Nos critiques littéraires de la semaine

« Moi, Jean-Luc M. », de Christophe Barbier, « Le verger de Damas », de Camille Neveux, « Vallée du silicium », d'Alain Damasio : découvrez nos critiques littéraires de la semaine.
Christophe Barbier, journaliste et éditorialiste français.
Christophe Barbier, journaliste et éditorialiste français. (Crédits : © LTD / Eric Garault/Editions Grasset)

Bonjour schizophrénie

Dans ce livre siamois, Christophe Barbier accuse Mélenchon d'avoir tué Mélenchon.

Effrayé, admiratif, nostalgique et... schizophrène : voilà comment on ressort de la lecture du nouvel opus de Christophe Barbier. Nous étions pourtant prévenus : dès les premières lignes, il qualifie son ouvrage d'« étrange », « une sorte de livre siamois, de Janus politique ». La première partie, sous forme de pièce de théâtre, est un monologue intitulé Un dimanche à Lombreuil ou Moi, Jean-Luc M. Le champion de la gauche se raconte ce jour de septembre 2026 où il doit annoncer s'il se présente ou non une nouvelle fois à la présidentielle. La deuxième partie, Un péril nommé Santerre ou Lui, Jean-Luc M., est le réquisitoire de Barbier contre « le plus outrancier des personnages politiques français, l'autocrate qui a pris la gauche en otage, l'ennemi de l'État et de la République ».

Lire aussiLivre : « La maîtresse italienne », de Jean-Marie Rouart

Le monologue était déjà écrit l'été dernier ; le réquisitoire le fut après ce 7 octobre qui a, selon Barbier, éjecté définitivement Mélenchon hors du champ républicain. Barbier aurait pu décider de mettre le monologue à la poubelle. Mais non. L'homme de théâtre fou de politique - qu'il tient pour un « spectacle vivant » - ne se résout pas à abandonner à l'Histoire le Jean-Luc Mélenchon d'avant, « épique et époustouflant ». Barbier nous prend donc à témoin de sa nostalgie d'une vie politique où il pouvait converser avec un Mélenchon. N'avaient-ils pas le rouge en partage - porté en cravate par le chef des Insoumis et en écharpe par le journaliste ?

La charge de Barbier dans ce pamphlet est à la mesure de sa déception devant un Mélenchon qu'il accuse d'avoir tué Mélenchon. Ça fait mal de devoir tourner la page d'une vie politique dans laquelle on ne s'inquiétait pas de ce que le plus romanesque d'entre nos politiques pourrait faire à la République. A.M

MOI, JEAN-LUC M.
Christophe Barbier, Grasset (en coédition avec Studio Fact), 128 pages, 16 euros.

Si je t'oublie, Daraya

Les fruits du « Verger de Damas » de Camille Neveux refleuriront-ils jamais ? Premier roman autour de la tragédie syrienne.

neveux


Camille Neveux. © PATRICE NORMAND/JC LATTÈS

 Que reste-t-il d'une révolution après qu'elle a été réprimée dans le sang et les larmes ? Des cendres mal éteintes, un feu qui ne demande qu'à reprendre et, en attendant, quelquefois, des livres. Déjà ça. Traces fragiles de ce qui a eu lieu et prologues à ce qui pourrait advenir. Le Vallès de la Commune, le Pasternak de 1917, le Saramago des Œillets, série en cours. Écrire ces temps de lutte, d'espoir et de tragédie, c'est d'abord offrir à ceux qui en furent les victimes autant que les acteurs une dignité que leur mort leur a refusée. C'est aussi prendre un temps qui n'est pas encore celui de l'Histoire et plus tout à fait celui du témoignage.

Prenons la Syrie, par exemple, là où la tyrannie de l'instant l'a laissée, exsangue. Qui saura écrire l'horreur et la dignité de ce peuple écrasé par un régime barbare allié à d'autres qui ne le sont pas moins ? Bien sûr, le temps qui passe ne s'est pas écoulé. C'était hier. Tout de même, rien que dans notre paysage littéraire national, une Justine Augier, avec De l'ardeur ou Par une espèce de miracle, a commencé à « documenter » la nuit tombée sur Damas. Et voici qu'aujourd'hui Camille Neveux s'y essaie à son tour avec un roman, son premier, Le Verger de Damas, impressionnant à la fois de fluidité narrative et d'humanité tendre et navrée...

