été coupables de rapprochement excessif avec les tabloïds (et donc avec Rupert Murdoch).

Ces machines de guerre journalistique (7,5 millions d?exemplaires par jour, dont 2,8 millions pour le Sun de Rupert Murdoch !) caressent le lecteur dans le sens du poil, menant des campagnes que beaucoup d?hommes et femmes politiques se sentent obligés de suivre. Toujours prompts à s?indigner, les tabloïds attaquent le moindre homme politique qui ne serait pas « dur contre le crime ». C?est en grande partie pour cela que Blair avait lancé son slogan «dur contre le crime, dur contre les causes du crime ». De même, le mois dernier, ce sont les tabloïds qui ont fait annuler la réforme de la justice, qui devait réduire les peines de prison pour les violeurs qui plaidaient coupables (afin d?éviter de longs et douloureux procès). « Cette idée est trop tendre avec les criminels », s?étranglait en substance le Sun.

Dans un genre encore plus virulent, le News of the World avait mené il y a une décennie une campagne dévastatrice en nommant les personnes enregistrées sur la liste des agresseurs sexuels et en publiant leur photo. Cela avait mené au drame quand des innocents ressemblant aux photos des agresseurs avaient été lynchés par la foule.

Pas question non plus pour un parti politique d?être tendre avec l?immigration : les tabloïds ne le permettraient pas. Quant à l?Europe, c?est un tel gros mot qu?il vaut mieux éviter complètement le sujet. L?Europhobie du Sun, mais aussi du Daily Mail (tabloïd très à droite) est légendaire. Bruxelles est réduit à un ramassis de dictats qui écrasent la nation britannique (pas question de mentionner le rabais britannique au budget européen par exemple, ou les généreuses subventions européennes touchées par Manchester ou la Cornouailles).

Le Daily Mail, mal connu en France, est d?une puissance phénoménale, probablement plus que le Sun. Là où le tabloïd de Rupert Murdoch fait surtout dans le trash (seins nus, infos people?), le Daily Mail se veut un peu plus sérieux, incarnant le bonne conscience de « Middle Britain » : cette-classe-populaire-conservatrice-et-méritante-qui-travaille-mais-qui-voit-des-fainéants-et-des-immigrés-vivrent-des-subsides-de-l?Etat. Courageux sera le gouvernement qui osera affronter violemment le Daily Mail?

Cette vision des choses ne donne-t-elle pas trop de pouvoir à des tabloïds dont les ventes sont désormais en forte baisse (-7% pour NotW entre janvier et juin 2011) ? Sans doute. Les Britanniques ont d?autres sources d?information que les tabloïds, que ce soit la télévision, la radio ou internet. Bien peu de gens choisissent de voter en fonction de ce que leur recommande un journal. Mais les attaques répétées, jour après jour, année après année, des tabloïds finissent par ancrer des idées pour le moins réductrices, très difficiles à changer.

Les tabloïds attaquaient Gordon Brown qui avait « fait faire faillite » à la Grande-Bretagne, et ils soutenaient l?austérité? du moins son principe. Maintenant que l?austérité est réelle, les avis des Britanniques sont nettement plus partagés? Dans le même genre, à force de trouver la justice trop « douce », le tabloïds ont forcé chaque gouvernement à durcir un peu plus les peines, si bien que la population carcérale explose depuis 15 ans?

Dans un tel contexte, il n?est guère étonnante que la classe politique ait choisi de s?aligner au dictat des tabloïds, au premier rangs desquels Rupert Murdoch. C?est pour cela que Tony Blair avait comme conseiller de presse le fameux Alastair Campbell, un ancien du Daily Mirror (tabloïd de gauche), que David Cameron avait choisi Andy Coulson (ancien du News of the World), et qu?Ed Miliband, le leader de l?opposition travailliste, a choisi Tom Baldwin, un ancien du Times, qui appartient à l?empire Murdoch. Cela explique enfin que David Cameron ait rencontré à 26 reprises des dirigeants de l?empire Murdoch depuis qu?il est devenu premier ministre il y a 15 mois. La comparution de Rupert et James Murdoch ce mardi face à un comité parlementaire est pour les hommes et femmes politiques une excellente occasion de prendre leur revanche. L?affrontement devrait être sanglant.
 

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 19/07/2011 à 11:01
Signaler
Bien sûr on est loin des journaux bobos français comme Libé et le Nouvel Obs qui se lamentent sur le sort des faibles entre deux pages de pub pour Mercedes ou Chanel...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.