
[Article mis à jour mardi 21 mars à 11H05]
Que va-t-il se passer après le rejet de la motion de censure par l'Assemblée nationale ? Après l'électrochoc du 49-3, la motion de censure sur la réforme des retraites a été rejetée par une majorité de députés. La motion déposée par le groupe Liot a recueilli 278 voix. Il fallait 287 scrutins pour renverser le gouvernement. Ce rejet signifie que la réforme des retraites est adoptée malgré une colère qui ne faiblit pas dans tout le pays. « L'adoption d'une réforme d'ampleur directement et sans vote au parlement est une spécificité française. Ce type de procédure n'existe pas à l'étranger », a déclaré à La Tribune, Jean-Yves Dormagen, professeur en science-politique à l'université de droit de Montpellier.
« L'adoption d'une motion n'est arrivée qu'une seule fois sous la Vème République il y a 60 ans. A l'époque, le président de Gaulle voulait proposer une réforme de l'élection présidentielle au suffrage universel direct », rappelle le président de l'institut Cluster 17, spécialisé dans l'étude de l'opinion publique. La procédure du 49-3, qui vise à faire passer la réforme sans vote sur le texte lui-même, n'a fait qu'attiser la contestation, souvent au-delà du seul sujet du recul de l'âge de la retraite de 62 à 64 ans. Plusieurs députés de l'opposition devraient riposter rapidement par un arsenal d'outils constitutionnels.
La saisine du Conseil constitutionnel, l'autre bataille juridique
Le groupe Libertés Indépendants et Outre-mer (Liot) en pointe dans la contestation de la réforme des retraites a annoncé une saisine du Conseil constitutionnel au lendemain du rejet de la motion de censure. Une saisine est également prévue par des députés de la Nupes dont le député des Landes Boris Vallaud (PS) et la cheffe de file du groupe de la France insoumise (LFI) Mathilde Panot. Il faut un groupe de 60 députés ou 60 sénateurs pour réaliser une saisine constitutionnelle.
Ce qui signifie que la France insoumise ou le Rassemblement national (RN) disposent d'assez de députés pour saisir l'institution en charge du contrôle constitutionnel des lois. En principe, le conseil présidé par Laurent Fabius a un mois pour trancher sauf si l'exécutif réclame un examen en urgence. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel doit se prononcer sous les huit jours. La saisine de l'institution suspend le délai de promulgation de la loi.
Les députés veulent attaquer le texte de la réforme sur deux points. Pour faire passer son projet, le gouvernement a eu recours à un projet de loi de finances rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) alors que plusieurs articles pourraient être jugés inconstitutionnels, en particulier l'index senior et le CDI senior adoptés en commission mixte paritaire (CMP) la semaine dernière.
Plusieurs juristes et spécialistes du droit constitutionnel ont alerté le gouvernement sur les risques de « cavaliers législatifs ». Surtout que le Conseil d'Etat a déjà mis en garde l'exécutif dans une note au mois de janvier. « Le Conseil constitutionnel peut censurer une partie des dispositions. L'indice senior ne concerne pas vraiment de questions budgétaires », souligne Olivier Rozenberg, professeur au Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences-Po Paris.
Le second point de contestation devrait concerner la méthode employée par l'exécutif. Plusieurs constitutionnalistes ont pointé le risque sur la sincérité des débats. En effet, le gouvernement n'a pas hésité à brandir plusieurs articles pour accélérer la procédure des discussions parlementaires (44.7 sur le vote bloqué au Sénat) ou contrer l'opposition sur le texte adopté en commission mixte paritaire (49.3 ). « La faiblesse du gouvernement est qu'il a invoqué un motif d'urgence pour faire passer sa réforme. Or, la notion d'urgence est très difficile à établir sur un texte de loi sur les retraites, indique Jean-Yves Dormagen. La stratégie du gouvernement était d'aller très vite pour éviter un mouvement social trop et des dégâts limités sur l'opinion [...] L'idée était de faire un Blietzkrieg (une guerre éclair) », ajoute-t-il. Mais cette stratégie pourrait se retourner contre l'exécutif d'un point de vue constitutionnel.
Aussi, Elisabeth Borne a annoncé lundi soir qu'elle allait saisir « directement le Conseil constitutionnel » pour un examen « dans les meilleurs délais » du texte. La Première ministre souhaite ainsi que « tous les points soulevés au cours des débats puissent être examinés » a ajouté la même source à l'AFP, en référence à la contestation par certains parlementaires de la constitutionnalité de plusieurs mesures.
Le référendum d'initiative partagée (RIP) poussé par la gauche
L'autre arme juridique dont disposent les oppositions est le référendum d'initiative partagé (RIP). Ce dispositif inscrit dans la réforme constitutionnelle de 2008 est défendu par une partie de la gauche et l'ancien Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve. Cet outil déjà utilisé contre la privatisation d'Aéroports de Paris (ADP) doit cependant répondre à des critères relativement exigeants. La première condition est qu'une proposition doit être déposée par au moins 185 des 925 parlementaires (577 députés, 348 sénateurs) rapidement.
La deuxième condition est que la proposition doit recueillir les signatures d'au moins 10% du corps électoral, soit 4,8 millions d'électeurs. « Cette initiative n'a pas d'effet suspensif », indique Olivier Rozenberg.« Rien n'empêche le gouvernement de mettre en application certaines dispositions. Le RIP n'empêche pas la promulgation du texte », ajoute le chercheur en science-politique à Paris. De son côté, Jean-Yves Dormagen estime que que « le RIP a été pensé pour être inapplicable. Le nombre de députés à rassembler est élevé même s'il est possible de rassembler un nombre de parlementaires suffisant sur ce sujet. En revanche, le nombre de signatures de citoyens à obtenir est très difficile. En effet, il faut s'engager dans une démarche en ligne, donner ses coordonnées. C'est une procédure coûteuse et publique », ajoute-t-il.
Vers un durcissement et une radicalisation du mouvement social ?
Après deux mois de mobilisations partout en France, l'annonce du 49-3 en fin de semaine a fait l'effet d'une bombe. A Paris, les scènes de violences et d'embrasement social ont ravivé les craintes d'une radicalisation du mouvement de contestation dans les semaines à venir. Vendredi matin, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait convoqué tous les préfets par visioconférence pour une réunion spéciale. De leur côté, les syndicats ont appelé à une nouvelle grève le jeudi 23 mars.
En ce début de semaine, la colère est loin d'être retombée. Des manifestations sur des échangeurs routiers ou sur les rocades de plusieurs villes ont entraîné des ralentissements ou des blocages de la circulation, comme à Rennes où des feux de palettes ont été allumés sur la rocade sud. Dans le transport aérien ou ferroviaire, plusieurs vols et trains ont été annulés.« Le mouvement social peut se durcir, prévient Olivier Rosenberg. Le 49-3 a un retentissement important dans l'opinion. Il alimente le sentiment d'un passage en force même s'il est légal. On peut s'attendre à une forme de radicalisation », alerte l'enseignant à l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris. Les prochains jours promettent d'être brûlants.
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