Théâtre : Laurent Lafitte, le cœur si pur de Cyrano

Une nouvelle mise en scène du chef-d’œuvre d’Edmond Rostand à la Comédie-Française est un événement. Parfois déconcertant.
Laurent Lafitte avec, à gauche, Yoann Gasiorowski et Laurent Stocker,
Laurent Lafitte avec, à gauche, Yoann Gasiorowski et Laurent Stocker, (Crédits : © Christophe RAYNAUD DE LAGE)

Assis sur un quartier de lune comme un enfant sur une balançoire, vif et ardent, toujours, mais ne dissimulant pas complètement le voile de tristesse qui a envahi son cœur, Cyrano poursuit son rêve, sans lâcher le fil de son combat. Pourquoi ne se lasse-t-on jamais de le retrouver ? Pourquoi connaît-on à grands traits l'intrigue de la « comédie héroïque en 5 actes, en vers » qui fut créée au Théâtre de la Porte Saint-Martin le 27 décembre 1897 ? Pourquoi chacun est-il capable de réciter quelques vers de l'ouvrage ? Parce que l'on aime ce Cyrano, soldat courageux, poète très doué, amoureux malheureux de sa belle cousine Roxane et qui offre à Christian de Neuvillette les mots que le jeune homme est incapable de formuler harmonieusement. Une histoire de sacrifice, une belle histoire.

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À la Comédie-Française vient d'éclore une nouvelle mise en scène du chef-d'œuvre. Elle est signée Emmanuel Daumas, habitué de la Troupe, qu'il a déjà dirigée dans plusieurs pièces. Un nouveau Cyrano fait son entrée : Laurent Lafitte. « En fait, le projet a d'abord été que je reprenne le rôle dans le spectacle créé par Denis Podalydès en 1999. Éric Ruf a pensé qu'il fallait tourner une page. »

Exceptionnel Laurent Stocker

La page est tournée, en effet. On ne peut s'interdire un moment d'étonnement devant la scénographie pauvrette imaginée par Chloe Lamford et les costumes disgracieux d'Alexia Crisp-Jones. Quant à la distribution, à l'exception de la merveilleuse Jennifer Decker, les femmes sont toutes jouées par des hommes travestis. Le metteur en scène, Emmanuel Daumas, explique qu'il « ne supporte pas que des femmes comédiennes soient présentes pour deux lignes », on objectera que c'est le principe même de la Comédie-Française : dans l'alternance, on joue des rôles immenses dans une production et des personnages de complément dans une autre. Qu'il ait pensé au spectacle donné par les protagonistes de la Grande Illusion, de Jean Renoir, se conçoit, mais encore faudrait-il que la représentation ait lieu lors du siège d'Arras. Les hommes travestis, souvent barbus, costumes ouverts à l'arrière, donnent une couleur délétère de faible music-hall au spectacle, de la bouquetière aux religieuses en passant par la duègne ou Lise, l'épouse de Ragueneau.

Le généreux pâtissier épris de théâtre et de poésie a de la chance : c'est l'exceptionnel Laurent Stocker qui l'incarne. On est saisi par la vérité du personnage, l'évidence d'une maîtrise sans démonstration, intelligente et ultrasensible, du premier au dernier acte. Il est bouleversant, ce Ragueneau. Il n'est pas seul et l'on oublie ce qui nous dérange dans l'esthétique générale, ce décor si mal pensé qu'il faut le manipuler sans cesse, écrabouillant toute magie des espaces, pour se laisser porter par de fortes personnalités. Nicolas Lormeau laisse filtrer les déchirements d'un de Guiche abrupt mais amoureux, Christian de Neuvillette possède la grâce vulnérable de Yoann Gasiorowski, Adrien Simion est un Le Bret plein de sollicitude, Nicolas Chupin passe d'une figure à l'autre, comme Birane Ba qui se délecte de ses métamorphoses.

Roxane, on l'a dit, est couleur soleil. Jennifer Decker dans le déploiement subtil de son art, finesse de tout l'être, timbre harmonieux, est une précieuse qui s'enchante de grands mots et comprend tout trop tard. Une ravissante frivole que la vie précipite dans la tragédie. Parcours superbe. Comme celui de Laurent Lafitte en Cyrano. Si dans la pièce on remarque qu'il ne porte pas de gants, pourquoi la costumière lui ôte-t-elle sa chemise ? Il est bras nus sous son pourpoint ! C'est idiot et cela contredit l'extrême raffinement du bretteur encyclopédique. Rien qui puisse interdire à Laurent Lafitte d'incarner idéalement le héros, du goût de la dispute à la grandeur guerrière en passant par les désarrois d'un amoureux transi, inventif épistolier au regard désarmant de tendresse, enfermé dans son secret jusqu'au cruel dénouement. Laurent Lafitte est excellent, vif lorsqu'il le faut, vacillant quand le cœur déborde, donnant aux vers leurs justes couleurs et toutes les inflexions d'une âme fière et meurtrie.

Cyrano de Bergerac, Comédie-Française, salle Richelieu, en alternance jusqu'au 29 avril 2024, en matinée à 14 heures, en soirée à 20 h 30. Durée : 3 heures avec entracte.

65 à 85 places de dernière minute, à 5 euros (visibilité réduite), sont disponibles une heure avant chaque soir de représentation dans la salle Richelieu de la Comédie-Française. Et tous les lundis, jusqu'à 85 places sont offertes aux moins de 28 ans.

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