Vinci ne décolère pas. Sept mois jour pour jour après le coup de gueule de son patron, Xavier Huillard, lors de l'assemblée générale du groupe, c'est au tour de son directeur général adjoint, Pierre Coppey, président de la filiale chargée des autoroutes, de se faire entendre, ce lundi 13 novembre, sur la question de la taxation des concessions autoroutières.
A la suite d'un rapport de l'Inspection générale des Finances (IGF) de février 2021, dévoilé début 2023 par Le Canard Enchaîné, suivi d'une étude de l'Autorité de régulation des transports (ART), pointant les profits réalisés par les sociétés concernées et recommandant une fin anticipée des concessions, le locataire de Bercy, Bruno Le Maire, avait préconisé, fin mars, de raccourcir la durée des concessions pour « éviter toute rente ».
Devant les commissions des Finances et du Développement durable de l'Assemblée nationale, le ministre de l'Economie avait alors considéré que les calculs de rentabilité pour les actionnaires faits lors de la privatisation des autoroutes de 2005-2006 n'avaient « pas été bons ». Sauf qu'à l'époque, Bruno Le Maire était conseiller, puis directeur de cabinet du Premier ministre Dominique de Villepin qui a pris cette décision.
Le Conseil d'Etat réfrène le gouvernement, l'exécutif accélère
Prudent, le numéro 2 du gouvernement Borne avait saisi, le 7 avril dernier, le Conseil d'Etat avant de statuer. Dans son avis consultatif du 8 juin, la plus haute juridiction de l'ordre administratif relève, notamment, que les contrats de concession ont « un cycle d'investissement particulier marqué par d'importants investissements en début de contrat et un amortissement sur une durée longue engendrant des flux de trésorerie positifs importants en fin de contrat, ainsi que, corrélativement, un mécanisme de financement des investissements par l'endettement sur de longues durées ».
De la même façon que les « Sages » du Palais-Royal estiment que « la distinction entre l'État et les autres personnes morales concédantes ne constituerait pas un critère d'assujettissement objectif et rationnel et que la différence de traitement qui en résulterait serait constitutive d'une rupture d'égalité devant la loi fiscale et devant les charges publiques ».
Il n'empêche. Dès la présentation de la loi de finances 2024 en Conseil des ministres le 27 septembre dernier, le gouvernement annonçait la taxation des « grandes exploitations d'infrastructures de transport de longue distance » au premier rang desquelles se trouvent les concessions autoroutières et les aéroports. Objectif affiché, générer 600 millions d'euros annuels pour le « plan d'avenir pour les transports » lancé par la Première ministre, Elisabeth Borne, en février, afin de soutenir principalement le développement du secteur ferroviaire.
L'exécutif en oublierait presque qu'« en cas de modification, de création ou de suppression (...) d'impôt, de taxe ou de redevance spécifique aux sociétés concessionnaires d'autoroute », le Conseil d'Etat rappelle que les concessions d'autoroutes ont droit à « des mesures de compensation, notamment tarifaires ». « Une hausse des taxes, c'est inévitablement une hausse des tarifs des péages », avait d'ailleurs mis en garde, dès le 27 septembre, Pierre Coppey, patron de Vinci Autoroutes.
Une affaire bientôt en justice ?
Une alerte répétée par l'intéressé ce lundi 13 novembre lors d'un « media day » organisé par le groupe Vinci. Lors de cette matinée de présentation des enjeux stratégiques, le directeur général adjoint et président de la filiale autoroutières a réaffirmé que « les précédentes hausses de fiscalité sur les autoroutes ont toujours été répercutées, c'est une constante ».
« L'avis du Conseil d'Etat du 8 juin 2023 rappelle qu'une fiscalité spécifique est répercutable sur les tarifs [des péages autoroutiers] », a martelé Pierre Coppey.
Si une taxe sur les concessions d'autoroute est mise en œuvre, les péages autoroutiers augmenteront de 5% en France, a déclaré le groupe, qui menace de recourir à la justice pour avoir gain de cause. Vinci propose plutôt à l'État de cofinancer un plan de décarbonation de l'autoroute.
Pour Pierre Coppey, augmenter les taxes sur les autoroutes est un « contresens ».
« C'est inévitablement moins d'investissement au moment où il y a besoin d'en faire beaucoup et c'est inévitablement aussi une hausse de tarifs que nous évaluons aujourd'hui de l'ordre de 5% compte tenu d'une taxe de 4,6% sur le chiffre d'affaires des autoroutes, » a-t-il déclaré lors du Media days de Vinci Autoroutes.
Et de se faire plus menaçant à l'égard du pouvoir : « Considérez que ça va se jouer sur le terrain de la justice administrative, de la justice constitutionnelle, de la justice européenne, mais nous allons trouver des solutions avant, ce sera plus simple ».
Autrement dit, si le gouvernement maintient la taxation des autoroutes dans le projet de loi de finances 2024, dont l'examen se poursuit au Sénat en ce mois de novembre, Vinci ne se privera pas de saisir le Conseil d'Etat, le Conseil constitutionnel et la Cour de justice européenne...
Sujets les + commentés