
Le solaire de plein champ ? « Not in my backyard » ou pas dans mon jardin comme disent les anglo-saxons. Le président de la Région Normandie pourrait faire sienne la formule. Hervé Morin semble, en effet, bien décidé à mener une véritable croisade contre l'agrivoltaïsme : cette pratique émergente consistant à faire cohabiter sur un même espace une production agricole (maraîchage, élevage ou vigne) et une production d'électricité par des panneaux photovoltaïques.
Lors d'une conférence de presse vendredi dernier, il a indiqué avoir envoyé une lettre en forme de signal d'alarme aux patrons des transformateurs laitiers présents sur son territoire. Objectif affiché : alerter Lactalis, Danone, Sodiaal et consorts sur le risque que fait peser sur leur gagne-pain la solarisation des terres agricoles.
Périls sur le bocage et l'élevage, les deux mamelles de la Normandie ?
Car pour l'ancien ministre de la défense, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. La pratique nouvellement encadrée par la loi d'accélération sur les énergies renouvelables fait planer une sérieuse menace sur l'élevage laitier... et par extension sur l'industrie agroalimentaire qui en dépend. Lui ne croit pas à l'efficacité des garde-fous prévus par le législateur pour éviter une déprise agricole. « Pour un hectare de panneaux solaires installés sur leurs terres, les éleveurs pourront toucher 5.000 voire 10.000 euros de loyer annuel. Dans ces conditions, pensez-vous qu'ils continueront durablement à se lever aux aurores tous les matins, compte tenu des difficultés du métier ? », argumente t-il.
Au-delà de l'élevage, c'est aussi l'attractivité du territoire qui risque de pâtir du développement du solaire agricole, à écouter Hervé Morin. Manifestement décidé à sonner le tocsin, il va jusqu'à pointer un risque de « massacre des paysages ». « Le solaire va prospérer, non pas dans la plaine de Caen où les agriculteurs vivent bien, mais sur les terres de moindre valeur agronomique comme celles du bocage appréciés des touristes et des riverains », pronostiquait-il vendredi devant les journalistes.
Normandie/Hauts-de-France, même combat
Ce n'est pas la première fois que le patron du parti Les Centristes pourfend l'agrivoltaïsme. En mai dernier, il avait fait inscrire dans son projet de SRADDET l'interdiction pure et simple de cette pratique en Normandie, en contradiction avec la loi d'accélération des renouvelables. Le schéma, qui doit être adopté définitivement avant février 2024, restera t-il en l'état ? Hervé Morin ne se prononce pas encore. Mais il indique réfléchir à maintenir cette disposition, quitte à voir le texte retoqué devant le tribunal administratif.
Ce ne serait pas inédit. En février, la Région Hauts-de-France avait vu son SRADDET partiellement annulé par les juges administratifs au motif qu'il affichait comme objectif de privilégier « le développement des énergies renouvelables autres que l'éolien terrestre ». Depuis, Xavier Bertrand a annoncé vouloir faire appel du jugement, au nom de son opposition à la prolifération des moulins à vent sur les terres nordistes. Son homologue normand suivra-t-il le même chemin, cette fois contre le solaire aux champs ? La question reste en suspens. « Peut-être irons-nous jusqu'au bras de fer », se borne à prévenir l'intéressé sans plus de précision.
« Moins de 0,1 % de la surface agricole »
En attendant, cette prise de position radicale du président de la Région Normandie préoccupe les professionnels de l'énergie solaire. Réunis au sein de l'association Enerplan, ceux-ci estiment que les craintes d'Hervé Morin sont largement injustifiées. « Il faut relativiser l'enjeu, tempère son délégué général interrogé par La Tribune. Selon nous, l'agrivoltaïsme devrait concerner moins de 0,1% de la surface agricole française ce qui reste finalement assez faible. En outre, nous avons tout intérêt à générer de bons projets et non des contrexemples ». Quant à l'argument portant sur les paysages, David Gréau le balaie d'un revers de main. « Le solaire est moins impactant que beaucoup d'autres installations liées à la production d'énergie », souligne t-il. Une autre spécialité normande.
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