
La France va-t-elle se faire taper sur les doigts par les marchés financiers ? Six mois après l'avertissement de Fitch, l'Hexagone s'apprête à recevoir les verdicts attendus des agences de notation. Moody's doit ouvrir cette séquence vendredi 20 octobre. Viendra Fitch le 27 octobre, puis Standard & Poor's (S&P) le premier décembre. La dégradation de la note au printemps « avait surpris », rappelle Eric Dor, économiste à l'IESEG, une école de commerce. À l'époque, le gouvernement, convaincu de « son sérieux budgétaire », avait balayé d'un revers de main cette décision embarrassante. Il est vrai que la crédibilité des agences de notation a sérieusement été écornée pendant la crise des « subprimes » de 2008 et celle des dettes souveraines dans la zone euro en 2012.
Mais l'agence Fitch avait surtout taclé la méthode employée par le gouvernement pour faire passer la réforme contestée des retraites. « L'impasse politique et les mouvements sociaux (parfois violents) représentent un risque pour le programme de réformes d'Emmanuel Macron et pourraient créer des pressions en faveur d'une politique fiscale plus expansionniste ou d'un renversement des précédentes réformes », avait souligné l'agence dans un communiqué. Au lendemain du coup d'envoi de la saison des 49-3 sur le budget 2024, la dégradation de la France pourrait jeter une ombre sur la politique économique bro-business de l'exécutif.
Peu de risques sur la dette
La multiplication des crises ces dernières années (pandémie, guerre en Ukraine, crise énergétique) a fait bondir le niveau d'endettement des Etats. Après avoir dépensé des milliards d'euros pour limiter la casse économique et sociale, l'exécutif s'est engagé à réduire son déficit en deca de 3% d'ici 2027 et réduire sa dette dans le programme de stabilité envoyé à Bruxelles au mois d'avril dernier. Lors de la présentation du projet de loi de finances de 2024 (PLF 2024), les ministres de Bercy Bruno Le Maire et Thomas Cazenave ont déroulé un programme d'économies de 16 milliards d'euros destiné à réduire le solde public de l'Etat, des collectivités et de la sécurité sociale.
Le principal levier de réduction des dépenses devrait passer par l'extinction du bouclier tarifaire et la fin des aides exceptionnelles. « Malgré le fait que la France ait une dette élevée, elle demeure une économie solide, très diversifiée avec un taux de chômage bas et un taux d'emploi en progression », souligne Eric Dor. En outre, « la dette tricolore est élevée mais très liquide. Les marchés apprécient les dettes liquides », ajoute-t-il. Enfin, « la France possède un système bancaire très solide contrairement à l'Italie ».
L'envolée des taux d'intérêt payés sur la dette a suscité de vives inquiétudes sur les obligations indexées sur l'inflation. Mais ces craintes sont rapidement retombées. « La charge de la dette est une mauvaise nouvelle », explique Christopher Dembik, économiste chez Pictet. « C'est un sujet macroéconomique car cela peut dégrader la croissance potentielle de la France. Mais ce n'est pas un risque pour la dette », ajoute-t-il. Au final, « le scénario d'une dégradation de la note de la France est moins probable qu'une stabilité», résume Eric Dor. Même son de cloche pour Christopher Dembick. « A priori, le statut quo des agences devrait prévaloir. Ces dernières années, les projections de croissance du gouvernement n'étaient pas si éloignées de la réalité. Et la France s'en sort beaucoup mieux que beaucoup de ses voisins ».
Risque d'un avertissement sur l'immobilisme politique
Comme au printemps, le principal risque pourrait concerner « l'immobilisme politique ». En l'absence de majorité absolue, le gouvernement a déjà dégainé l'article 49-3 de la Constitution sur le volet recettes du budget 2024. Et d'autres devraient suivre. « Les agences de notation pourraient dire qu'il faut des réformes mais que le gouvernement n'y arrive pas », suggère Eric Dor. Jusqu'à maintenant, l'exécutif a pu dérouler son programme de réformes malgré les fortes contestations de la rue et des oppositions. Pour Christopher Dembik, Fitch « a surinterprété la situation politique de la France », au printemps. «L'argument politique est peu solide. C'est une mauvaise raison de dégrader la note d'un pays comme la France en raison de la stabilité des institutions », estime-t-il.
La perspective d'une réforme du pacte de stabilité de l'Europe
Absente du débat pendant des années, la question de la solvabilité des Etats est revenue sur le devant de la scène ces derniers mois. La réforme du pacte de stabilité en Europe devrait changer les règles budgétaires inscrites dans le traité de Maastricht. L'objectif est que les Etats s'entendent sur des règles plus adaptées à la situation particulière de chaque pays, de fixer des trajectoires budgétaires à la fois plus réalistes et mieux respectées.
C'est le sens de la proposition mise sur la table en avril par la Commission européenne. Jusqu'à maintenant, les pays ne sont pas parvenus à un compromis. Mais l'objectif est de parvenir à un accord d'ici fin décembre. Dans cette perspective, le verdict des agences de notation sur la France devrait être particulièrement scruté.