« L'armée ne voulait pas d’un irrégulier au Panthéon ! » (Didier Daeninckx, romancier)

ENTRETIEN - Depuis qu’il a en 2009 signé le formidable roman « Missak », le romancier s’impose comme le « manouchianologue » en chef.
« L'armée ne voulait pas d’un irrégulier au Panthéon ! »
« L'armée ne voulait pas d’un irrégulier au Panthéon ! » (Crédits : Archives Manouchian/Roger-Viollet)

Didier Daeninckx a son carton d'invitation. Mercredi, au Panthéon, il sera aux premières loges. Comme il l'est dans les livres parus ces dernières semaines afin de ressusciter la légende au moment de la faire entrer dans le temple de la République. Sur la dizaine de publications, Daeninckx signe une BD (ci-contre) mais aussi l'introduction du recueil de l'intégralité des poèmes de Manouchian (ci-dessus) ainsi qu'un splendide album jeunesse réédité 1.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Comment avez-vous « rencontré » celui que vous appelez « Missak »?

DIDIER DAENINCKX - J'ai grandi dans une ville, Aubervilliers, où la moitié des rues portait les noms des fusillés. Ma nounou, Odette, avait été la petite fiancée de Guy Môquet. Pas une journée ne passait à la maison sans qu'on parle du maquis. Puis un jour de 1973, alors que je « tenais » une maison de jeunes, comme on tient une position sur le front de la délinquance, j'avais été missionné pour m'occuper de l'inauguration d'un gymnase Manouchian et je l'ai vue arriver. Mélinée. J'ai été subjugué.

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Qu'est-ce qui, chez lui, fascine le plus le romancier que vous êtes ?

Les rêves ! Si j'ai découvert l'homme dans la biographie de Mélinée 2 [tout juste rééditée], c'est sa dernière lettre qui, toujours, me saisit. La même émotion me submerge à chaque fois que je la relis - ce que je fais souvent. Notamment ce passage : « Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m'arrive comme un accident dans ma vie ». Missak ne se destinait pas à être un martyr. Sa vie s'est fracassée contre l'Histoire. Mais ce qui compte pour lui, c'est le reste. Son rapport au monde, à la nature, à l'amour, à la beauté, à l'art, au corps... C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de raconter non pas le héros mais le rêveur, celui qui peuple sa vie avec ses rêves. Je crois que c'est l'hommage qu'il faut lui rendre.

L'hommage de la France, vous l'attendiez depuis longtemps et activement. Désespériez-vous ?

En 2014, j'avais participé à un dîner avec François Hollande, qui réfléchissait aux futurs panthéonisés. Avec l'historien Jean Vigreux, nous avions plaidé pour Manouchian. Sans succès. Une nouvelle tentative eut lieu lors du premier quinquennat d'Emmanuel Macron. Mais les réticences de l'armée étaient fortes. Pensez : un apatride, étranger, communiste et franc-tireur... L'armée ne voulait pas d'un irrégulier au Panthéon! Mais Jean-Pierre Sakoun, le président du Comité pour l'entrée de Missak Manouchian, a réussi à fédérer aussi bien le sénateur communiste Pierre Ouzoulias que Laurent Wauquiez, les époux Klarsfeld, Patrick Bruel ou l'historien Denis Peschanski, qui grâce à son travail dans les archives a déminé les polémiques et fixé les rôles de chacun devant l'Histoire.

L'annonce de la panthéonisation a relancé la recherche. Vous tenez-vous au courant des dernières découvertes ?

De chacune d'elles ! J'ai été très ému quand des épisodes inconnus de la vie de Missak ont été mis au jour, comme ses demandes de naturalisation. Pour la première, un certain Fredou témoigne. Cet architecte communiste tuberculeux avait créé la Cité nouvelle à Châtenay-Malabry, une communauté naturiste qui avait sa bibliothèque et son terrain de sport. Missak y restera deux ans et demi. Je venais de terminer la BD quand je l'ai appris. J'ai fait ajouter une planche. Si vous prenez ses poèmes, les seuls qui soient empreints d'espoir sont ceux écrits à Châtenay ! Dès qu'il s'agit de Missak, je ne me lasse pas de chercher de nouveaux éléments, de rencontrer des témoins... Je n'ai qu'une crainte, c'est de découvrir un jour quelque chose qui puisse ternir son image. Je ne sais pas comment je réagirais. Par le déni, sans doute.

1. Missak Manouchian - L'enfant de l'Affiche rouge, Didier Daeninckx, illustrations Laurent Corvaisier, Rue du monde, 64 pages, 19 euros.

2. Manouchian, Mélinée Manouchian, Parenthèses, 320 pages, 24 euros.

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