Ce serait donc l'histoire d'une famille, un quart de siècle durant (de 1995 à nos jours), entre Daraya (d'où est originaire le compagnon de l'autrice) et les chemins de l'exil, Beyrouth ou Paris. Dans cette famille, on voudrait d'abord le fils prodigue, Aïssa. On le découvre à l'âge de raison, 7 ans, lorsqu'il comprend que pour son pays s'ouvre celui de la déraison. Épris de liberté, il n'en démordra pas, malgré les fuites, malgré le chagrin, malgré la douleur. Il faudrait dire aussi quelque chose de sa nièce, Nermine, réfugiée avec sa famille dans la capitale libanaise et qui va s'apercevoir à 12 ans que le mensonge peut être une forme de grâce paradoxale...

Les uns et les autres, fétus résistant aux vents mauvais de l'Histoire par la seule force de leur dignité, de leur obstination, Camille Neveux sait nous les montrer. Il y a là une vraie aisance romanesque, mais qui ne se paie jamais sur la bête, tant elle se construit de l'exigence de vérité de la journaliste qu'elle est aussi. Que demande le peuple ? La liberté, si les mots et les morts ont un sens. O.M

LE VERGER DE DAMAS
Camille Neveux, JC Lattès, 306 pages, 20,90 euros.

Le temps des chimères

Alain Damasio développe sa vision critique et néanmoins poétique des nouvelles technologies.

damasio


Alain Damasio. © Bénédicte Roscot

Comme le savent les lecteurs de son grand succès Les Furtifs, l'auteur de science-fiction Alain Damasio éprouve peu de sympathie pour les magnats de la Silicon Valley. En avril 2022, il y a passé un mois, histoire de vérifier si « cet empire dématérialisé qui envahit nos quotidiens a une origine physique ». De là cet ouvrage hybride, réflexion interpolée de fiction, qui commence par une visite du siège d'Apple (de l'extérieur, car ces entreprises qui nous encouragent à ouvrir nos données cultivent une touchante pudeur quant aux leurs) et se termine par une terrifiante nouvelle qui mêle catastrophe climatique, IA indocile et chimère biomécanique pouvant prétendre au statut d'« assimilé humain ». Bref, ce n'est pas un essai de plus pour dire la catastrophe-numérique-qui-vient-posons-vite-des-barrières-éthiques.

Certes, Damasio, homme de gauche, n'aime pas cette Silicon Valley où « chaque individu est un entrepreneur de lui-même » et où les « Silicon Valets » sont tous noirs ou latinos, mais il n'est pas technophobe : pour lui, « ce qui manque à notre temps, c'est un art de vivre avec la technologie ». Certes, il décrit comment nous avons délégué à ladite technologie des prérogatives humaines, jusqu'à lui demander de penser pour nous, mais ce n'est pas pour conclure que nous serions passés de maîtres à esclaves de nos inventions : pour Damasio, cette relation relève d'une complicité qui s'ignore plus ou moins. Et comme dans Les Furtifs, il reste optimiste et « veut croire que le vitalisme l'emportera toujours », que les nouvelles technologies seront détournées, retournées, et intégrées à la vie. Quant à l'imaginaire trans-ou post-humaniste imposé par la Silicon Valley, il peut être combattu par l'artisanat des écrivains de science-fiction qui envisagent l'avenir en « mythopoètes ».

Bien sûr, cette lecture donne le vertige - d'autant que Damasio dégaine à peu près un néologisme par page. Mais il faut cela pour saisir les enjeux des machines apprenantes, des corps « respatialisés » par la réalité augmentée et des voitures autonomes. Comme le dit l'un de ses interlocuteurs, le programmeur Grégory Renard, qui connaît assez bien les IA pour ne pas les assimiler à des intelligences humaines, « on n'est jamais le contemporain de son temps » ... A.B

VALLÉE DU SILICIUM
Alain Damasio, Seuil, 336 pages, 20 euros.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 22/04/2024 à 13:50
Signaler
Les lecteurs qui apprécient les romans policiers de l'auteur chinois Qiu Xiaolong, ceux de Montalban et enfin ceux de Camilleri, aimeront les romans de Jean Tuan (L'empreinte du dragon / Terres rares / Oxymore) chez CLC Éditions. Une plongée dans "le...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.